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« Il serait temps de mieux comprendre Poutine »

VLADIMIR VLADIMIROVICH PUTIN
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Frédéric Pons - publié le 16/05/18
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Élu la première fois en mars 2000, largement réélu cette année, au pouvoir jusqu’en 2024, Vladimir Poutine conduit une politique autoritaire de redressement de son pays. Les Russes adhèrent à ses choix, comme à sa personnalité, plus complexe qu’on ne le pense.Comprendre Vladimir Poutine et sa politique, discuter avec lui, requiert deux préalables : d’abord sortir des anathèmes du courant dominant médiatico-politique occidental ; ensuite mieux évaluer ce qu’il représente dans l’histoire de la Russie contemporaine, sa légitimité forgée par quatre élections victorieuses à la présidence de la Fédération de Russie (2000, 2004, 2012, 2018). Cette année encore, le 18 mars, il a obtenu un nouveau mandat de six ans, jusqu’en 2024, avec 76,7 % des voix. La fraude électorale est une réalité dans cette toute jeune et bien imparfaite démocratie russe. Elle ne suffit pas à expliquer ces résultats sans appel, confirmés par des sondages répétés qui le placent depuis dix ans au-dessus de 85 % de popularité.

Il serait temps de mieux comprendre qui est Vladimir Poutine, ce qu’il veut, où il va. Son image en Occident est mauvaise. Il ne cherche pas à la corriger. Enfant timide, jeune homme discret, replié sur sa bande de Léningrad et, plus tard, sur son étroit cercle d’amis de Saint-Pétersbourg et du KGB, il a gardé ces traits de caractère que confirment ses proches : le goût du secret, une pratique clanique, sa méfiance instinctive devant l’inattendu, une capacité de riposte foudroyante.


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Né en 1952, cet homme au visage froid n’est pas un colosse impressionnant (1 mètre 70) mais sa « densité » rassure. Vrai sportif (il fut champion de judo de Léningrad en 1976), patriote rugueux, travailleur et déterminé, Poutine incarne depuis 2000 cette autorité qu’attendaient la majorité des Russes, après deux décennies d’échecs et d’humiliations.

L’adhésion des Russes à Poutine s’explique par ce traumatisme, comme par les autres secousses terribles subies en un siècle par leur pays. Ce fut d’abord la brutale révolution bolchevique de 1917 qui anéantit la société ancienne en quelques mois, emportant ses valeurs, son élite, son Église. Il y eut ensuite la terrifiante période stalinienne (goulags, massacres, déportations, famines, purges) puis la « grande guerre patriotique » contre l’envahisseur allemand (1941-1945) et ses vingt millions de victimes, enfin l’effondrement systémique de l’URSS (1991), marqué par une rétractation territoriale et un affaissement démographique sans précédent dans l’histoire de la Russie.

Une ligne de conduite pragmatique

Arrivé au pouvoir en 2000, Vladimir Poutine a enrayé cette spirale mortifère en redonnant à son peuple un cap, promettant une renaissance politique et morale. Il avait annoncé ce chantier dès le 31 décembre 1999, alors Premier ministre et président par intérim, dans un article intitulé « La Russie au tournant du millénaire ». Dans ce texte longtemps ignoré en Occident (traduit in extenso dans mon livre), la condamnation du système soviétique est sans appel, ce qui dément chez lui toute nostalgie du communisme. L’article annonçait surtout un programme ambitieux : « l’opportunité d’un avenir digne », fondé sur la grandeur de la Russie, un État fort, « une économie efficace », sans idéologie préconçue. Avec cet avertissement : « La Russie est au cœur d’une des périodes les plus difficiles de son histoire… Tout dépend de nous et de nous seuls. De notre capacité à nous mobiliser pour un effort prolongé et difficile. »

Dix-huit ans plus tard, cet effort se poursuit. Poutine vient de le confirmer dans son discours d’investiture le 7 mai, dans la salle Andreevski du Grand palais du Kremlin. « Rien n’est achevé », assure-t-il.  La situation s’est améliorée, mais les difficultés économiques restent immenses, marquées par la baisse des cours du pétrole et du gaz, par les sanctions internationales, par la faiblesse de la production agricole et industrielle russe. Le niveau de vie avait progressé. Il est menacé. Les Russes s’en inquiètent mais ils savent à quoi leur pays a échappé, grâce à Poutine. « On a connu pire », disent-ils. « L’économie et le social seront nos priorités jusqu’en 2024 », vient de leur annoncer leur président.



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Connu pour son franc parler, Poutine a jusque-là tenu ses promesses. Formé à l’exercice de l’autorité, homme à poigne, sans états d’âme, il a su restaurer l’État fort et autoritaire que les Russes attendaient. Cette « verticale du pouvoir » a permis au Kremlin de reprendre le contrôle des administrations, de la justice et des services de sécurité. Les satrapies nées de l’affaissement du pouvoir central ont été démantelées. La bureaucratie russe fonctionne mieux qu’avant, mais les mauvaises habitudes héritées du passé soviétique n’ont pas toutes disparu, comme la corruption, enrayée, sans être éradiquée.

Le Kremlin a aussi fait rendre gorge aux oligarques enrichis sous l’ère Eltsine, à la faveur du pillage de l’ex-État soviétique. Dès 2000, Poutine leur avait mis le contrat en main : « Continuez à vous enrichir, mais à deux conditions : réinvestissez en Russie, ne faites plus de politique ! » La plupart ont accepté la règle du jeu. D’autres ont bravé Poutine. Sa réponse a été sans pitié : procès, prison, exil, élimination… Placés aux postes stratégiques de l’économie et de l’administration, les amis de Poutine verrouillent le système. Cette concentration du pouvoir au profit d’une élite heurte l’Occident. En Russie, elle est traditionnelle. Les Russes l’acceptent, tant que la situation s’améliore.

Quand politique et religieux font bon ménage

Simple hasard ou effet de la Providence, Vladimir Poutine a aussi profité de l’arrivée d’un patriarche réformateur à la tête de l’Église russe, totalement en phase avec lui. Intronisé le 1er février 2009, Cyrille (né en 1946) et Poutine (en 1952) sont de la même génération, celle qui a assuré la transition entre le système soviétique et la démocratie autoritaire. Ils ont remis en place la dyarchie politico-religieuse qui fit la force de la Russie impériale. Ils se soutiennent pour rebâtir la « Russie éternelle », en accord sur la réforme politique et morale de la Russie, sur la défense des racines chrétiennes du pays et du modèle familial traditionnel (un père-une mère). Vladimir Poutine a traduit dans la loi cette synergie politico-religieuse : les biens d’Église spoliés par le régime soviétique ont été restitués au Patriarcat ; l’enseignement religieux a été réhabilité ; des aumôniers orthodoxes ont refait leur apparition dans les institutions civiles et militaires de l’État ; la propagande homosexuelle auprès des mineurs a été interdite.


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La reprise de la natalité montre le retour de la confiance dans l’avenir. La société russe adhère à ce projet politique et religieux. La démographie russe avait été catastrophique dans les années 1990-2000. Les courbes étaient quasiment suicidaires : le nombre des naissances s’était effondré de 1,9 à 1,2 million par an ; le taux de fécondité avait chuté de 1,89 à 1,17 enfant par femme. La Russie slave fabriquait plus de cercueils que de berceaux. La population russe (147 millions d’habitants) est finalement repartie à la hausse depuis 2009 : le nombre de naissances est remonté de 1,2 à 1,9 million de personnes ; le taux de fécondité s’est établi à 1,78 enfant par femme. L’accroissement naturel positif est de 250 000 à 300 000 personnes par an depuis 2013.

Ces aspects moraux de la nouvelle politique russe ont aggravé la mauvaise image de Vladimir Poutine auprès de certains cercles occidentaux. Il n’en a cure. Sa trajectoire personnelle indique même un changement majeur chez lui, à partir de 2007-2008. Poutine multiplie les gestes de la religiosité traditionnelle : signes de croix, baisers d’icônes, fréquentation assidue des monastères – retraites spirituelles ? Hier au mont Athos (Grèce), aujourd’hui à Valaam (Carélie du nord), épicentre de la spiritualité russe. Baptisé en cachette à sa naissance, Poutine ne l’a su qu’en 1993 lorsque sa mère lui rendit sa croix de baptême, lui demandant d’aller la faire bénir au Saint-Sépulcre. Depuis, il porte cette petite croix d’argent autour du cou.

L’ancien officier du KGB qui traquait les réseaux chrétiens clandestins à Léningrad à la fin des années 1970 s’est-il réellement converti ? Lecteur et admirateur d’Alexandre Soljenitsyne, il se rend à Valaam dans la plus grande discrétion. Un des moines témoigne : « Le président se confesse. Il communie. Il prie. Il a la foi. » En 2008, Poutine avait proposé à l’Europe occidentale une grande alliance « allant de Lisbonne à Vladivostok », rappelant la célèbre phrase du général de Gaulle qui parlait d’une « Europe de l’Atlantique à l’Oural ». Lisbonne, c’est aussi Fatima, dont l’une des prophéties évoque la conversion à venir de la Russie…

La Russie se refait une santé en politique internationale

À l’extérieur aussi, Vladimir Poutine a replacé la Russie au premier rang des nations, redonnant aux Russes la fierté internationale perdue à la fin de l’URSS. Les lourds investissements militaires des années 2000 et 2010 ont porté leurs fruits. Quatre engagements militaires successifs ont réaffirmé la place de la Russie. Menée directement par Poutine, la seconde guerre de Tchétchénie (1999-2005) a permis de vaincre les indépendantistes islamistes. La menace djihadiste n’a pas disparu mais le Caucase reste sous le contrôle russe, par le biais d’autocrates locaux inféodés à Moscou. En Géorgie (août 2008), l’armée russe montra ensuite sa capacité de réaction terrestre. Il lui fallut une semaine à peine pour bloquer la dérive de ce petit État du Caucase vers l’Alliance atlantique. En Ukraine (mars 2014), Poutine fut d’abord bousculé par l’élan de la révolution antirusse, soutenue par les Américains. Sa riposte surprit les Occidentaux. Il annexa la Crimée, vitale pour les intérêts stratégiques de la Russie, au terme d’un référendum gagné d’avance. Ce coup de maître, apprécié comme tel par les Russes, est aujourd’hui au cœur du lourd contentieux entre Moscou et la communauté internationale. Les Russes se défendent en assurant qu’ils n’ont fait que retourner le droit d’ingérence utilisé par l’Occident en ex-Yougoslavie (1991-1995), en Serbie (amputée du Kosovo en 1999), en Irak (2003), en Libye (2011), en Syrie (2012). Poutine avait subi le Kosovo, l’Irak, la Libye. Il a tenu bon en Géorgie, en Crimée, en Syrie, sur l’Iran.


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Son intervention militaire en Syrie, à partir de l’automne 2015, a réinstallé la Russie dans le jeu. L’ampleur et la précision des frappes russes ont surpris les Occidentaux. Elles ont changé le cours de la guerre. Bachar al-Assad a été sauvé et le difficile processus politique de transition a été relancé, cahin-caha. Rien ne pourra plus se faire en Syrie — comme en Iran — sans y associer la Russie. L’intérêt de l’Europe lui commande de prendre acte de ce nouveau rapport de force, en renouant le contact avec le président russe. Apparemment, c’est ce que souhaitait faire Emmanuel Macron, lors de son voyage à Moscou et Saint-Pétersbourg, ces 24 et 25 mai. Si Poutine ne craint pas la confrontation, il accepte aussi la discussion.


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Trois défis majeurs attendent Vladimir Poutine pour ce dernier mandat présidentiel. Il lui faut d’abord poursuivre son chantier de consolidation intérieure et de reprise de puissance à l’extérieur. Les contraintes économiques et les pressions internationales ne facilitent pas sa tâche. Il lui faut ensuite réformer une économie à bout de souffle, endormie par la manne gazière et pétrolière. Poutine doit enfin trouver un successeur à la mesure de ces chantiers. Ce « dauphin » devra être capable de tenir fermement le plus grand pays du monde (17 millions de kilomètres carrés et 150 nationalités, sur onze fuseaux horaires), hésitant entre l’Europe et sa culture occidentale envahissante, et l’Asie chinois, où pointe à l’horizon la nouvelle superpuissance du XXIe siècle.  

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