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“Mes enfants, me voici à l’âge où je suis démunie de tout”

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Jean-Étienne Rime - publié le 02/09/24
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Notre chroniqueur livre le témoignage d’une dame âgée qui écrit à ses enfants pour leur faire part de sa nouvelle vie, depuis qu’elle a rejoint l’Ehpad qui sera sa dernière demeure. Fictive et réelle à la fois, Jeanne parle aussi au nom de ceux qui comme elle, sont démunis de tout, mais n’ont plus de famille.

Jeanne a 97 ans. Lors de ma dernière visite, l’aidant à ranger ses papiers, je trouve cette lettre destinée à ses enfants. Très dignement, elle me demande de la lire puis me propose de témoigner de cette dernière étape de vie parce qu’au-delà de sa famille, cela concerne tous ceux qui ont la responsabilité de leurs aînés. Voici de mémoire ce qu’elle a écrit :

Il ne me reste que les souvenirs

"Mes enfants, me voici à l’âge où je suis démunie. Depuis que j’ai rejoint cet Ehpad, ma dernière demeure, je suis démunie de tout, tant sur le plan matériel qu’intellectuel et spirituel. Cette situation nouvelle caractérise la dernière étape de ma vie et je voudrais vous la décrire."

"L’aspect matériel vous semble peut-être un peu dérisoire, ce n’est pas le plus important et je vous ai éduqués en le relativisant mais vous savez, laisser ma maison, mes meubles et ces objets que nous avons choisi avec votre père ou qui ont traversé les générations, ce n’est pas très facile. Je regarde avec un peu d’humour ce qu’il me reste dans cette chambre si petite, un bureau, une table, une commode et deux fauteuils, ils sont les rescapés de ma mémoire. Je pense aussi à ce jardin que j’ai si longtemps entretenu avec amour : j’y ai taillé, bouturé, planté, récolté fleurs et fruits. Qui maintenant en prend soin ? Un inconnu à qui vous avez vendu cette maison de famille, ne pouvant pas, vous-même la reprendre tant vos vies, déjà bien avancées, se sont enracinées dans d’autres lieux ? Il ne me reste que les souvenirs. Qui a hérité de ce nécessaire à broder que m’avait donné ma grand-mère, ce tableau de famille, et ce vase dans la cuisine qui a recueilli tant de bouquets ? Et les livres de ma chère bibliothèque où j’aimais prendre le temps d’ouvrir un Balzac ou Jean Guitton, œuvres si différentes et si prometteuses de bons moments."

Des livres et la prière

"Bien sûr, il me reste des livres, ceux que vous m’apportez et qui sont les compagnons de ma seule vie intellectuelle. À qui en parler, avec qui échanger ? Mes amis sont morts pour la plupart et ceux qui restent ne sont pas très en forme, cancer de l’un, Alzheimer de l’autre. Les pensionnaires de cet établissement sont logés à la même enseigne que moi, souvent pire d’ailleurs, je déjeune tous les jours à côté d’une personne très bonne mais qui n’a plus de conversation que le commentaire de son assiette. Rien d’autre, plus de soirées amicales entre voisins, plus de rencontres où nous encouragions les sportifs en compétition, et presque personne avec qui échanger au sujet de ma dernière lecture."

"Je suis arrivée à l’âge où il me reste la prière mais je n’ai jamais eu une vocation de contemplative et l’aurais-je eue, je n’ai pas beaucoup de soutien avec une messe par quinzaine, sans la possibilité de me confesser et de prier avec une communauté. Certes, j’ai KTO qui diffuse une messe quotidienne et le chapelet en direct de la grotte de Lourdes, mais avez-vous essayé de prier devant un écran, le même chaque jour ? Difficile."

Les sans-famille

"Alors que me reste-t-il ? Ces abandons, cette situation de pauvre, de démunie, il faut l’accepter et vous devez le comprendre. Un jour, peut-être, vous atteindrez cet âge de 97 ans qui laisse peu de perspectives et des joies rares. Mais ces joies sont réelles et sont données généreusement par la famille : mariage de mes petits-enfants, naissances et baptêmes, réussites des uns, partage des soucis des autres, toute cette vie familiale est indispensable, elle est ma joie. Je pense avec désolation à ceux qui n’ont pas de famille, pas d’oreilles pour les écouter, pas de mains tendues et de joues embrassées. Alors de grâce, lisez cette lettre non pour moi — vous êtes ma joie, au-delà des abandons — mais pour les autres, les vieux, les oubliés, les veuves, les personnes seules qui sont si nombreuses et c’est la triste maladie de notre siècle."

"Allez au-devant du prisonnier, qu’il soit dans une vraie prison, prisonnier de son corps comme le sont tant de personnes handicapées, ou prisonnier de l’affection. Vous avez à donner non ce que nous, les vieux, nous avons abandonné mais ce que vous avez de plus cher, votre sourire, votre affection, votre main dans celle ridée de mes contemporains."

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