Les habitants de Champigny-en-Beauce le connaissaient bien, ce tableau accroché dans leur église. "La Vierge à l’Enfant avec le jeune saint Jean-Baptiste". Ils l’avaient toujours vu accroché dans l’église Saint-Félix de leur petit village du Loir-et-Cher. Bien loin d’eux l’idée qu’il pourrait s’agir d’une œuvre d’un intérêt majeur. Jusqu’à récemment, il semblait entendu que ce tableau n’était qu’une copie réalisée au XIXe siècle, même si elle était de bonne facture. Il existe en effet deux autres versions du même sujet peintes par Sandro Botticelli. L’une est conservée au musée des Offices de Florence. L’image est peinte dans le sens opposé à celui du tableau conservé dans l’église Saint-Félix, comme en miroir. L’autre se trouve au Barber Institut of Fine Arts de Birmingham, en Angleterre. Pour celui-ci, la scène est représentée dans le même sens.
Observons ce tableau. Portant Jésus dans les bras, Marie se penche. Elle permet à Jean-Baptiste de déposer un baiser sur la joue de son cousin. Les deux enfants se tiennent par le cou avec tendresse, tandis que le visage de Marie est empreint de tristesse. La mélancolie qui se dégage de ce tableau tient à son sens caché, celui de la déposition de la croix qui interviendra après la mort de Jésus.
Les pigments sont catégoriques
En 2020, l’anonymat du tableau n’est plus de mise : des recherches historiques et scientifiques sont menées, à l’occasion d’une importante exposition consacrée à Botticelli. Les analyses de pigments et l’imagerie scientifique confirment sa provenance prestigieuse, celle d’une réalisation dans un atelier florentin, celui de Botticelli, vers 1505. Cette découverte a surpris, mais les multiples versions d’une même image ne sont pas rares à la Renaissance. À cette époque, les assistants reproduisent les dessins d’un maître à partir d’un calque. Le maître intervient alors sur les parties les plus importantes, celles qui donnent l’esprit du tableau, en particulier les visages. Le travail en atelier permettait ainsi la transmission des savoirs, et la démultiplication des représentations.
Mais alors comment le tableau est-il arrivé à Champigny-en-Beauce, petit village de moins de 600 âmes ? On le doit probablement à la famille de François-Philibert Dessaignes, agronome, fondateur d’une cité agricole idéale à Champigny et bienfaiteur du village. Une de ses belles-filles, amatrice d’art, a peut-être fait l’acquisition du tableau au moment où il apparaît sur le marché de l’art au XIXe siècle. Elle l’aurait offert à l’église du village après son acquisition. Mais ce n’est pas certain. Mais une question demeure, où le tableau se trouvait-il avant d’être mis en vente ? Ses cinq siècles d’histoire n’ont pas encore livré tous ses secrets.
Depuis la révélation de son origine, le tableau n’a cessé de se promener. Il est accroché au musée Jacquemart-André pour l’exposition "Botticelli, artiste & designer", a ensuite été déposé au musée national de la Renaissance, au château d’Ecouen. Il sera bientôt la vedette, avec son modèle de Florence, d’une exposition au château de Chambord : "Botticelli : deux madones à Chambord", du 19 octobre 2024 au 19 janvier 2025.