Réalisatrice de L’Apôtre et de La Chute des Hommes, Cheyenne-Marie Carron réalise avec un grand courage des films exigeants qui se penchent sur l’essentiel : la foi, l’identité, l’amour vécu. Son dernier opus : La Morsure des Dieux. Une oeuvre discrète qui reste à découvrir. Aleteia : Vous avez été baptisée à 38 ans, comment vous êtes-vous trouvée attirée vers Dieu ?
Cheyenne-Marie Carron : C’est par ma mère – catholique pratiquante – que j’ai découvert Dieu. Ma mère est proche de la sainteté des gens ordinaires. Elle m’a donné l’essentiel, c’est à dire un amour inconditionnel. Et au travers de cet amour, il y avait celui de Dieu. Sans cela je n’aurais pas pu m’en sortir.
Votre film L’Apôtre s’était retrouvé frappé de plein fouet par l’actualité. Les projections se trouvant annulées suite aux attentats de Charlie Hebdo, en janvier 2015. Comment avez-vous vécu cette période ?
J’ai réussi à faire ce film malgré de nombreuses embûches, je l’ai fait pour des gens que j’ai aimés ; la sœur d’un prêtre qui a été assassinée par un musulman, et pour ce même prêtre, dont j’étais très proche. Le va-et-vient des interdictions me semblaient donc bien secondaires : un peu d’agitation dans un pays fébrile et pris par la peur. Mais ce qui compte c’est que ce film existe et qu’il circule. On m’a même rapporté qu’il circulait sous le manteau dans les pays du Maghreb…
Au bout des épreuves, vous avez pu enfin voir la lumière grâce au prix Capax Dei !
Oui. Mais le plus beau que le Vatican m’ait donné, ce n’est pas ce prix. C’est une réponse à une lettre que je leur ai envoyée. Dans une lettre adressée au Saint Père, j’ai parlé de « mon petit prêtre », de ce saint anonyme qui allait bientôt mourir, je voulais qu’au plus haut sommet de l’église mon petit curé soit connu pour le geste de Charité qu’il avait eu pour la famille du meurtrier de sa sœur. Après le meurtre il avait en effet dit : « Je reste vivre auprès de la famille du meurtrier car ma présence les aide à vivre ».
Le Vatican m’a gentiment répondu, en m’encourageant pour la préparation de mon baptême en cours à l’époque. Mais surtout ils ont envoyé l’évêque de Valence saluer ce prêtre dans la chambre de sa maison de retraite. L’évêque est rentré et devant l’un de ses prêtres, mourant, il s’est mis à genoux. Quelques semaines plus tard ce prêtre a quitté ce monde. Cette histoire montre à quel point notre Église peut être grande.
La Chute des Hommes met en scène deux jeunes Français qui se font face au cœur de la spirale terroriste : l’un a rejoint les rangs islamistes et a pris le nom de Abou Abdel Rachid, l’autre est une jeune idéaliste prise en otage. Et tous deux sont l’occasion d’une belle réflexion sur le martyr et la rédemption.
Lucie n’accepte pas réellement son martyre, elle refuse de renoncer à sa foi, elle fait face, elle affronte son bourreau, ça n’est pas la même chose. Elle s’affirme chrétienne par sa mère et païenne par son père, et face à l’islamiste qu’elle défie, c’est elle la plus forte. Face à son couteau, elle n’a pas d’arme à opposer, mais elle n’a rien renié, et son arme finalement c’est son courage, sa foi, et la conscience de son héritage. Plus tard dans l’histoire, Abou Abdel Rachid, ce Français ayant embrassé l’Islam, entreprendra un chemin de conversion… Peut-être aussi en se souvenant du modèle de force de ce petit bout de femme qui semblait au premier abord légère et sans consistance.
Vous portez des films exigeants, cherchant à approcher avec justesse des sujets difficiles. Cela a fait de vous une cinéaste solitaire, où trouvez-vous la force de poursuivre votre mission ?
Je fais des films dont les sujets me tiennent terriblement à cœur, alors Dieu m’aide à les faire.
Vos maîtres en cinéma sont Rohmer et Pialat, mais concernant la foi, qui sont les auteurs sur lesquels vous comptez ?
Bernanos et Pasolini. La lecture de Sous le Soleil de Satan, et du Journal d’un curé de campagne, m’ont bouleversée. Quant à Pasolini, il me touche par sa défense du petit peuple contre les puissants, malgré toutes ses déchirures, une nostalgie chrétienne transpire dans son œuvre, ses poèmes, ses prises de position. Finalement, il défendait l’Église mieux que personne, en exigeant d’elle qu’elle devienne « le guide de tous ceux qui refusent le nouveau pouvoir de la consommation ». J’aime écouter Georges Bernanos et Pier Paolo Pasolini me parler de Dieu.
Quels sont les lieux où vous aimez prier, vous ressourcer ?
Dans le cimetière de Passy. C’est idiot, mais c’est un lieu d’une grande beauté et d’une grande religiosité pour moi.
Dans une époque qui semble grise, où se trouve encore cachée la beauté du monde ? N’est-ce pas elle que vous traquez finalement film après film ?
La beauté s’offre à celui qui fait l’effort de la chercher. J’essaie de la montrer dans mes films, mais je ne suis pas certaine de toujours bien y parvenir …
Propos recueillis par Thomas Renaud
Découvrez un aperçu du dernier film de Cheyenne-Marie Carron, La Morsure des dieux :
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