Dans ses photographies, du jaune comme le soleil et des ocres qui rappellent les derniers rayons d’un crépuscule agonisant ou les premières lueurs du jour qui se lève quand la lumière vient faire danser l’horizon. Des portraits comme des peintures : Rubens, Vermeer, ou une Madeleine à la veilleuse de Georges de La Tour. Des clair-obscurs et du contraste, de l’ombre et de la lumière, des champs de blé ou de fleurs sauvages, des oiseaux noirs dans le ciel gris tout droit sortis d’un Hitchcock. Albane de Marnhac, 30 ans, photographe “du vivant” et de mariage depuis dix ans, épouse et mère de deux enfants, se livre pour Aleteia sur son parcours professionnel, sa vie de femme, ses failles et sa richesse dans un entretien vibrant et authentique.
Aleteia : Photographe, épouse, mère, comment vous présentez-vous ?
Albane de Marnhac : Les trois : je suis photographe professionnelle depuis dix ans, mère de deux enfants - Léopold, 4 ans et Athénaïs 1 an et demi - et j’habite à Boulogne-Billancourt. Dans mon travail, j’ai à cœur de proposer dans une vision lumineuse de la foi dans le quotidien.
Comment vous est venue l’idée de vous lancer dans la photo ?
La photographie était un rêve d’enfant. Je dessinais beaucoup à partir de photos des portraits au fusain et à la sanguine. C’est ce qui me plaît : le vivant. La photo était le médium qui répondait le plus à ma perception des choses, même si j’ai un peu hésité avec le cinéma et la narration qui me plaisait. Dans le médium photo, où l’on tire les photos, les images se passent de main en main. C’est un souvenir d’enfance universel : au moment du café, quand dehors il ne fait pas beau et que l’on ressort en famille les vieux albums pour se rappeler avec eux les souvenirs des temps passés.
Je devais avoir 14 ou 15 ans quand j’ai commencé à réfléchir à la possibilité d’en faire mon métier et après le lycée, je voulais faire une école d’art mais mes parents s’y sont opposés car ils préféraient que je choisisse des études qui m’assureraient un métier. J’ai donc suivi un master de lettres dans l’édition pour assurer un diplôme et rassurer mes parents, avant de lancer mon activité photo, à 21 ans, alors que je venais de me marier. C’est un métier passion. J’aime voir ce qu’il y a de beau dans ce qui semble de pas l’être et voir la beauté dans l’ordinaire, dans ce qu’il y a de petit et d’anodin.
Il y a dix ans, les réseaux sociaux n’étaient pas aussi développés qu’aujourd’hui. Comment vous êtes-vous fait une place dans ce milieu ?
J’ai monté un business plan pour lequel je me suis donné trois ans, en ayant l’idée de changer de métier si ça ne fonctionnait pas. Dix ans plus tard, je suis toujours là ! Je suis une bonne communicante et mon business plan était bien ficelé. Après, il y a dix ans, il y avait moins de monde présent et Instagram balbutiait. C’était une manière différente de travailler et de communiquer. Je ne voulais pas d’un métier dans un bureau, en entreprise : j’avais besoin d’être en lien avec les autres et de rencontrer des gens et des histoires. D’ailleurs, les métiers les plus proches du mien, en terme de sensibilité, pour moi, sont ceux de prêtre et de sage-femme : on ne connaît pas les gens, on ne les revoit pas nécessairement plus tard, mais on est là, au cœur des moments fondateurs de leur vie.
Dans quelle famille avez-vous grandi ?
Je suis née au Vietnam, puis j’ai été adoptée et j’ai grandi dans une famille catholique de deux enfants : j’ai un grand-frère. Mes parents m’ont transmis leur foi, mais une foi intime dont on ne parlait pas tellement à la maison. À l'adolescence, cette foi reçue est devenue plus personnelle quand j’ai commencé à me poser des questions sur le sens de mon existence.
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L’adoption a-t-elle modifié votre perception du monde et votre rapport aux autres ?
C’est évidemment un événement central dans ma vie et ma sensibilité. Que ce soit dans mon rapport aux autres ou dans mon métier, tout est porté sur le lien et c’est ce que je cherche à travailler dans mes photos. L’adoption est une aventure, parfois douloureuse, même si dans mon cas, ça se passe bien. Je prends souvent l’image d’une assiette brisée ; réparée, on en perçoit toujours les fêlures, un peu comme dans l’art japonais du kintsugi où l’on vient restaurer l’objet brisé pour en sublimer les failles avec un liseré d’or.
Votre rapport à la maternité a-t-il été chamboulé par le fait d’avoir été adoptée ?
Oui bien sûr. Même sans être adoptée, une grossesse remet beaucoup en question le lien d’une femme à sa propre mère. Je me suis demandé quel était mon héritage : avant d’avoir le projet de fonder une famille, j’étais suivie par une psychologue spécialisée en adoption. Du fait de mon histoire, les fondations de la maternité sont assez fragiles et je ne voulais pas être dépassée par ce flot de questions et de sentiments qui accompagnent la naissance d’un enfant. Par exemple, c’était étrange pour moi de voir, à la naissance de mon fils, qu’il était la seule personne que je connaissais qui avait mes traits. Sa naissance m’a renvoyée aux questions physionomistes : j’ai souffert, comme tous les enfants adoptés, de la question : “et toi, tu ressembles à qui chez toi ?”, car je ne ressemblais à personne.
Avez-vous souffert de moqueries ou d’une mise à l’écart liées à vos origines ou à votre adoption ?
L’adoption fascine et d’elle naît une curiosité souvent gentille, quoiqu’un peu maladroite. J’ai grandi avec la certitude que mes parents ne m’avaient pas abandonnée mais confiée à l’adoption : ils ont mis leur confiance en un couple qui allait faire grandir et apporter du bonheur à leur enfant, ce qui a été le cas. Il y a souvent beaucoup de maladresse et assez peu de pudeur dans les questions qu’on pose à un enfant adopté, comme : “tu ne voudrais pas chercher tes origines ?”. C’est une question logique : on veut comprendre et réparer, mais on m’a mise face à ces interrogations très jeune, dès le primaire, avant même que je ne me les pose moi-même. En classe, on me disait : “Mais alors ce n’est pas ton vrai papa, ni ta vraie maman” alors que la question du vrai et du faux était encore très floue pour moi.
Des moqueries, oui, il y en a eu. Le mot “racisme” est fort et je n’aime pas l’utiliser mais c’est un sujet dont il faut parler. J’ai été adoptée dans une famille avec une très jolie particule et dans certains milieux, j’ai souvent été mise à l’écart, simplement parce que j’ai une tête d’asiat’. Dès que les gens apprenaient mon nom de famille, là seulement, ils venaient me dire bonjour. C’était en décalage complet avec l’éducation que mes parents m’ont donnée, eux qui, au contraire, ont toujours été très ouverts aux autres et à la différence.
Vous avez choisi de prendre votre nom d’épouse comme nom professionnel, votre mariage et votre métier sont-ils très liés ?
Complètement ! Déjà parce que je me suis mariée et que j’ai lancé mon activité au même moment. Aujourd’hui, mon mari me soutient de manière indéfectible et je n’en serais pas là sans lui, c’est certain. Je l’ai rencontré quand j’avais 18 ans et lui 22, nous nous sommes mariés trois ans plus tard. Nous étions si jeunes ! Au moment de nos fiançailles, mon parrain, qui était impliqué dans la préparation au mariage, m’avait dit : “dans le mariage, ce qui compte, c’est de rendre l’autre saint”. Je me souviens m’être dit que ce n’était pas possible… Et d’ailleurs, ça ne l’est pas plus aujourd’hui, dix ans plus tard, car ça nous dépasse complètement, mais il faut avoir de hauts idéaux, sinon on se contente de raser le sol. C’est le sens même du mot fiançailles, du latin “confiare”, confier à, mettre sa foi dans l’autre.
Un artiste qui vous inspire ?
Nirav Patel, un photographe américain dont j’adore le travail. Je m’en inspire beaucoup : j’aime le contraste, il reflète la vie, sa lumière et ses ténèbres qui cohabitent. L’un n’existe pas sans l’autre : la perfection ne m’intéresse pas, je ne cherche pas ce qui est lisse, mais ce qui est dense. Je cherche l’épaisseur. Comme en cuisine, les épices : ce sont les fêlures, les imperfections qui donnent de la saveur à une photographie ou à un souvenir.
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