"Je n’ai jamais perdu la foi. Ça me paraît impossible, même devant les difficultés, au contraire…", martèle Yves, 69 ans, ancien représentant de commerce originaire de Lyon. C’est là, "en allant au caté chez les Dominicains" et à travers "la fraternité et les parties de foot", qu’il découvre le Christ dès son plus jeune âge. "La grande simplicité des frères" marquera durablement ce sportif en herbe. Pourtant, il aurait eu mille raisons de laisser tomber la foi : divorce, licenciement, maladie… Tout commence dans les années 1980. Jeune père de famille, Yves travaille dans l’univers du ski comme moniteur et vendeur de matériel de glisse. Un métier financièrement insécurisant. À tel point que lui et son épouse divorcent. La maman obtient la garde des enfants, une fille de 14 ans et un fils de 19 ans. Double-peine : encore aujourd’hui, l’aîné "ne veut plus entendre parler de son père".
Yves se trouve bientôt muté en Alsace pour son travail. Malgré la solitude, sa foi est bien-là, chevillée au cœur, même s’il "laisse un peu tomber tout ce qui est prières". Et qu’il se sent, en tant que chrétien divorcé, profondément blessé par l’Église. "Vatican II m’a rejeté", lance celui qui se voit refuser catégoriquement la communion par le prêtre de sa paroisse alsacienne (qui a finalement été écarté, ndlr) bien que sa situation le lui permette. En ce qui concerne "le conjoint qui a été contraint au divorce (...), s’il ne se laisse pas entraîner dans une nouvelle union et s'emploie uniquement à remplir ses devoirs familiaux et ses responsabilités de chrétien, l'Église (...) doit lui apporter une aide pleine de sollicitude affectueuse, sans qu'il y ait aucun obstacle à son admission aux sacrements", peut-on lire dans Familiaris Consortio, l’exhortation apostolique sur la famille de Jean Paul II. "Cependant, l'Église réaffirme sa discipline, fondée sur l'Écriture Sainte, selon laquelle elle ne peut admettre à la communion eucharistique les divorcés remariés (...) car leur état et leur condition de vie est en contradiction objective avec la communion d'amour entre le Christ et l'Église, telle qu'elle s'exprime et est rendue présente dans l'Eucharistie."
Interdit de communion, il prie pour ses frères
"J’ai pris acte. Je me suis dit : il est comme moi, il est en Dieu. Et moi aussi j’aime Dieu." Alors, lorsque les membres du chœur paroissial dont il fait partie communient, Yves "prie pour eux" et demeure dans la joie au lieu de se morfondre. Un peu plus tard, à la faveur d’un changement de curé et poussé par son entourage, il lui arrive de prendre l’eucharistie. En revanche, il ne "donne jamais la communion", se défend-il. Un nouveau coup dur bouleverse sa vie à 55 ans : le licenciement. "Obligé de s’en sortir", Yves intègre une entreprise de cirage et couvre tout le secteur du nord de la France. L’homme qui est aussi motard et cycliste, s’établit alors à Rue, dans la Somme, où il noue avec une femme une relation qui durera dix ans.
À Lourdes, "beaucoup d’amour"
Il y a quelques années, il déménage non loin de sa paroisse de Rue, à Berck-sur-mer. Une période plus douce pour Yves, malgré l’apparition de la maladie de Parkinson au moment de la retraite, qui l’oblige à revendre sa moto. Dans son appartement, il a accroché une croix et une photo de Mère Teresa. "Elle a dit : ‘Je ne suis qu’un petit crayon dans la main de Dieu’. Elle est pour moi un exemple", confie-il. Yves reconnaît être doué pour communiquer avec les gens. "Ils me le rendent au centuple parce que c'est sincère, c’est gratuit et désintéressé", livre ce musicien qui aime "chanter pour les autres". Depuis quelque temps, il rend visite à une voisine âgée de son immeuble, qu’il emmène parfois à la messe le dimanche.
À Lourdes, « beaucoup d’amour »
En 2021, Yves entend parler du pèlerinage à Lourdes avec le diocèse d’Amiens. Il décide de « sauter le pas » et attrape le virus ! « Lourdes nous prend », apprécie le nouveau brancardier qui rêverait d’en parler à son curé si ce dernier était plus disponible, « comme un enfant raconte à sa mère ». ‘Roulage’ des fauteuils au gré des évènements du sanctuaire, soins aux malades, temps de prière… Ces rencontres représentent « une grande joie, et beaucoup d’amour ». « Avec les malades, on essaie d’avoir des mots d'affection, de douceur... Ça donne du bonheur à tout le monde, chacun vient prendre un peu sa nourriture, comme une nourriture spirituelle », décrit-il. « Et tout ça c’est gratuit, c’est hyper fort. Sans aucune arrière-pensée, sans se regarder », s’émeut-il. Avant d’ajouter : « C’est peut-être ce qui a manqué à notre religion. »
Avec d’autres pèlerins de sa paroisse, il a créé un groupe de prière. Aujourd’hui, Yves est apaisé, même s’il se dit toujours qu’il n’est « pas tout-à-fait dans la norme ». Ce fervent croyant aimerait que « tout le monde soit dans l’humilité de Dieu ». Et lui rend grâce tous les matins.