Le verbe prier a pris un sens rétréci. Désormais, il est le plus souvent synonyme de demander. C’est bien dommage, car du coup beaucoup ignorent que leur vie spirituelle pourrait être plus riche et plus profonde. Comment leur faire découvrir les autres facettes de la prière chrétienne ? Elles sont nombreuses : l’adoration, la louange, l’action de grâces, la contemplation, l’écoute de la Parole de Dieu, la simple présence à Dieu.
En outre, cela fausse leur relation au Seigneur. Ils sont les sempiternels clients d’une divinité spécialisée dans la protection tous risques, le dépannage universel, la solution des problèmes insolubles, le tiercé gagnant à tous les coups. Finalement, ils ne pensent à Dieu que quand ça va mal. C’est mieux que n’y penser jamais. Mais c’est dommage. Que penser d’un homme qui, chaque fois qu’il rencontre son ami, lui dit : "Tu ne pourrais pas me donner un euro ?".
Il n’est pas interdit de demander
"Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira" (Mt 7, 7).
En revanche, ce n’est pas par la supplication qu’il faut commencer la prière. Il serait mal élevé de demander à Dieu de s’intéresser à nous sans d’abord nous intéresser à lui. Tel est l’ordre de la prière que le Notre-Père nous enseigne : "Ton nom, ton règne, ta volonté" passent avant "notre pain, notre pardon, notre protection dans la tentation et notre délivrance du mal" ! C’est pourquoi saint Paul insiste pour que la prière de demande soit enveloppée par la prière de louange. Il invite les fidèles à "veiller dans la prière dans l’action de grâces" (Col 4, 2) et à "faire connaître à Dieu leurs demandes par la prière et la supplication avec action de grâces" (Ph 4, 6). C’est d’ailleurs de cette façon que Jésus prie pour la résurrection de Lazare : "Père, je te rends grâce parce que tu m’as exaucé" (Jn 11, 41).
Apprendre à demander avec foi et de façon juste
Quand nous formulons une intention de prière, ce n’est pas pour informer Dieu : il sait mieux que nous quels sont nos besoins et ceux du monde. Ce n’est pas non plus pour l’influencer : nous n’avons pas à défendre notre cause, car le Père nous aime. La prière de demande ne vise pas à changer Dieu, mais à nous changer, nous. Elle nous ouvre et elle ouvre ce monde aux désirs de Dieu et à ses grâces. Voilà pourquoi Jésus nous invite à prier "en son Nom" (et non "en invoquant son nom" : cette traduction liturgique qui prétend expliciter une formule énigmatique ne fait que l’édulcorer). En son Nom (Jn 16, 23-24), c’est-à-dire à sa place, de ce lieu qui est le sien. Prier comme lui, en lui, en vrai Fils de Dieu.
Alors, peu à peu, l’écart se réduit entre ce que nous désirons et ce que Dieu désire, entre sa volonté et la nôtre. Alors nous pouvons tout demander, et notre prière est toujours exaucée. Cette purification et cet approfondissement de l’intercession ne se font pas en cinq minutes. Il faut du temps pour que nos prières païennes deviennent des prières chrétiennes. On en a un écho dans les paraboles qui invitent à la persévérance dans la supplication. La réponse se fait attendre non parce que le central téléphonique du ciel est saturé, mais parce que les appels de la Terre ne sont pas encore assez vrais, purs, humbles, forts.