separateurCreated with Sketch.

Jeanne de Chantal, la moitié de François de Sales

JEANNE DE CHANTAL

Sainte Jeanne de Chantal.

whatsappfacebooktwitter-xemailnative
Anne Bernet - publié le 09/08/24
whatsappfacebooktwitter-xemailnative
Veuve et mère de famille, Jeanne-Françoise de Chantal quitta tout pour suivre les conseils de François de Sales dont elle devint l’auxiliaire irremplaçable. La fondatrice de l’ordre de la Visitation est fêtée par l’Église le 12 août.

Venu prêcher le carême de 1604 à Dijon, François de Sales, "Monsieur de Genève" comme l’on dit, dévisage avec circonspection la dame qui a tant insisté pour le rencontrer. Coqueluche de la Cour et de la ville, le prélat a l’habitude de susciter les curiosités mondaines et s’y résigne. Il n’a pu éviter ce rendez-vous avec la baronne de Rabutin-Chantal qui touche à la meilleure noblesse de Bourgogne et cherche, lui a-t-on expliqué, de pieux dérivatifs à son veuvage. 

M. de Sales compatit

La dame est une brune de 32 ans, née le 23 janvier 1572 en cette ville où son père, Bénigne Frémyot, exerçait les fonctions de président à mortier du Parlement. Bien qu’elle ne soit plus de prime jeunesse selon les critères du temps et qu’elle ait mis six enfants au monde, elle ne manque pas de charme. De coquetterie non plus ; le prouve le soin avec lequel elle s’est vêtue, bien qu’en deuil, les dentelles choisies pour éclairer la robe noire, les bijoux en jais noir, permis en pareilles circonstances. 

Depuis un moment, elle l’entretient du chagrin où l’a plongée la mort de son cher Christophe, victime en 1601 d’un accident de chasse, des soucis qu’occasionne l’éducation des deux filles et du fils qui lui restent, de la cohabitation difficile avec un acariâtre beau-père qui a installé sa servante-maîtresse au logis et laisse cette goton donner des ordres à sa bru. M. de Sales compatit. On lui a dit que la baronne veut se donner aux œuvres de piété, qu’elle se cherche un directeur de conscience mais, pour l’heure, elle donne l’impression d’une mondaine qui s’ennuie. Soudain, il l’interrompt et, de sa voix douce : « Vous songez, ce me semble, Madame, à vous remarier. » Jeanne-Françoise le regarde : « Nullement, Monseigneur. » Avec un sourire désarmant, effleurant du doigt les dentelles précieuses, M. de Sales rétorque : « En ce cas, ma fille, il faut jeter bas l’enseigne ! » 

Elle laisse tout derrière elle

Une autre s’offusquerait de ce mot déplaisant la comparant à une maison à vendre affichant aux fenêtres qu’elle cherche preneur, pas Mme de Chantal. Celle-ci est soudain certaine que son intuition ne l’a pas trompée en la poussant à demander conseil à ce prélat interdit de résidence en son diocèse genevois passé aux mains de la Réforme mais réputé pour sa douceur, sa fine intelligence, sa compréhension des âmes. Ce qu’il vient de lui faire comprendre, c’est que l’on ne peut prétendre vouloir se donner à Dieu et continuer d’arborer les livrées du monde. Si la baronne veut se consacrer au Seigneur, il lui faut rompre avec tout ce qui pourrait l’en empêcher, s’agirait-il de ses plus légitimes affections. Rude programme que ce directeur spirituel hors du commun saura lui rendre accessible dès qu’il aura reconnu en elle l’auxiliaire dont il a besoin pour réaliser son rêve de fonder chez lui à Annecy une congrégation féminine qui se partagerait entre prière et œuvres caritatives, de sorte que, grande première, ces religieuses ne seraient pas cloîtrées. Cela s’appellerait la Visitation. 

Dans quelques années, Rome leur refusera la permission de courir les rues et fera des visitandines des contemplatives mais l’œuvre sera lancée. Pour s’y donner, Jeanne de Chantal n’aura reculé devant rien. Dans la nécessité de s’installer en Savoie, en 1610, elle laisse tout derrière elle. Si elle emmène ses filles, Marie-Aimée, fiancée au frère de François de Sales, et Françoise, Celse Bénigne, l’héritier du nom, reste en France. Affreux crève-cœur pour cet adolescent très attaché à sa mère. À l’instant des adieux, le garçon se couche en travers du seuil et crie au milieu de ses sanglots : "Si vous partez, ma mère, il vous faudra me passer sur le corps !" Le premier biographe de Jeanne commente : "Elle pleura, mais elle passa" sans un regard en arrière, ce qui la fera parfois juger mère dénaturée. 

Elle ne se résout jamais à dire non

C’est de loin qu’elle gérera les folies de ce fils amateur de duels et de provocations qui se rachète en se faisant glorieusement tuer au siège de l’île de Ré en 1622, à 25 ans, laissant une fille unique, que son aïeule surveillera de loin, Marie de Rabutin-Chantal, future marquise de Sévigné. Elle aura déjà eu la douleur en 1616 de perdre Marie-Aimée, morte en couches à 17 ans. Plus sensible qu’on le pense, Jeanne en tombe malade, en proie à une dépression. La mort de François de Sales, en décembre 1622, devrait l’achever. C’est le contraire qui se produit. Désormais, la Mère de Chantal, fondatrice de la Visitation, assumera tout : ouverture de la cause de canonisation de M. de Genève, à laquelle elle se voue, gestion des treize couvents de visitandines déjà existants, suivi des nouvelles maisons qui se multiplient en France et en Europe : "Nous nous multiplions trop !" soupire-t-elle, lucide mais, comme ces fondations répondent à des nécessités spirituelles, elle ne se résout jamais à dire non. C’est Lyon en 1615, Moulins en 1616, Grenoble et Bourges en 1618, Paris en 1619, le duché de Bar en 1628, où elle rencontre le futur saint Pierre Fourier, Rennes, Rouen, Nantes, Besançon, Gray, Nancy, Metz, Poitiers, Tours, Angers, Turin, etc. 

L’ordre compte 87 maisons quand en décembre 1641, au retour d’un voyage épuisant à Saint-Germain-en-Laye où l’a appelée la reine Anne d’Autriche, la Mère de Chantal s’arrête, éreintée, à la Visitation de Moulins ; elle s’y éteint le 12 décembre. Son corps sera rapporté à la basilique de la Visitation d’Annecy où elle repose auprès de François de Sales, unis à jamais dans une amitié sainte comme l’histoire de l’Église en compte peu d’aussi harmonieuse.

Vous aimez le contenu de Aleteia ?

Aidez-nous à couvrir les frais de production des articles que vous lisez, et soutenez la mission d’Aleteia !

Grâce à la déduction fiscale, vous pouvez soutenir le premier site internet catholique au monde tout en réduisant vos impôts. Profitez-en !

(avec déduction fiscale)
Newsletter
Recevez Aleteia chaque jour. Abonnez-vous gratuitement