"Je sens qu’aujourd’hui, on n’a pas le droit d’être médiocre et de se laisser vivre. On doit nous aussi lutter à notre manière." Dans le convoi qui l’emporte vers les camps de concentration début août 1944, Agnès de Nanteuil pense-t-elle à ces quelques mots qu’elle a écrit dans une lettre à son père spirituel, l’abbé Macé, en 1939 ? Agnès de la Barre de Nanteuil est née le 17 septembre 1922. Elle grandit à Paris, dans une famille aisée et profondément croyante. Aînée de six enfants, ce petit "chef de bande" montre très tôt un caractère bien affirmé. Son cousin la décrit comme "volontaire, sûre d’elle-même, orgueilleuse… un vrai petit volcan".
La jeune fille découvre le mouvement des Enfants de Marie et devient guide de France. En février 1937, à l’âge de 15 ans, Agnès suit cinq jours de retraite. Mystère de la rencontre d’une âme avec Dieu, cette retraite fait vivre à Agnès une véritable conversion. Dès lors, elle sort de la tiédeur. Désir de mieux faire, d’être moins égoïste, la poussent aux décisions concrètes : obéir sans répliquer à ses parents, faire de son mieux, vivre dans la joie. Sa famille, rencontrant des difficultés financières, déménage la même année à Vannes où Agnès y tisse de belles amitiés. Son père spirituel lui donne une image de Jésus en croix qu’elle emporte partout : le Christ souffrant est la source de sa vie. "La communion sera le remède de mon âme", écrit-elle en décrivant ses chutes.
La guerre éclate puis vient la défaite. À l’heure allemande, c’est la loi des couvre-feux, ausweiss et restrictions diverses. Les Nanteuil vivent dans l’espérance de la libération. Agnès décroche son bac de philo en 1941 et commence des études d’infirmière. Fin 1943, sa mère l’autorise à intégrer le réseau dont elle-même fait partie. La jeune fille est d’abord agent de liaison, puis elle est chargée de collecter les renseignements en vue du débarquement, et participe à des opérations de balisage pour du parachutage d’armes. Mais le 14 mars 1944, elle est arrêtée par la Gestapo. Les interrogatoires s’enchaînent, la torture et les privations. Agnès prie pour avoir la force de ne pas parler. En prison, elle parvient à faire passer des missives discrètes pour rassurer sa famille.
Alors que les Alliés progressent, Agnès se retrouve avec sa sœur Catherine dans un train où près de 1.500 détenus vivent dans des conditions inhumaines. Le 7 août, alors que le train est stoppé en pleine campagne et que les prisonniers prennent l’air, c’est l’affolement général : des avions alliés prennent le train pour cible, les gardiens paniquent et tirent sur les prisonniers qui cherchent à trouver un abri. Agnès s’effondre, touchée grièvement au ventre. Elle offre ses souffrances, une semaine de douleur durant laquelle, faute de soins, la gangrène s’étend. Agnès parle de Dieu, ne se plaint jamais, crée autour d’elle un climat de prière qui a frappé les témoins.
Le 13 août, Agnès rend son dernier souffle. Le soir même, le train arrive à Paray-le-Monial, la cité du Cœur de Jésus. Son corps sera par la suite rapatrié au cimetière de Boismoreau à Vannes. Elle est décorée à titre posthume de la médaille de la Résistance, avec sa mère et sa sœur Catherine. Son combat pour la liberté, enraciné dans une foi inébranlable, a fait d’elle l’une des seules femmes marraine d’une promotion d'élèves officiers. "Je donne ma vie pour mon Dieu et ma patrie… j’ai été dénoncée, mais j’ai pardonné…" ont été ses derniers mots au terme de son court pèlerinage sur terre.