L’adaptation des enfants lors d’un déménagement demande du temps, et dépend de leur propre confiance en eux, affirme la psychothérapeute Virginie Tesson. Comment les aider à passer ce cap difficile ?
Que se passe-t-il chez l’enfant lors d’un déménagement ?
Virginie Tesson : Ce qui caractérise un déménagement, c’est la perte des repères. Elle fragilise les plus faibles. Chez les plus jeunes, ce déséquilibre peut se manifester par des troubles du comportement, de l’appétit, ou, plus souvent, du sommeil. L’enfant ne peut pas s’endormir, ou bien pleure en se couchant, et se réveille plusieurs fois par nuit, comme s’il était perdu. Chez les plus grands, le plus difficile reste la rupture du lien d’amitié.
La réaction des enfants au changement dépend directement de leur degré de confiance en eux, et de leur confiance en la vie. Si elle est bonne, ils peuvent traverser cette perte de repères et d’amis, rester confiants, aller vers les autres, se laisser apprivoiser. Si elle est faible, la perte va se vivre douloureusement, avec une tendance à s’isoler. Un enfant aura besoin de temps, plusieurs semaines au moins, pour absorber le changement.
Pourquoi ce changement est-il si perturbant ?
Le déménagement vient réactiver une angoisse de séparation qui, parfois, trouve son origine dès le sein maternel. Quand la maman va bien, qu’elle est heureuse, l’enfant in utero sent l’amour de sa mère. Lorsqu’elle souffre, pour quelque raison que ce soit, l’enfant ressent comme un manque d’amour. Cela s’inscrit dans sa mémoire inconsciente, et peut se réactiver lors d’une séparation ultérieure comme un déménagement.
Comment accompagner l’enfant dans cette angoisse ?
Comme pour tous les troubles liés à une angoisse de séparation, je conseille à la maman de relire avec son enfant l’histoire de sa vie. Reprendre les moments douloureux, lui dire que dans ces moments-là, même s’il ne le sentait pas, il continuait d’être aimé. Puis évoquer avec lui la souffrance manifestée au cours du déménagement et l’inviter à choisir de croire que, dans cette situation encore, il continue d’être aimé de son papa et de sa maman. Insister : leur amour demeure pour toujours, alors qu’il voit tant de changements autour de lui.
De quelle manière informer l’enfant ?
Parler le plus tôt possible aux enfants leur donne le temps de s’y préparer. Les parents doivent leur dire ce qu’ils savent, et surtout comment eux-mêmes vivent ce changement. Ils expliquent les raisons de leur choix : « Nous avons pensé que nous pourrions changer de ville pour que papa y soit heureux dans son travail, et parce qu’un papa à sa place dans son travail, c’est bon pour toute la famille ». Un déménagement compris par tous est une source de force et d’unité.
Comment respecter le rythme et le cheminement de chaque enfant ?
Que chacun ait la capacité de s’exprimer sur ce qu’il ressent : « Quelles sont tes peurs, les difficultés que tu appréhendes ? Qu’est-ce qui te réjouit ? » Au premier rang des inquiétudes, figure la perte des amis. Aux plus grands de maintenir leurs anciens amis s’ils le désirent. Je n’aime pas dire : « Tu en trouveras d’autres ». Chaque rencontre, chaque amitié est unique, on ne peut les remplacer. Mais « tu auras de nouveaux amis, en plus », ça oui. Tout ce qui a été vécu auparavant est une richesse. Ce trésor n’est pas enlevé, au contraire, il reste pour toujours, pour peu qu’on le désire.
Le déménagement peut-il être une occasion de grandir ?
Oui, il peut être pour certains un chemin de croissance. Mais attention : psychologiquement, ce changement s’apparente à un deuil. Les membres de la famille vont connaître des moments de découragement, de tristesse (ne plus voir tous les jours ceux que l’on aime), de peur (est-ce que je vais avoir la capacité de me plaire ici, de renouer des liens d’amitié ?). Chacun doit pouvoir exprimer ses sentiments, les adultes comme les enfants.
Quels conseils donneriez-vous à des enfants qui ont du mal à s’adapter à leur nouvel environnement ?
Il n’y a pas de conseil miracle, puisque le problème d’adaptation est lié à une difficulté plus ancienne. Surtout, ne pas positiver – « Tu verras, ce sera super ! » –, mais au contraire, chercher vraiment à rejoindre l’enfant dans ce qu’il vit de douloureux, l’aider à nommer ses pertes. L’essentiel est de le mettre face à son choix, de l’inviter à choisir la vie, le bonheur, et ainsi à sortir de lui et à oser aller à la rencontre. Dans les premiers temps, il ne faut pas interroger les enfants sur leur travail à l’école, mais sur leurs relations : « As-tu rencontré des amis ? Comment s’appellent-ils, que font-ils, à quoi jouent-ils ? » Qu’ils aillent vers les autres et vivent cette joie de se laisser accueillir.
Propos recueillis par Raphaëlle Simon