Le pape François se rend au Luxembourg le 26 septembre 2024 au cours d’un voyage qui le conduira également en Belgique jusqu’au dimanche 29 septembre. Cette courte étape dans le Grand Duché – qui s’est ajoutée à la visite en Belgique – sonne comme un encouragement au cardinal archevêque de Luxembourg Jean-Claude Hollerich, jésuite et proche du chef de l’Église catholique.
À 66 ans, celui qui est membre du C9, ce groupe restreint de cardinaux qui conseillent François, est aussi le rapporteur du Synode sur la synodalité, vaste chantier lancé par le pape François pour rendre l’Église plus inclusive. À quelques jours de la venue du pape dans son pays, le cardinal Hollerich a accepté de répondre aux questions de l'agence I.MEDIA.
Quelles sont les raisons de ce voyage du pape François à Luxembourg ?
Ce que je peux dire, c’est que nous sommes une périphérie. Certes, nous sommes un pays très riche. Mais nous sommes une périphérie de l’Église car nous sommes un pays très fortement sécularisé. Les paroisses luxembourgeoises sont loin d’être vivantes.
Pour autant, les communautés linguistiques le sont. Le pape vient visiter une réalité nouvelle puisque nous sommes un pays international avec la moitié de nos habitants qui ne sont pas des citoyens. Si je vais à une des messes dominicales en portugais, je ne trouve en général pas assez de chaises dans les églises. Il en est de même pour la messe anglophone. À Luxembourg ville, il y a aussi beaucoup de Français et la foi est bien vivante.
J’observe que nos coutumes luxembourgeoises relient encore les différentes parties de la population. C’est le cas avec la cathédrale de Notre-Dame Consolatrice des Affligés, patronne de la ville et du pays. Le pape vient ouvrir les célébrations du 400e anniversaire de Notre-Dame.
On dit que vous êtes très proche du pape François et que votre amitié le conduit à faire une étape à Luxembourg…
Je ne sais pas, il faudrait lui demander ! Je suis très proche du pape, ce qui ne veut pas dire que le pape soit plus proche de moi que des autres. Je suis bien content qu’il arrive. C’est un honneur de le recevoir.
Après son périple de 12 jours en Asie du sud-est et en Océanie, le pape François se rend au cœur d’une Europe sécularisée et post-chrétienne. Quels messages pourrait-il offrir à votre pays ?
Le pape François annonce l’Évangile pur. Je suis très heureux qu’il vienne nous adresser cette parole qui appelle à la conversion. Au Luxembourg, il faut regarder notre réalité et ne pas l’idéaliser avec un regard tourné vers le passé. Il faut vivre à notre époque et voir Dieu qui est présent dans notre culture. C’est là que nous trouverons les signes pour renouveler notre Église. Malheureusement, il y a encore beaucoup de choses que nous allons devoir fermer, des restes du passé. Je viens de cette Église donc cela me fait toujours mal. Mais j’ai l'espérance que nous sommes en marche avec Dieu et qu’il nous conduira.
Il y a des signes d'espérance. J’ai nommé la vitalité de la communauté portugaise. Je peux aussi citer les jeunes. Certes, ils ne sont pas très nombreux. Mais on voit en eux une profondeur spirituelle qu’il n’y avait pas auparavant. J’ai accompagné en bus 200 jeunes pour les JMJ de Lisbonne. J’ai trouvé chez eux un sens de la prière et de Dieu. Il y a quarante ans, l’agir chrétien était mis en avant. Aujourd’hui, les jeunes veulent connaître qui est Dieu et, touchés par la grâce, agir.
En 2022, vous expliquiez dans les colonnes de L’Osservatore Romano que l’Église en Europe dans 20 ans serait « plus petite mais aussi plus vivante ». « Dans certaines parties du nord de l’Europe ce sera surtout une Église de migrants », puisque « les riches autochtones sont les premiers à abandonner le navire, car l’Évangile grince avec leurs intérêts »…
Je le pense toujours.
L’argent et le confort matériel ont-ils écarté les catholiques européens du message de l’Évangile ?
Nous vivons dans un matérialisme crasse. Quand on parle avec beaucoup de jeunes, on découvre que leur rêve d’avenir ne porte pas sur ce qu’ils désirent être. La plupart rêvent d’abord d’un métier qui leur permettra de gagner beaucoup d’argent. Cela est très triste.
Quand j'étais jeune, je rêvais d'une part d'être prêtre, d'être un bon prêtre. Mais je rêvais aussi du mariage. Je n'ai jamais pensé, si je tombais amoureux d’une fille, qu’il me faudrait me marier plus tard, après avoir gagné beaucoup d’argent. La relation à Dieu et la relation aux autres devraient toujours passer en premier.
Quels sont les remèdes à la tentation matérialiste ?
À quelques moments rares, les gens se rendent compte qu'ils vivent dans la fausseté ; lors des enterrements par exemple. Nous avons maintenant une pastorale des funérailles élaborée avec des prêtres et portée par des laïcs qui rendent visite aux familles en deuil. Elles en sont extrêmement reconnaissantes. Il s’agit de moments où on a le temps de toucher la condition humaine. Je pense aussi aux événements heureux de la vie, l’amour ou bien les enfants. Il s’agit de moments d’émerveillement où la vie perce le mur du matérialisme et où les gens sont capables de sentir la présence de Dieu. L’Église doit être présente ici.
L’Église à Luxembourg a-t-elle encore les moyens de cette présence ?
C'est difficile parce que nous avions autrefois une Église qui s'appuyait sur l'État. Il n’y avait pas de catéchèse dans les paroisses mais des cours de religion dans les écoles. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il a fallu réintroduire la catéchèse dans les paroisses. Il y a dans notre Église beaucoup de chantiers ! Cela provoque une certaine fatigue car il est naturel de préférer vivre dans une maison bien ordonnée que dans les travaux. Mais c’est une étape nécessaire. L’Église va reposer davantage sur les laïcs engagés. Mais nous aurons naturellement toujours besoin de prêtres.
Justement, quelle est l’évolution du nombre de prêtres dans votre diocèse ?
C’est dramatique [le pays comptait 268 prêtres en 2001 contre 170 en 2022, NDLR]. Mais nous avons un séminaire du Chemin Néocatéchuménal avec une dizaine de séminaristes pour le Luxembourg. Par miracle, nous recevons deux jeunes cette année pour une année propédeutique [année de discernement en vue de rentrer au séminaire, NDLR].
Je reçois aussi un cadeau précieux du Vietnam : deux séminaristes qui viendront comme missionnaires à Luxembourg pour devenir prêtres.
L’Église de demain ne pourra pas vivre sans prêtre. Il faut des prêtres car il faut les sacrements. Une Église sans sacrement ne serait plus l’Église catholique.
Votre longue expérience de missionnaire au Japon, où le catholicisme n’est pas majoritaire, vous aide-t-elle aujourd’hui à affronter cette réalité ?
Je me suis souvent demandé pourquoi le Seigneur m'avait emmené au Japon avant de revenir au Luxembourg, deux réalités qui semblent totalement différentes. Je pense que le Seigneur avait un plan car le Japon est une société très sécularisée. J’étais ainsi préparé pour découvrir un Luxembourg tout aussi matérialiste, une nouvelle terre de mission. C’est par la prière assidue que l’on trouve les remèdes, et par la lecture de l’Évangile. Les gens comprennent l’Évangile et sont touchés par son message. Les catholiques doivent opérer une conversion pour devenir des hommes et des femmes de l’Évangile.
Depuis son élection, le pape François a beaucoup parlé du monde de la finance qui impose sa domination. Il a plaidé à de nombreuses reprises sur la nécessité d’une finance éthique. Comment le pape François est-il perçu ici à Luxembourg, place forte de la finance mondiale ?
Je pense qu’il est perçu comme un pape qui connaît le monde et ses problèmes, et qui agit. Il y a bien sûr des personnes qui n'aiment pas le pape. Nous avons dans nos pays la Libre pensée, l’association des athées et des humanistes, qui certainement ne se réjouissent pas de sa venue.
Il y a aussi des catholiques de gauche et de droite qui ne sont pas contents. Certains à gauche pensent qu’il est conservateur sur la question de l’ordination des femmes, le célibat des prêtres, etc. Certains à droite ne l’apprécient pas pour d’autres raisons. Ils ne comprennent pas que le pape est radical dans la miséricorde. Il n’est pas libéral. Il est radicalement évangélique.
Peut-on s’attendre à une prise de parole sur la finance ?
Nous allons voir. Il y aura deux discours, dont un au Cercle de la Cité, devant la société civile. Je serai à l’écoute. En matière de finance, il y a des efforts mis en place à Luxembourg pour avancer dans le bon sens mais je pense que nous sommes encore loin de ce que prône le pape.
Vous êtes le rapporteur du Synode sur la synodalité, un processus phare du pontificat de François censé rendre l’Église plus inclusive. Venir dans votre diocèse à une semaine de l’ouverture de la dernière phase du synode, est-ce aussi une manière d’appuyer symboliquement ce mouvement de réforme pour l’Église de demain ?
Le pape n’a pas besoin de venir à Luxembourg pour appuyer le Synode. C’est lui qui a voulu ce Synode et c’est lui qui nous encourage à aller de l’avant. Il est à la fois très proche de ce processus qu’il a lancé mais il laisse aussi à l’Église la mission de le définir.
En quoi ce Synode peut-il avoir un effet sur votre diocèse ?
Nous avions une Église qui était très cléricale, avec comme acteurs les prêtres et les religieux. Les autres suivaient ce qu’on leur disait. Dans mon enfance, je me rappelle du curé qui se rendait en visite dans les maisons et qui disait à quelle revue il était bien de s’abonner. Nous le faisions, sans discussion. Aujourd’hui, les curés ne sont pas assez nombreux pour se rendre dans les maisons. Mais surtout, il faut comprendre que les chrétiens ne sont pas des objets mais des sujets de l’Évangile et de l’évangélisation. Il faut vivre la grâce du baptême de manière créative et active. Les gens reviendront à l’Église si, en rencontrant des chrétiens, ils se demandent : “Mais quel est leur secret ?”.
L’Église en Europe apparaît très divisée sur les orientations de l’Église de demain. Le Synode sur la synodalité a-t-il manifesté ces lignes de fractures ?
Le Synode a permis de nous réunir en février 2023 à Prague pour une assemblée continentale. Il y avait beaucoup de tensions entre l’est et l’ouest. Mais nous avons tenu, et cela a porté du fruit. Nous ne nous sommes pas quittés avec les mêmes idées mais avec une meilleure compréhension de l’autre.
Ce que je crois, c’est que si la foi vivante est inculturée, il y aura des différences dans la manière de vivre cette foi. Pas dans la doctrine de l’Église naturellement ; on ne peut pas avoir des femmes prêtres dans un pays et pas dans l’autre. Ce n'est pas possible car cela ferait prendre le risque de perdre l’unité de l’Église. Mais il y a des expressions pastorales qui peuvent et qui devraient être différentes.
Dans un récent entretien à Famille Chrétienne, le cardinal Christoph Schönborn a assuré que les catholiques européens devaient accepter le déclin de l'Europe. D’autres cardinaux, comme le cardinal Fridolin Ambongo, ont parlé de décadence culturelle et morale en occident. L’Église européenne peut-elle encore apporter quelque chose à l’Église universelle ? Quelle doit être son attitude ?
L’Église européenne doit avoir une attitude d’humilité. Nous ne sommes plus la maîtresse des autres Églises. J’étais cet été au Bénin et au Congo et j’ai été témoin d’une Église vivante, avec des liturgies qui prennent du temps et rendent les fidèles heureux. Chez nous, un certain nombre auraient regardé leur montre. Parfois, en Europe, la messe est davantage un devoir qu'une joie. Je connais aussi l’Asie, avec ses petites Églises bien vivantes. On voit déjà le bien pour l’Église d’Europe d’avoir un pape qui n’est pas Européen. C’est une grâce pour le continent.
Ce que l’Église européenne garde, c’est son héritage spirituel, culturel et aussi l’exercice de l’intelligence philosophique et théologique. Il faut en faire une mémoire vivante. Il faut nous en nourrir non pas pour retourner au passé mais vivre l’aujourd’hui de Dieu, comme le pape Benoît XVI l’avait montré durant son pontificat.