D’abord, il ne faut pas éliminer trop vite l’hypothèse que ce détachement n’est pas réel, mais « stratégique ». Ce détachement peut n’exister que dans vos craintes personnelles d’être insuffisamment aimée. Il existe en effet parfois, chez certaines personnes, une telle soif de tendresse, qu’un conjoint ne peut parvenir à l’étancher, quoi qu’il fasse.
Dans ce cas, le conjoint trop aimé prend de la distance, craignant l’étouffement. Il aime certes, mais se protège en même temps, donnant ainsi l’impression de se détacher. Un cercle vicieux s’installe alors, plus il est l’objet de sollicitation, plus il fuit le contact — et plus il se détache, plus grandit chez l’autre un sentiment d’abandon. Ce détachement stratégique peut se guérir si l’épouse (ou l’époux) diminue le volume du petit amplificateur qui accélère son besoin d’amour.
Si on est attentif à tout ce que son partenaire fait pour nous au lieu de ne percevoir que le petit rien qu’il a oublié et surtout si on cesse de le harceler d’une demande qui ne fait que le replier dans sa coquille, il est toujours possible, dès qu’on en a pris conscience, de chercher à sortir d’un cercle vicieux... Il suffit souvent à celui qui semblait éloigner d’augmenter sensiblement les attentions pour voir diminuer la demande exagérée.
Quand la routine s’installe
Deuxième cas de figure possible, c'est le détachement apparent né de l’habitude. L’amour existe, mais a perdu sa visibilité, le mari ou la femme ne voit pas la nécessité d’exprimer cet amour. Et si on insiste, la réponse suivante retentit : « Mais tu le sais bien que je t’aime... ». La routine est passée par là, et on ne voit plus dans le regard de l’être aimé la flamme des premiers jours. On se ressent alors comme une épouse ou un époux « érémiste de la tendresse », victime d’un conjoint qui se montre froid à notre égard.
Parfois, on oublie qu’on a pu nous-mêmes contribuer à cet affaissement de l’élan. C’est notamment le cas des femmes qui, une fois devenues mères, ne répondent pas aux attentions empressées de leurs maris. Si bien que ces derniers finissent par se fatiguer d’exprimer un amour dont ils ne sentaient pas alors la réciprocité. Ainsi, avec le temps, les rôles s’inversent : le détachement change de camp, car trop souvent « on n’aime jamais que ce qu’on perd ou que l’on craint de perdre ». La femme a l’impression d’être oubliée, que son mari s’éloigne d’elle.
Pour sortir de cette torpeur, il semble qu’il faille un véritable électrochoc. C’est là qu’une retraite ou un week-end en couple peuvent aider à relancer la communication défaillante. Puisque l’amour n’est pas parti, il est possible, au nom même de cet amour, de demander à un conjoint de faire cet effort (même s’il le fera au début en traînant les pieds...). Et pourquoi ne pas le voir comme un prélude à une nouvelle lune de miel ?
Et si il y a un détachement réel ?
On peut aussi sentir que notre conjoint n’a plus d’élans, qu’il n’y a plus dans ses yeux cette petite étincelle de l’amour admiratif, que la tendresse et le désir physique ne sont plus au rendez-vous... Indifférence qui la tue littéralement. Certes, l’autre peut avoir cessé d’aimer sans pour autant être amoureux d’une autre personne : des préoccupations professionnelles, des loisirs passionnants, des problèmes de santé, une soudaine aspiration mystique — à tort — désincarnée, ont pu faire passer l’amour au second plan... voire à la trappe.
Néanmoins, il faut bien envisager parfois l’hypothèse d’une liaison, au moins platonique. Surtout si votre partenaire essaie d’expliquer son détachement par l’alibi de la dépression, ou d’un besoin de « faire le point, de savoir où il en est »... ou même de « louer un studio pour se retrouver seul et prendre du recul » !
Que faire dans ce cas ? L’inviter peut-être à jouer le jeu de la loyauté : « Tu sais, le doute, c’est pire que la vérité... Si tu es attiré par une autre personne, tu peux me le dire, j’essaierai de te comprendre, sans te jeter la pierre ». Mais il n’est possible de tenir de tels propos que si l’on peut, à son tour, supporter le choc, et la blessure narcissique consécutive à une révélation qu’il serait difficile de considérer autrement que comme une trahison. Ce qui est plus facile à dire qu’à faire...
Renouveler l’amour au quotidien
Pour cette raison, il est bon de se faire aider par quelqu’un de compétent pour trouver ensuite l’attitude juste qui évite l’écueil des reproches agressifs, des plaintes et des discours moralisateurs — ou l’écueil inverse d’un étouffement affectif, d’élans hyperchaleureux, de gentillesses excessives dans un but trop évident de récupération. Seule une attitude digne et patiente, sans agressivité ni harcèlement affectif, dans un certain respect de la lutte intérieure qui se vit souvent dans le cœur de l’autre, a des chances de susciter une admiration qui peut souffler sur les brises d’un amour moribond.
Il est évident que, quand elle est acceptée, une retraite purement spirituelle pourrait se révéler la planche de salut. En dessillant des yeux qui ne perçoivent plus les enjeux si importants d’une rupture pour toute une famille... En permettant également de retrouver, avec l’aide de la grâce du Seigneur, le sens que l’on entendait jusque-là donner à sa vie. Il reste qu’un couple devrait avoir le souci de ne jamais laisser son amour « s’enroutiner ». Et réagir dès qu’il perçoit que l’amour est tant soit peu en perte de vitesse, avant qu’il ne soit trop tard. Les moyens ne manquent pas aujourd'hui pour que les couples cultivent constamment la plante merveilleuse, mais frêle, de leur amour.
Père Denis Sonet