“Prenez soin de votre âme” (Cerf), de Jean-Guilhem Xerri, vient de recevoir le Prix 2019 de Littérature Religieuse, décerné par le syndicat des libraires de littérature religieuse. L’auteur, psychanalyste et biologiste médical, y fait le diagnostic de nos âmes. S’appuyant sur les recommandations des Pères du désert, il nous invite vivement à (re)découvrir notre intériorité, au lieu de la laisser en friche, et à cultiver la sobriété, remède aux grands maux de ce siècle.Notre intériorité souffre et le manifeste par différents signaux : nombre croissant de troubles anxio-dépressifs, addictions qui touchent des sujets de plus en plus jeunes, surconsommation des ménages, violences, hyperactivité. Comment en est-on arrivé là ? Jean-Guilhem Xerri, psychanalyste et biologiste médical, ancien interne des hôpitaux de Paris et diplômé de l’Institut Pasteur, s’empare du sujet et le traite avec rigueur et autorité dans son livre Prenez soin de votre âme, paru le 2 février 2018 aux Editions du Cerf.
L’auteur dénonce la définition actuellement dominante de l’être humain, qui n’est autre qu’une conception purement naturaliste et matérialiste de l’homme, niant totalement sa dimension spirituelle. Or nier cette dimension, c’est amputer l’homme d’une partie de lui-même. De ce fait, « quelle autre alternative s’offre à nous que de déprimer ou de surconsommer pour combler le vide ? » interroge l’auteur.
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Afin de prouver que la santé psychique de l’homme dépend de la qualité de sa vie spirituelle, Jean-Guilhem Xerri s’appuie sur les enseignements hérités des Pères du désert. Fuyant l’agitation du monde dès les premiers siècles du christianisme, ces sages ont vécu en ermite et ont ainsi fait l’expérience de la sobriété, exercice qui s’avèrerait aujourd’hui bienfaisant, voire vital, pour nos âmes en péril.
L’Homme, un vivant comme les autres ?
L’auteur part du constat que la société actuelle va mal : les crises économiques, sociales, politiques, écologiques, se multiplient, la souffrance psychologique explose, la vie spirituelle est dédaignée voire abandonnée au profit de l’hyperconsommation. Et si tout cela était lié ? Si le fait d’avoir mis au rebut Dieu et la religion avait des conséquences néfastes sur nos modes de vie et notre santé mentale ? Si la définition naturaliste et matérialiste que nous nous faisons de l’Homme aujourd’hui avait des répercussions sur notre manière de vivre ?
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C’est ce que démontre Jean-Guilhem Xerri, en retraçant l’histoire de la philosophie à travers les siècles, et l’évolution de la vision de l’homme. Dans l’Antiquité, Aristote affirmait que l’homme est un animal rationnel, qu’il est fait d’animalité et de rationalité, d’un corps et d’une âme, unis. A l’époque classique, la pensée cartésienne, dualiste, amène une distinction entre l’âme et le corps. L’Homme n’est pas un animal puisqu’il est doué d’une âme, et son corps est une machine. Au XIXe et XXe siècles, le structuralisme fait de l’homme un objet de science. Il n’a plus d’essence propre : il n’existe pas en tant que tel mais par les relations qui l’unissent aux autres. Il est découpé et observé selon ses comportements, sa culture, sa psychologie, ses motivations, etc…
Fin XXe, avec l’avènement de la génétique et des neurosciences, l’homme, et c’est la conception qui prédomine aujourd’hui, est considéré comme un vivant comme les autres. On assiste à un phénomène de naturalisation, de biologisation de tout son être. Selon l’auteur, cette vision naturaliste et matérialiste de l’homme est la cause d’un mal être ambiant. Nier la dimension spirituelle de l’homme, c’est l’amputer d’une partie de lui-même. La société réduit l’homme à ses seuls aspects biologiques et psychologiques. « Cette perte de consistance blesse l’homme, peut-être même à mort. Le structuralisme d’hier et le neuro-essentialisme d’aujourd’hui assurent ce travail masochiste de déconstruction de l’homme et de son intériorité. »
Dépressions, addictions, hyperactivité, hyperconsommation… seraient autant de manifestations de la souffrance de notre être amputé de sa dimension spirituelle. Il devient donc urgent de prendre soin de notre âme, en découvrant les enseignements que nous ont laissés les Pères du désert.
L’enseignement des Pères du désert
Les Pères du désert étaient des chrétiens qui vivaient dans les déserts de Mésopotamie, d’Égypte, de Syrie et de Palestine, entre le IIIe et le VIIe siècle. Ils vivaient en ermite dans des cabanes, des grottes, ou, plus extraordinaire, sur une colonne ou dans un arbre ! Ils recherchaient une vie de solitude, de travail manuel, de contemplation et de silence, dans le but de grandir spirituellement. Très vite, des colonies monastiques se formèrent et on vint de toutes parts demander conseil à ces sages.
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De leur expérience sans précédent ont été tirés les apophtegmes des Pères du désert, ensemble de conversations ou de récits rédigés par les moines, dégageant les grandes lois de la vie intérieure, que Jean Paul II considérait « comme une invitation à redécouvrir dans le vacarme de la civilisation moderne, des solitudes créatrices où l’on puisse s’engager résolument sur la voie de la recherche de la vérité, sans masques, ni alibis, ni fictions ».
On peut tirer deux grands enseignements des Pères du désert : premièrement, tout homme est inachevé à la naissance et est appelé à faire advenir son humanité, et la vie spirituelle est la source de son devenir. Deuxièmement, tout homme est constitué de trois dimensions, distinctes dans l’unité : le corps, l’âme et l’esprit. Forts de cette conviction de l’union intime entre le corps, le psychisme et le spirituel, les Pères du désert, que l’on peut qualifier de premiers thérapeutes, ont élaboré des recommandations pour soigner les « maladies de l’âme », d’une brûlante actualité. Parmi ces recommandations, on trouve l’exercice de la sobriété.
La sobriété pour guérir son âme
Afin d’expliquer quelle est la fonction de la sobriété, Jean-Guilhem Xerri emprunte la métaphore du sculpteur. « Pour créer son œuvre, le sculpteur n’ajoute rien à la matière, au contraire, il lui retire ce qui est en trop pour révéler ce qui était déjà là, faire jaillir le fond en brisant l’apparence de la forme brute. De même, nous sommes invités à nous simplifier pour qu’apparaisse ce qui est déjà en nous, pour aider notre être intérieur à refaire surface. »
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Prendre soin de son âme en exerçant la sobriété, c’est enlever le superflu, c’est se contenter du juste besoin, de la juste mesure, c’est se tenir éloigné de ce qui pourrait perturber l’âme et rompre l’équilibre esprit-âme-corps. Aujourd’hui, il y a pléthore de perturbateurs de notre intériorité : le bruit, les images, la publicité, la surabondance matérielle, l’érotisation, la dictature de la disponibilité permanente, etc… De ce fait, entrer en sobriété dans notre société nécessite une vraie décision. Ce à quoi Jean-Guilhem Xerri nous incite vivement : « Ce mode de vie n’est pas réservé à quelques ascètes ou aux seuls moines, mais il est devenu une impérieuse nécessité, tant pour l’écologie environnementale que pour nos écologies intérieures ». Le Pape François nous appelait déjà à une « sobriété heureuse » dans son encyclique Laudato Si. La sobriété vécue avec liberté et de manière consciente est libératrice : elle apporte davantage de disponibilité à ce que la vie a de beau et de profond.
De manière très concrète, Jean-Guilhem Xerri nous invite à révolutionner nos modes de vie, en y mettant plus de lenteur, de silence et de continuité. Par exemple, ne faire qu’une seule chose à la fois, ne pas interrompre une action, accorder à notre cerveau des moments de repos dans les phases de transition plutôt que de se ruer sur son portable, ralentir ses pas, apprendre à dire non aux multiples sollicitations, consommer ce qui est juste nécessaire, différer ses achats compulsionnels, redonner sa juste place au travail, écouter le silence dans sa chambre, etc…
Certains prendront cela comme une mode bobo, d’autres diront que c’est un luxe qu’ils ne peuvent s’accorder, d’autres encore qu’il faut vivre avec son temps ! Eh bien justement ! Si nous voulons vivre, faisons le choix de la sobriété : elle est devenue une nécessité vitale pour nos âmes malmenées.