Un enfant ne peut ou ne sait pas toujours exprimer avec des mots ses émotions et ses sentiments, mais les formes qu’il dessine et les couleurs qu’il utilise peuvent parler à sa place. Quelques pistes pour mieux comprendre vos enfants à travers leurs chefs-d’œuvre. « Dans les dessins d’enfants au même âge, il y a des similitudes conformes à leur développement psychomoteur. Pourtant, leur approche du monde environnant est tout à fait personnelle. Elle va rendre très délicate une interprétation “objective” de ce qu’ils dessinent. L’enfant vit dans un monde différent du nôtre, un monde qui ignore la logique et dans lequel son imaginaire prime sur le réel et sur la raison », explique Antoinette Muel, psychologue. Pour Martine Bacherich, psychanalyste pour enfants, « l’enfant entre dans son dessin comme dans un tableau, y exprime ce qu’il vit, ses relations avec les autres. Il apporte lui-même les données de l’interprétation par ce qu’il en raconte. » Bouleversants de spontanéité, troublants de vérité, parfois taillés dans le vif, les dessins d’enfants intriguent. Que peut-on dire de ces gribouillis, de ces envolées qui surgissent avec prodigalité ou de ces chefs-d’œuvre patiemment construits ?
Le dessin à travers les âges
Jusqu’à 2 ans, l’enfant s’intéresse seulement au geste, aux traits, aux taches, et aux traces laissés sur la feuille. C’est l’âge du gribouillage, sans aucune volonté de représentation. Le geste n’est pas contrôlé. Entre deux et trois ans, le petit découvre par hasard une analogie entre un objet et son tracé : phase dite de « réalisme fortuit ».
Progressivement, il cherche à reproduire les formes lors d’un apprentissage difficile. L’entourage l’initie et l’encourage. Le dessin possède une représentation symbolique. Entre trois et quatre ans, le dessin représente la perception que l’enfant a de la réalité. C’est en cela qu’il est instructif. C’est le stade du « réalisme fortuit ». De cinq à sept ans, l’enfant commence à dessiner ce qu’il sait, mais non vraiment ce qu’il perçoit de l’objet : phase de « réalisme intellectuel ». Il s’inspire de son modèle « interne », d’où ces bonshommes, ces maisons transparentes, ces représentations sans respect des perspectives et proportions.
De 7 à 12 ans, il s’achemine vers le « réalisme visuel ». La perception prend un caractère intellectuel avec un souci d’objectivité. Il adopte peu à peu les conceptions spatiales de l’adulte. Martine Bacherich note ce changement : « À cet âge, les jeunes commencent à produire des dessins moins extraordinaires, car ils sont sur un versant d’adaptation, très sensibles à l’imprégnation culturelle ambiante. Le dessin se tarit, les enfants s’y intéressent moins. L’adolescent dessine souvent des choses conventionnelles et assez stéréotypées et l’on a beaucoup plus de mal à entrer, par son dessin, dans le vif de ses représentations imaginatives, de son affectivité, et de son comportement intérieure ».
Quand un dessin en dit long sur le caractère de l’enfant
Pour le Dr Aubin, médecin des hôpitaux psychiatriques, « il est primordial d’observer le déroulement du dessin, dans le temps et dans l’espace ». « Beaucoup d’enfants restent tendus tant qu’ils n’ont pas rempli la feuille de signes rassurants (pluie, neige, nuages, oiseaux), d’autres n’utiliseront qu’une infime partie de la feuille. Il faut être attentif à la clarté, la dimension, le dynamisme, l’originalité, de noter le premier geste, puis les ajouts, les gommages, les ratures, les répétitions, les commentaires spontanés… Le geste est-il ample, spontané, ou retenu et timide, le trait est-il appuyé ou léger ? » Autant d’indices bien connus des graphologues, qui collaborent d’ailleurs largement, par leur connaissance de l’écriture, à l’interprétation du dessin d’enfant.
Certains signes concrétisent une recherche de sécurité – voûte, arc-en-ciel, cercle magique.
Le dessin peut d’ailleurs en dire long sur le caractère de l’enfant. Par exemple, l’émotif hésite, gomme, tâche, oublie les détails importants. Le graphisme est irrégulier, inégal, souvent tremblé. Certains signes concrétisent une recherche de sécurité – voûte, arc-en-ciel, cercle magique. Le bonhomme est trop grand ou trop petit. À l’inverse, chez le non émotif, le graphisme est sec, maigre, le tracé est régulier, équilibré, la mise en page est centrale. Le bonhomme est bien proportionné.
Chez un enfant actif, la lisibilité du dessin est bonne, le tracé ferme et net. L’enfant entre vite en action et poursuit le but qu’il s’est fixé. Pour le personnage, la feuille est volontiers prise dans le sens de la hauteur. Le non actif, quant à lui, est un dessinateur lent, rêveur. Il change d’idées, hésite devant la moindre difficulté (mains, pieds). Le dessin est parfois inachevé, la lisibilité est peu aisée. Le bonhomme est rudimentaire, les traits sont mous (bras tombants).
Chez un extraverti, le dessin est improvisé, peu ordonné. Quant à un introverti, il dessine avec ordre et méthode.
Chez un extraverti, le dessin est improvisé, peu ordonné. L’enfant est mobile, s’inspire du présent, de l’actualité, de la nouveauté, de l’ambiance, de l’imprévu. Le bonhomme est souvent plus grand que la normale. Quant à un introverti, il dessine avec ordre et méthode. Ses représentations sont le reflet de son monde intérieur. Le style est sobre, le graphisme est petit, serré, dense. L’enfant a tendance à centrer le graphisme dans un coin. Le bonhomme est souvent de profil et de petite taille.
Faire attention aux formes et aux couleurs
Les enfants sont attirés par ce qui est coloré et brillant. Ils expriment souvent une émotion ou de la tristesse par des couleurs sombres et ternes. Le rouge aura la préférence d’un enfant ardent, passionné, batailleur. C’est aussi la couleur fétiche des petits. Certains enfants délaissent les feutres aux tons trop vifs, pour des crayons aux teintes nuancées, ils peuvent faire preuve d’un peu de timidité ou de réserve. Un dessin très coloré dénote une nature vivante et gaie.
L’eau peut symboliser la mère et donc aussi les sentiments ambivalents que l’enfant peut éprouver pour elle. Elle est la fécondité, la matrice, et introduit un élément féminin bénéfique, très révélateur de la vie affective de l’enfant. La mer désigne aussi l’inconscient dans toute sa profondeur. Un soleil qui surplombe évoque la lumière, la chaleur, la sécurité. C’est l’image paternelle qui, acceptée, brille à son zénith ou, renvoyée discrètement derrière une montagne, peut être redoutée. Le soleil peut aussi représenter une autorité ou une image « paternelle » de substitution : le grand-père, l’instituteur, le médecin, le chef scout…
La maison, c’est le lieu clos, par excellence. On peut y trouver le meilleur comme le pire…
Quant à la maison, c’est le lieu clos, par excellence. Elle représente une certaine protection et une chaude intimité, lorsque l’on voit la lumière de l’intérieur. Elle est accueillante avec une cheminée qui fume, des portes et des fenêtres ouvertes sur l’extérieur. On peut y trouver le meilleur comme le pire : elle peut être caverne d’Ali Baba ou antre de bêtes féroces. Si elle ne comporte ni fenêtres, ni cheminée, elle devient une prison sans accès, ni sortie. En revanche, si son chemin est vaste et bordé de fleurs, il atteste la possibilité de sortie, et donc d’extériorisation. Mais, s’il se transforme en labyrinthe inextricable, ou encore s’il ne mène nulle part, il indique une situation sans issue ou pleine de difficultés.
Interpréter les dessins de ses enfants avec prudence
Devant un dessin qui intrigue, peut-on détecter une souffrance ou un trouble ? À l’inverse, l’équilibre d’un enfant se mesure-t-il dans un dessin ? « Les parents doivent résister à la tentation de projeter eux-mêmes une explication de ce que l’enfant a couché sur le papier, c’est trop délicat et peut s’avérer dangereux », affirme Jacqueline Besson, graphologue-conseil spécialisée dans l’écriture des enfants et l’interprétation des tests dessinés. « Cependant, d’un simple coup d’œil, ils peuvent constater si l’ensemble dégage une impression d’équilibre et d’harmonie. Tout ce qui est proportionné, souple, varié, vivant, coloré, et c’est le cas de l’immense majorité des dessins, doit être valorisé. À l’inverse, trop d’exagération, de disproportions, les thèmes ou les images qui reviennent de façon récurrente, tout ce qui relève d’une forme d’obsession, les excès en général de quelque nature qu’ils soient, trop de “tout” ou trop de “pas assez”, peuvent correspondre à une difficulté chez l’enfant. », précise-t-elle.
Dans le cabinet de Martine Bacherich, les enfants dessinent parfois des façades lézardées, des éléments sens dessus dessous. « Une certaine fragilité pourra s’exprimer dans l’absence d’organisation cosmique : pas de soleil ou trop de soleils, un enfant déprimé fera des dessins exclusivement marrons ou noirs… Mais le dessin nous sert surtout à rebondir sur l’histoire de l’enfant qui est dans celui-ci et qu’il raconte, car ce qu’il dessine, c’est toujours lui. En aucun cas, on ne peut interpréter isolément un signe. Rien n’a de sens si ce n’est remis dans un contexte plus global. », affirme-t-elle encore.
L’enfant est souvent sous le coup d’émotions diverses. (…) C’est donc avec beaucoup de prudence qu’il convient de se lancer dans une interprétation de dessin d’enfant.
« L’enfant est souvent sous le coup d’émotions diverses, explique Jacqueline Besson. Un jour, le dessin peut être sombre, le lendemain, coloré. Le dessin est quelque chose de très immédiat. Il suffit que les parents fassent preuve de bon sens pour ne pas tirer des conclusions hâtives ou alarmistes. Dans certains cas, liés à d’autres symptômes, s’ils ont l’intuition d’une souffrance, ils peuvent se faire conseiller par un spécialiste… ne serait-ce que pour se rassurer. » C’est donc avec beaucoup de prudence qu’il convient de se lancer dans une interprétation de dessin d’enfant, en prenant bien soin d’en retenir que des indices d’orientation, des hypothèses qu’il faudra toujours confronter à l’ensemble de l’observation.
Agnès Salliard du Rivault