Les baisers sont parfois dévalués, appauvris, standardisés : baisers pour faire comme tout le monde, pour séduire, pour jouer à l’adulte, ou encore baisers narcissiques, où l’autre n’est qu’un instrument de sa seule jouissance. Et pourtant, dans tout geste amoureux se cache une certaine gravité.
Il en est de l’amoureux comme du joueur d’échecs
Le baiser est trop beau pour être gâché. Comment nier la densité, l’impact du geste dans toute relation humaine ? Le geste est un moyen formidable de communication : il rend visibles et "palpables" les sentiments les plus intérieurs, les plus forts. Regardez sur un stade les embrassades délirantes des joueurs qui viennent de marquer un but !
Croire qu’un geste en amour n’a pas de conséquences est une naïveté. Le geste modifie la relation. Il y a une singulière différence entre désirer et faire. Réaliser le désir, c’est passer à l’acte. Poser un geste amoureux, c’est changer quelque chose dans le déroulement de la relation. Passer des regards aux caresses anodines, des caresses au baiser, du baiser à l’acte sexuel, c’est chaque fois franchir des paliers comportant souvent l’impossibilité de revenir en arrière. Il en est de l’amoureux comme du joueur d’échecs : dès que celui-ci a déplacé une pièce, la partie est engagée. D’où la nécessité de la lenteur prudente à maintenir en attente le geste décisif.
Quand le baiser a des conséquences sur l’avenir
Autant le geste a sa place normale dans la relation amoureuse établie qu’il vient alors nourrir, fortifier, célébrer, autant il doit être prudemment posé dans une relation débutante. Trop personnes qui reçoivent un baiser ont souvent tendance à penser qu’elles sont aimées follement… et pour toujours ! "Pourquoi m’as-tu embrassée si ce n’était pas sérieux ?", dira une femme, le jour où son amoureux cessera la relation. Le baiser est souvent vu comme un véritable engagement.
Le meilleur baiser n’est pas le baiser le plus appuyé, mais celui qui dit le plus : ‘’Je t’aime’’.
Le baiser peut troubler, créer des culpabilités et marquer pour l’avenir, entraînant des comparaisons nocives dans la vie conjugale de demain. Enfin, il rend plus douloureuses les ruptures. Et plus loin il est allé, plus dure est la séparation. Rompre avec un flirt platonique, ça fait mal. Après un échange de baisers passionnés, ça fait très mal. Quand on est allé jusqu’au don de soi, ça fait très, très mal. Après des mois de vie commune, ça fait très, très, très mal, aussi mal qu’un divorce !
Certes, il ne faut pas dramatiser les conséquences possibles des gestes amoureux, tel qu’un baiser. Mais s’ils sont vécus "sans problème", c’est peut-être le signe qu’ils se sont terriblement banalisés. Vidés de toute signification, ils ont perdu en qualité ce qu’ils ont trouvé en quantité. "Le baiser le meilleur, disait un jeune, n’est pas le baiser le plus appuyé, mais celui qui dit le plus : ‘’Je t’aime’’."
Trois conditions pour qu’un baiser devienne un vrai symbole d’amour
Si l’on désire des gestes d’amour riches, épanouissants, porteurs de plaisir et de joie, trois exigences s’imposent :
À ces seules conditions, le baiser devient alors un très beau symbole d’amour, le signe à la fois du don et de l’accueil. Croire à l’amour, à ses joies, à ses voluptés, c’est en respecter les signes, les rites, et s’en interdire les simulacres et les profanations.
Le baiser est un geste admirable, c’est pour cela qu’il ne faut ni le prostituer ni jouer avec, mais le réserver. Il est l’échange des souffles qui signifie l’échange de nos profondeurs : "Je me décentre afin de n’être plus à moi-même mon propre centre, mais que désormais mon centre ce soit toi". Aimer, c’est vivre pour l’autre (c’est le don) et vivre par l’autre (c’est l’accueil) - et le baiser en est le signe merveilleux ! Rien d’étonnant à ce que les Pères de l’Église aient pu appeler l’Esprit saint "le baiser du Père et du Fils "!
Denis Sonet