Retrouver ici notre dossier sur le voyage du pape François au Luxembourg et en Belgique.
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Le pape François sera, du 26 au 29 septembre 2024, le deuxième pape à visiter la Belgique et le Luxembourg, après Jean-Paul II. Le pontife polonais n’est venu qu’une seule fois au grand-duché, en 1985, mais il a visité à deux reprises la Belgique, en 1985 et 1995. Si le premier voyage, un véritable tour du pays dans ses profondeurs, fut un succès populaire, le second, limité à Bruxelles, se réalisa dans un climat de relative indifférence, traduisant la sécularisation très rapide du pays en une décennie.
Du 11 au 21 mai 1985, le 26e voyage apostolique de Jean-Paul II le conduit successivement aux Pays-Bas, au Luxembourg et en Belgique. La partie néerlandaise de sa tournée constitue l’une des séquences les plus difficiles de son pontificat. Entre émissions satiriques autour de ses positions sur la morale sexuelle et manifestations virant à l’émeute, son voyage se déroule dans un climat hostile dans ce pays comptant pourtant alors 40% de catholiques.
Le pape se voit bousculé, critiqué, provoqué par ses interlocuteurs directs, y compris quand le Premier ministre Rudd Lubbers ose déclarer devant le pontife polonais que le mot ‘Rome’ suscite, aux Pays-Bas, « un sentiment de circonspection, voire de défense ».
Depuis, aucun pape n’est revenu aux Pays-Bas. Un voyage court du pape François à Amsterdam fut envisagé au début de son pontificat, en 2013, mais le projet ne s’est jamais concrétisé.
Par contraste avec l’expérience néerlandaise, le court séjour de Jean-Paul II au Luxembourg, les 15 et 16 mai 1985, se déroule dans une atmosphère beaucoup plus consensuelle. Le pontife polonais y est accueilli chaleureusement par le grand-duc Henri de Luxembourg, né en 1921, et filleul de son lointain prédécesseur le pape Benoît XV (1914-1922).
Devant ce vétéran de la Seconde guerre mondiale qui s’était engagé au sein des Irish Guards et avait participé à ce titre à la bataille de Caen en 1944 et à la libération de Bruxelles, le pontife polonais rend hommage au rôle central du Luxembourg dans le chantier de construction d’une « Europe unie ». « Depuis maintenant quarante ans, grâce à vos alliés et à votre propre courage, vous avez recouvré l’indépendance dans la dignité », souligne Jean-Paul II dès son premier salut aux habitants du Luxembourg.
Le pape célèbre une messe le 15 mai à Esch-sur-Alzette devant 20.000 personnes, une foule considérable, correspondant alors à plus de 85% de la population de cette ville, la deuxième commune du pays, derrière Luxembourg-Ville. Revêtu d’un casque de protection, le pontife polonais y visite une usine sidérurgique.
Après une autre messe célébrée le lendemain à Luxembourg, le séjour du pape dans le grand-duché se conclut par une rencontre avec les jeunes à l’abbaye d’Echternach. Il les appelle à « préparer ensemble le chemin d'une nouvelle Europe, une Europe non seulement de biens et de marchandises, mais de valeurs, de personnes et de cœurs, une Europe qui trouve son âme dans la foi en Dieu et en Christ et dans la conscience de son authentique passé chrétien ».
1985 : le pape à la rencontre du catholicisme populaire en Belgique
Du 16 au 21 mai 1985, Jean-Paul II effectue une vaste tournée en Belgique, à travers de nombreuses localités de Flandre et de Wallonie : il visite Bruxelles mais aussi Gand, Anvers, ou encore les sanctuaires mariaux de Beauraing et Banneux. Depuis Ypres, ville dévastée durant le Première guerre mondiale par les premiers bombardements chimiques de masse de l’histoire - dont le nom d’ypérite donné au tristement célèbre gaz moutarde - , le pape rend hommage à la reconstruction de cette ville martyre, symbole des ravages de la 'Grande guerre'.
Le pape Jean-Paul II, qui avait travaillé pour le groupe belge Solvay durant la Seconde guerre mondiale et avait personnellement visité la Belgique comme jeune prêtre en 1947, se montre attentif à la piété populaire des Belges. Il reçoit un accueil chaleureux de la part de la population à Namur, l’une des villes de Wallonie à avoir gardé le plus fort ancrage catholique.
Cependant, à l’image de son tumultueux séjour néerlandais quelques jours plus tôt, le pape se retrouve quelque peu bousculé lors de sa double visite à l’université flamande de Leuven le 20 mai 1985 et dans son équivalent francophone, à Louvain-La-Neuve, le 21 mai. Jean-Paul II s’y retrouve questionné sans ménagement sur son conservatisme, et se voit invité à réformer l’Église catholique quant à la place des laïcs et surtout celle des femmes.
Remarquant que « diverses expérimentations ont lieu, un peu partout dans le monde, y compris dans le domaine de la vie humaine », le pontife polonais demande aux universitaires catholiques rencontrés à Louvain de formuler « un témoignage clair et convaincant », sur les principes moraux susceptibles d’éclairer les consciences et de se situer « en parfaite harmonie avec les nettes affirmations de l’Eglise en matière de foi et de mœurs, et avec les orientations pastorales qu’elle donne ».
Ces propos sont à situer dans un contexte de tensions entre Rome et l’Église belge autour des questions morales, depuis la publication de l’encyclique Humanae Vitae en 1968. Le cardinal Suenens, alors primat de Belgique, avait publiquement pris ses distances avec l’interdiction de la pilule contraceptive formulée dans cette encyclique par Paul VI, qui avait suivi la ligne défendue par l'archevêque de Cracovie, le cardinal Wojtyla, le futur Jean-Paul II. Ces désaccords publics ont laissé des traces profondes dans le milieu catholique en Belgique.
Le court séjour de 1995
Les 3 au 4 juin 1995, c’est un pape Jean-Paul II affaibli par la maladie qui revient en Belgique, uniquement à Bruxelles, pour accomplir un voyage initialement prévu en 1994. Accueilli à sa descente d’avion par le roi Albert II, le pape rend hommage à son frère, le roi Baudouin, qui l’avait accueilli dix ans auparavant. « Je salue en lui le chrétien qui, très uni à la Reine Fabiola, sut servir ses compatriotes avec un dévouement vraiment évangélique », déclare Jean-Paul II.
Le principal objectif de cette visite est la béatification du père Damien de Veuster (1840-1889), missionnaire de la congrégation des Sacré-Coeurs de Jésus et de Marie, connu pour son travail d’évangélisation des lépreux à Hawaï, où il finira par contracter cette maladie et à mourir.
« Je rends grâce au Seigneur pour les personnes qui accompagnent et entourent les malades, les petits, les êtres faibles et sans défense, les exclus (..). Par leur action, ils rappellent l’incomparable dignité de nos frères qui souffrent, dans leur corps ou dans leur cœur; ils manifestent que toute vie, même la plus fragile et la plus souffrante, a du poids et du prix au regard de Dieu », déclare Jean-Paul II dans son homélie. Le père Damien sera canonisé par Benoît XVI le 11 octobre 2009 à Rome.
Mais ce second voyage de Jean-Paul II en Belgique fut marqué par « une grande froideur », au sens climatique comme au sens humain : « Les rues étaient vides », se souvient l’un des accompagnateurs du pontife polonais, qui avait eu l’habitude de voir le pontife polonais mener des voyages « qui étaient de véritables épopées », rencontrant des foules immenses y compris dans des pays où les catholiques ne représentaient que d’infimes minorités. La Belgique est alors apparue comme l'un des rares pays indifférents à l'égard du pape.
Les polémiques sur le coût de son voyage et de la messe de béatification à Bruxelles furent notamment entretenues par l’abbé Pierre, qui critiqua ce voyage dans des interviews télévisées. Le pape restera durablement marqué par le relatif échec de ce voyage. Durant la fin de son pontificat et celui de Benoît XVI, le catholicisme belge suscitera une certaine inquiétude à Rome, au vu de son déclin statistique et de l’effacement de son influence dans la société.
Reste à savoir si la visite du pape François contribuera à nuancer voire à infirmer ce sentiment mitigé laissé par le dernier voyage d’un pape dans ce petit pays, qui fut un bastion catholique mais qui a vu sa sociologie se transformer très rapidement au cours des dernières décennies.