Nombreuses sont les personnes qui souffrent de troubles du sommeil. Si certaines pathologies invitent à consulter, une bonne hygiène de vie suffit parfois à dissiper des difficultés passagères.
La quantité de sommeil est-elle aussi importante que sa qualité ?
Olivier Follin : Ce qui compte, ce n’est pas tant le nombre d’heures de sommeil que la sensation au réveil : est-ce que je me sens reposé ? Il existe de rares profils de courts dormeurs se contentant de cinq ou six heures de sommeil. Mais la grande majorité a besoin de sept à neuf heures.
L’électricité a introduit une petite révolution dans nos rythmes de vie. Au siècle dernier, on s’éclairait à la bougie, à la lampe à pétrole. Dans une France encore très rurale, la soirée ne s’éternisait pas : minuit représentait réellement le milieu de la nuit. Aujourd’hui, les programmes télévisés commencent à 21 h. Les Français se couchent vers 23 h. Mais la qualité du sommeil prévaut sur la quantité.
Quelles sont les conséquences d’un manque de sommeil ?
Une légère dette ne pose pas de problème, au contraire : la fatigue facilite d’autant l’endormissement le lendemain. Ne dramatisons pas, ce n’est pas parce qu’on a mal dormi une nuit que la semaine est gâchée ! Le problème se situe dans la répétition de nuits courtes. Une dette chronique s’installe alors. Ce déficit a une incidence directe sur l’humeur, et donc sur la vie sociale : irritabilité, nervosité, problèmes de concentration. Cela influe également sur la faculté à raisonner. Si vous travaillez derrière un bureau, vous ne serez pas très efficace. Mais si vous êtes chauffeur de bus ou contrôleur aérien, une baisse de vigilance et un endormissement peuvent avoir des conséquences fatales.
Dans ce cas, une sieste serait la bienvenue. À quelles conditions est-elle réparatrice ?
Après un repas, la digestion entraîne un afflux de sang dans les intestins, au détriment du cerveau, ce qui explique l’apparition de somnolences. Le début de l’après-midi est donc le moment idéal pour la sieste. Mais attention : une sieste s’avère bénéfique si elle n’excède pas quinze minutes. Car si l’on fait un cycle complet de sommeil (de 60 à 90 minutes), le réveil est difficile, on est « vaseux » et peu alerte. Alors qu’après un sommeil réparateur, notre efficacité se multiplie par deux. Si l’on ne peut dormir en pleine journée, une façon de se régénérer consiste à faire une pause de quelques minutes, en fermant les yeux et en relâchant complètement le corps.
Le sommeil évolue-t-il avec l’âge ?
À partir de la quarantaine, le sommeil devient moins profond, donc moins récupérateur. À l’âge adulte, il est souvent plus perturbé chez les femmes que chez les hommes, notamment en raison du cycle menstruel et de ses variations hormonales. À la ménopause, certaines se réveillent en pleine nuit à cause des bouffées de chaleur. Quant aux plus de 75 ans, 40 % d'entre eux se plaignent de leur sommeil. Les insomnies sont plus fréquentes, leur prise en charge souvent mal adaptée, et la prescription de somnifères est plus importante.
Qu’en est-il des adolescents ?
Avec les jeunes, le problème survient davantage des écarts de rythmes trop importants entre la semaine et le week-end. Après une nuit bien entamée, voire blanche le vendredi et/ou le samedi, ils dorment le dimanche jusqu’à 14 h pour récupérer. Et n’ont pas sommeil le soir. D’où des lundis qui ne chantent pas !
Une bonne hygiène de vie influe-t-elle sur nos nuits ?
Pour bien dormir, l’une des clés consiste à se dépenser physiquement dans la journée. Notre sédentarité fait que nous sommes assis du matin au soir : derrière un bureau, dans les transports en commun ou la voiture. Or, plus on se dépense physiquement, plus le besoin de récupérer se fait sentir, plus le sommeil sera intense et profond. Une activité physique quotidienne de trente minutes est recommandée. Elle introduit un contraste entre le jour où nous sommes actifs, physiquement et intellectuellement, et le soir où nous devenons passifs, où nous ralentissons, afin d’aborder paisiblement la nuit. Elle aide également à évacuer une certaine tension nerveuse. Le sport est l’un des meilleurs antidépresseurs. Il fait sécréter des endorphines, les hormones du bien-être, et la sérotonine, l’hormone de la bonne humeur.
Pour bien dormir, l’une des clés consiste à se dépenser physiquement dans la journée.
Dans votre ouvrage Je dors mal ! Guide de premiers secours pour un sommeil de qualité vous soulignez également l’importance de s’exposer à la lumière du jour. Pourquoi ?
Le soleil joue un rôle capital sur notre horloge interne. Grâce à son action sur l’hypothalamus, il envoie un signal d’éveil, tandis que l’obscurité fait passer un message de sommeil. Or, en hiver, la métropole subit un déficit de lumière, ce qui peut influer sur la synchronisation de l’horloge interne. Si la luminothérapie demeure onéreuse, chacun peut essayer de s’exposer un maximum à la lumière extérieure, notamment en sortant lors de la pause déjeuner, pour ceux qui travaillent. À l’intérieur, privilégiez les lieux situés près de la lumière. Pourquoi ne pas envisager d’agrandir une fenêtre ou d’ouvrir une baie vitrée ? Enfin, n’hésitez pas à installer des tubes ou des ampoules fluo-compacts qui diffusent une lumière plus blanche, se rapprochant de celle du jour. Elle dynamise sans agresser ni fatiguer les yeux comme les néons dont le léger clignotement procure une sensation désagréable à la longue.
Comment décompresser en fin de journée ?
Quand on rentre le soir, j’invite à enfiler une tenue décontractée ou des chaussons. Certaines personnes n’en prennent même pas le temps. Or symboliquement cela signifie : « Je mets de côté mon travail et je le reprendrai demain ». La plupart des insomniaques ne parviennent pas à décloisonner de la sorte : ils vivent en permanence avec leurs dossiers, y compris la nuit.
Quelques conseils pour la soirée ?
Plus on dîne tard, plus on repousse l’endormissement. L’idéal serait de passer à table au moins deux heures avant d’aller au lit. Le dicton se vérifie : petit-déjeuner de roi, déjeuner de prince, dîner de pauvre. Pour ne pas ralentir la digestion, ce dernier gagnera à être léger, sans plats en sauce, à base d’huile, et très peu d’alcool : un verre, pas plus. L’alcool favorise l’endormissement, mais il déshydrate et provoque un sommeil entrecoupé, voire des réveils à cause de la soif. Autant que possible, mieux vaut aussi éviter les écrans (télévision, ordinateur, console de jeux) avant de s’endormir : le flux d’images stimule le cerveau.
Par son côté répétitif, un rituel déclenche une sorte de conditionnement. À chacun de l’adapter, selon ses goûts. L’objectif est de se ralentir, notamment dans la dernière demi-heure. Cela peut passer par une douche tiède (trop chaude, elle ferait augmenter la température du corps, qui a au contraire besoin de baisser). Contrairement aux idées reçues, mieux vaut réserver la douche chaude au matin. Ou un bain de vingt minutes, de préférence avant le repas, avec tout ce qu’on veut de sels et de senteurs apaisantes.
On peut faire un tour de la maison pour éteindre la lumière, fermer portes et volets, embrasser les enfants : une façon de sécuriser. Prévoir un livre dont on ne quitte pas la lecture à regret. Expérience encore plus profonde, la méditation apporte calme, équilibre et paix intérieure.
Il est difficile de se détendre quand on appréhende de passer une mauvaise nuit. Comment s’apaiser ?
La plupart refont mentalement leur journée : « J’ai oublié d’envoyer cet e-mail, il faut que j’achète cela, lui ai-je précisé ceci ? » Or pour s’endormir, une condition essentielle est de n’avoir rien en tête, d’être comme une montgolfière totalement dégonflée au sol. Dans des cas extrêmes, certains se mettent une pression telle que s’endormir devient impossible : « Vais-je réussir à fermer l’œil ? Serai-je en forme demain ? En plus, j’ai une réunion importante » Pour peu que ce schéma se répète, un cercle vicieux se dessine.
Pour se détendre, il existe un arsenal de techniques : prévoir sur sa table de nuit un papier et un crayon afin d’établir une « to-do list » : il s'agit de jeter par écrit tout ce qui préoccupe. On peut aussi compter les moutons à rebours afin de se vider l’esprit. Ou encore se focaliser sur des parties de son corps que l’on sent s’alourdir une à une : les jambes, les bras, la tête ;
Et si cela ne suffit pas ?
Beaucoup d’introvertis, qui peinent à évacuer leurs émotions, fonctionnent sur un mode auditif, particulièrement le soir. Dans la journée, ils n’ont pas tellement le loisir d’écouter cette petite voix dans la tête qui parle constamment. Mais le soir, ils sont littéralement assaillis d’inquiétudes, de doutes, de regrets, de reproches. Pour casser ce phénomène, il s’agit de passer en mode visuel.
En relaxation, j’utilise la technique de l’imagerie mentale. Il suffit de se représenter une image. Pour certains, cet exercice s’avère très difficile. Je conseille une image apaisante et neutre, comme un paysage connu ou imaginé : forêt, rivière, désert, montagne. Au départ, elle apparaît et disparaît. En la faisant réapparaître, le flash devient au fur et à mesure une petite séquence, puis une grande séquence. Lorsqu’elle se stabilise, c’est gagné. Comme pour un tableau, plus on la regarde, plus des détails apparaissent. Si on est « pris » par cette image, on se déconnecte de ses tensions, on lâche ses soucis. Et lorsqu’on parvient à « naviguer » dedans, le somnifère devient inutile, car il s’agit déjà d’une forme de rêverie.
Vous soulignez également l’importance de la respiration. Un exercice à la portée de tous ?
En règle générale, nous ne respirons pas très bien : nous inspirons trop et n’expirons pas assez. Il s’agit d’une respiration « claviculaire », qui reste haute, au niveau des épaules. Or de petites inspirations ne remplissent pas assez les poumons. À l’inverse, une inspiration profonde permet de remplir toute la cage thoracique. En jouant de l’abdomen, tout l’air inspiré est utilisé. Une meilleure oxygénation procure une détente immédiate.
Pour trouver le bon geste, allongez-vous et placez votre main sur le ventre. C’est lui qui doit se gonfler en premier, puis vos poumons. Essayez l’exercice de la respiration en quatre temps : inspirez lentement, restez en apnée - vous pouvez tenir jusqu’à vingt secondes : plus on s’entraîne, plus c’est facile -, puis expirez profondément et attendez au moins deux secondes avant de recommencer.
Pratiquer ce type de respiration le soir se substitue à toutes nos pensées. Concentrée sur sa respiration et ses effets, la personne ressent un bien-être, se détend, baille… le sommeil n’est pas loin !
Propos recueillis par Stéphanie Combe.