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Le grand entretien (2/2). Jacques Julliard : “L’école doit être un lieu de résistance à la société de l’inattention”

Couverture de "L'École est finie" de Jacques Julliard © Flammarion

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Camille de Montgolfier - publié le 12/11/15
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Comment rendre à l’école sa vocation de sanctuaire d’apprentissage, loin des pressions du monde ?Dans son dernier essai L’École est finie paru cet l’automne, le journaliste et historien Jacques Julliard fait le constat d’un abandon de l’école et du corps enseignant par les gouvernements successifs. Alors qu’elle devrait être un sanctuaire, l’école est soumise à la double pression de l’argent et du politique qui interfèrent de plus en plus dans le rapport élève-professeur.

En sapant l’autorité des professeurs, les politiques ont livré les élèves à l’autorité du groupe, et l’école est devenue un lieu de souffrance pour de nombreux enfants, comme les cas de suicide le montrent.

Aleteia : À l’école, on est passé de l’idée de transmettre un savoir à celle de transmettre des valeurs.Qu’est-ce que cela dit de notre société ?
Jacques Julliard : On a toujours prétendu transmettre des valeurs. La République de Jules Ferry est fondée sur des valeurs intellectuelles – la raison – et morales – le respect, la liberté. Aujourd’hui, on essaye de compenser l’absence de transmission des valeurs par des cours de morale. Mais la morale ne s’enseigne pas. Elle n’est efficace que par l’exemple vivant, vécu. La morale n’est pas de l’ordre de la pensée, mais de l’ordre de l’action.

La violence de la société est entrée à l’école où de nombreux enfants vivent un calvaire. Comment refaire de l’école un sanctuaire ?
D’abord, faire savoir aux enfants – car on ne le fait plus – que l’école est incompatible avec la violence. De ce point de vue, il faut que les enfants sachent que les actes de violence seront sanctionnés, or ils ne le sont pas.

L’idée qu’en aucun cas on ne peut priver un enfant d’école est destructeur de l’idée d’école. Il faut qu’un enfant sache que s’il refuse de suivre les règles il peut s’exclure au moins en partie de la société scolaire. Le fait de considérer qu’une exclusion est un scandale n’est pas acceptable. Autrefois, on sanctionnait bien plus sévèrement.

Il n’y a pas que les sanctions. C’est tout l’enseignement qui doit être orienté contre la violence dans la société. Or, par démagogie, l’école l’accepte souvent. Par exemple, elle n’ose pas s’opposer à ce qui est véhiculé par la télévision. Pire : on essaye de s’appuyer dessus en pensant que cela passera mieux.

Or, les enfants sont déjà contaminés par l’individualisme de leurs parents. Il faut recréer un milieu scolaire à travers des lieux de sociabilité dans l’école, des études surveillées, et monter que ce milieu est différent. Et, de ce point de vue, il faut s’opposer fermement aux parents d’élèves.

Redoutez-vous une entrée massive du numérique à l’école, comme l’a annoncé le gouvernement ?
Je ne le redoute pas, je pense simplement que cela montre l’incapacité du gouvernement à comprendre ce qu’est foncièrement l’école. Le numérique est un moyen, pas un but en soi. S’appuyer sur le numérique pour renoncer à faire de l’école un milieu humain est absurde. De plus, ce n’est pas dans le domaine du numérique que les enfants ont des difficultés. On ne peut pas être contre le numérique mais ce n’est pas le numérique qui suffira à changer l’école.

Vous parlez du déclin de l’attention dans l’apprentissage des étudiants du fait des technologies modernes. Au-delà des études, quelles conséquences sur les rapports sociaux ?
J’ai défini la société moderne comme une entreprise systématique d’éparpiller l’attention. “Le contraire de l’attention est le divertissement”, disait Pascal. Quand j’entends la ministre dire qu’il faut surtout divertir les élèves, je me dis qu’elle n’a rien compris à ce qu’est l’école, qui doit être lieu de l’apprentissage du contraire : de l’attention, de la concentration. L’école doit être un lieu de résistance à la société qui est une société de l’inattention aux choses et aux êtres. Simone Weil définit l’attention comme la forme supérieure de l’amour. Aimer quelqu’un c’est être attentif à lui ; qu’on ne l’oublie pas.

Comment rendre à l’école la stabilité dont elle a besoin pour instruire paisiblement les élèves ?
Arracher l’école à la tyrannie des parents d’élèves, de la politique et supprimer le ministre. J’ai proposé de créer un haut-commissaire nommé pour cinq ans, rattaché directement au Premier ministre avec des pouvoirs étendus et une certaine indépendance. Mais surtout, il faut arrêter de faire des réformes ; l’école a besoin de stabilité, loin de l’ingérence de la politique.

Propos recueillis par Camille Tronc 

Retrouvez la première partie de cet entretien en cliquant ici

L’École est finie de Jacques Julliard. Flammarion, 2015, 12 euros.

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