Une fratrie qui s’entend très bien, c’est rarement le cas. Les relations entre frères et sœurs sont souvent teintées d’ambivalence, oscillant entre amour et « haine », entre complicité et rejet. Quelques conseils pour régler ces problèmes de jalousie et de rivalité.« Jeune mariée, j’étais persuadée que les jalousies étaient évitables si on prenait soin de ne jamais comparer les enfants, de ne jamais prendre parti pour l’un ou pour l’autre, se souvient Marie, mère de trois adolescents rapprochés. Je croyais qu’en étant équitable et en leur redisant souvent que je les aimais autant l’un que l’autre, mes enfants ne seraient pas jaloux. Lorsque les premières crises de jalousie ont pointé, j’ai d’abord cru que tout était de ma faute. J’étais consternée. Je leur interdisais d’exprimer leur jalousie tant cela me faisait mal. » Yann, son mari, renchérit : « Pour moi, les disputes à la maison ne m’impressionnaient pas trop car je pensais qu’au-dehors ils s’entraidaient. J’ai également été déçu en apprenant le contraire ».
Mère de six enfants et plusieurs fois grand-mère, Élisabeth ne compte plus les scènes de jalousie auxquelles elle a assisté : « Au départ, un enfant a le désir d’avoir pour lui tout seul l’amour de ses parents. N’est-il pas légitime d’avoir peur d’être moins aimé, de devoir partager l’amour parental avec un frère ou une sœur ? Quand nous avons attendu notre deuxième enfant, je percevais les appréhensions de notre aînée. Elle craignait d’avoir moins de temps avec nous. Nous avons redoublé d’attention à son égard. Mais ça ne l’a pas empêchée de me dire quelques semaines après la naissance : ‘’J’ai bien profité du bébé, maintenant, tu peux le ramener à la clinique’’… »
Laisser l’enfant exprimer sa jalousie
Mon frère, ma sœur sont peut-être mieux que moi, pense l’enfant jaloux. Commence alors pour lui une compétition permanente : être le meilleur, être celui qui a le plus. Pour se sentir rassuré, il lui faudrait tout de ses parents, tous les jouets, tout l’espace. Et surtout tout plus que l’autre. Rude tâche que d’aider l’enfant à gérer cette peur du « moins ». Souvent prise à la légère et considérée comme une broutille, la jalousie pourtant peut faire des ravages, pourrir des enfances comme des adolescences. Et si elle perdure, les relations entre frères et sœurs à l’âge adulte ne s’arrangent pas.
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Laisser s’exprimer la jalousie. Élisabeth et Marc ont, avec leurs enfants et leurs petits-enfants, constaté ce paradoxe : « Si les parents veulent que la jalousie entre frères et sœurs cesse de leur empoisonner la vie, ils ne doivent pas en empêcher la manifestation. Les enfants souffrent (moralement et parfois physiquement) autant de leur jalousie que de leur impossibilité à la nommer. Et comme il n’existe pas de méthode miracle pour éviter la jalousie, inutile de chercher à la nier. Beaucoup pensent : “Nos enfants ne se disputent pas ? Ils s’aiment. Ils se disputent ? Ils se détestent”. Or, nous avons constaté qu’en insistant pour que les enfants ne se jalousent pas, ils finissent par se détester. Mais si on leur permet de “se détester”, ils finissent par s’aimer ». Grand-père expérimenté, Marc précise : « À travers leurs disputes, les enfants se testent, frottent leurs caractères, et peuvent se réconcilier pour ensuite s’aimer encore plus fort ! ».
L’enfant, même s’il sait qu’il peut exprimer sa jalousie, ne trouve pas toujours les mots pour le dire. En aidant l’enfant jaloux à exprimer ce qu’il ressent, il se sent compris et peut se détacher peu à peu de son ressentiment.
Ne jamais comparer les enfants entre eux
Dès la naissance, les comparaisons fusent à la maternité : « Il est plus petit que sa sœur », « Il dort mieux »… Et même si les parents se sont promis de ne jamais comparer leurs enfants, ce sont là des engagements à tenir — surtout lorsque la fatigue et l’énervement sont là ! « Tu ne fais jamais ton lit… ta sœur, elle, à ton âge, le faisait depuis longtemps ! » ; « ton petit frère est plus propre que toi »… Devant de tels propos, l’enfant jaloux en vient à croire que l’autre est plus aimé que lui, et se met à le détester. Tout compliment adressé à l’autre est ressenti comme un reproche à son égard. Prendre le temps de parler avec l’enfant qui se sent ainsi « diminué » permet d’évacuer la peur qu’engendrent en lui ces comparaisons maladroites.
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Les psychologues attirent également l’attention des parents sur les comparaisons « positives » (« Comme tu déchiffres vite tes partitions de musique ! Si ta sœur pouvait être comme toi ! »), qui peuvent aussi entretenir une jalousie. Et qui, même si elles sont appréciées par l’intéressé, risquent de l’encourager dans un esprit de compétition souvent nocif. La meilleure attitude consiste à décrire la situation telle qu’on la voit ou qu’on la ressent : « Tu n’as pas fait ton lit ce matin, cela fait plusieurs fois que tu oublies. Ça me déçoit, je sais que tu es capable de le faire. Je compte sur toi demain ». Ou au contraire : « Je suis contente de constater que tu fais toujours ton lit ». L’important étant de valoriser l’enfant concerné sans faire référence à ses frères et sœurs.
Montrer à chacun qu’il est aimé pour lui-même
Que ce soit à table ou en voiture, les deux filles de Valérie, qui n’ont que 16 mois d’écart, sont traitées de la même façon. Mais malgré cela, leur mère constate que « ça ne marche pas » : les marques de jalousie sont constantes. De fait, il est illusoire de vouloir agir exactement de la même façon avec chaque enfant. Pire, cela risque d’entretenir la jalousie. En pensant « J’ai comme l’autre », l’enfant jaloux pense « Je suis comme l’autre ». Il ne perçoit plus qu’il est unique. Il vaut mieux donner à chacun selon ses besoins (ce qui est la définition de la justice) que de vouloir l’égalité à tout prix.
« Qui aimes-tu le plus de nous trois ? » Cette question, combien de fois Marie et Yann l’ont-ils entendue ! « Évidemment, nous répondions que nous n’avions pas de préférence, que nous les aimions tous autant. Mais ça ne les satisfaisait pas. En fait, ils voulaient simplement s’entendre dire que nous les aimons très fort chacun pour ce qu’ils sont, sans qu’il soit systématiquement fait référence à leurs frères et sœurs ».
De la même façon, frères et sœurs se jalouseront moins s’ils ont des activités séparées. Et l’éloignement temporaire permet de réaliser combien l’autre est important. Certains s’écrivent et n’attendent qu’une chose : raconter ce qu’ils ont vécu. Les anniversaires sont aussi une bonne occasion de fêter chaque enfant… à condition de ne pas les regrouper maladroitement. Même si on a des jumeaux, chacun a droit à sa fête. Pourquoi ne pas faire un gâteau pour chacun ?
Éviter d’enfermer les enfants dans un rôle
Tous, nous avons attribué des rôles à nos enfants. Or cela affecte l’enfant et ses relations avec son entourage. « J’attribue des rôles différents à mes enfants pour que chacun se sente un « spécialiste » en quelque chose, explique Paul. Ainsi, mon aîné est le matheux de la famille, le cadet est l’artiste, tandis que ma dernière est une sportive accomplie ». Louable intention mais le risque est que les enfants soient prisonniers de cette image, ce qui empêchera la découverte et l’épanouissement d’autres talents.
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Une différence de sexe mal acceptée peut aussi être une autre source de jalousie, surtout si les rôles sont strictement répartis entre filles et garçons. Ou bien encore, un ordre de naissance mal assumé. « J’étais la dernière de cinq filles quand, huit ans après ma naissance est enfin arrivé le garçon que l’on n’attendait plus. Devant la joie très démonstrative de mes parents, je me suis sentie détrônée dans mon rôle de benjamine, et dévalorisée dans ma féminité, se souvient Élisabeth. Il a fallu que je devienne un vrai garçon manqué, voulant par-là constamment attirer l’attention de mes parents, pour qu’ils commencent à comprendre et à faire un peu plus attention à moi ».
Autre situation périlleuse, celles de l’enfant malade, de l’enfant handicapé. Là encore, il faut se garder d’enfermer l’enfant dans sa situation, comme d’en faire porter le poids à ses frères et sœurs. Ne voir un enfant malade qu’à travers son « problème » renforce les éventuelles difficultés, et ses frères et sœurs sont vite jaloux de lui car il accapare le temps et l’attention des parents.
Aider l’enfant jaloux à transformer son regard
Tant par leur attitude que par leurs propos, les parents peuvent donc contribuer à réduire la fréquence ou l’intensité des crises de jalousie. Cependant, le seul vrai remède sera de combattre la tristesse que l’enfant jaloux ressent dès qu’un autre a (ou est) ce qu’il n’a (ou n’est) pas. Pour arriver à se réjouir du bien d’autrui, l’enfant doit d’abord s’estimer lui-même et comprendre que la réussite des autres ne le prive en rien : l’amour des parents n’est pas comme un gâteau qu’il faudrait partager.
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Éduquer le cœur de l’enfant jaloux prend du temps. Élisabeth se souvient du moment privilégié qu’elle passait avec l’un ou l’autre, le soir au coucher. « Ensemble, nous passions en revue tel ou tel point difficile de la journée. Je tentais de montrer que la jalousie empêche d’être heureux. Eux, de leur côté, exprimaient leurs peurs. Ils s’endormaient libérés. » Pour aider leurs enfants à se percevoir positivement les uns les autres, Anne a d’ailleurs expérimenté une formule originale : « Mon mari et moi avons rassemblé nos trois garçons (de 14 ans à 8 ans) et leur sœur de 6 ans, tous autour de la table, et mon mari leur a demandé d’énoncer à tour de rôle trois choses qui leur plaisaient chez l’autre. Si les réponses étaient trop vagues, nous les leur faisions préciser. Pour les plus grands, c’était formidable de découvrir comme ils pouvaient s’apprécier malgré toutes leurs chamailleries ».
Aucune situation n’est jamais figée… Il est vrai que les relations entre frères et sœurs évoluent sans cesse, et que c’est parfois au moment où l’on s’y attend le moins que la situation se débloque, mais il ne faut pas oublier la force que procure le sacrement du pardon ni cette aide précieuse qu’est la prière – celle des enfants pour leurs frères et sœurs, celle des parents pour leurs enfants.
Marie-Laure Semnont
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