Tout a désormais une couleur, une odeur olympique. Gare à celui qui émettra à cet égard la moindre réserve ! Ce serait, paraît-il, remettre en cause la France elle-même, "jouer contre la France" pour reprendre les mots du ministre démissionnaire en charge des sports et des "jeux". Dans une société où tout doit être fête, il est normal que l’enthousiasme soit de mise et s’impose par tous les moyens. Au-dessus de toutes les têtes, brille la "flamme", sacrée, passant de main en main depuis sa naissance surnaturelle à Olympie au cœur d’une cérémonie païenne qui aurait bien surpris les Grecs de l’Antiquité.
Une origine païenne
Il est très intéressant de compulser les pages qui lui sont consacrées sur le site officiel de ces Jeux olympiques de Paris. Il est précisé que son parcours sera "épique". Voilà qui remet les pendules à l’heure car Nicolas de Malézieu, académicien français oublié, repris par Voltaire, écrivait en 1701 que "les Français n’ont pas la tête épique". Eh bien ! nous l’avons désormais et nous pouvons en être fiers, ceci grâce à la flamme. Est épique ce qui a trait à une épopée, c’est-à-dire un ensemble d’aventures héroïques où intervient le merveilleux. Il semble donc que ce soit le cas pour le voyage de ce feu des dieux. Peut-être parce qu’il possède des parrains prestigieux, l’ayant porté sur les fonts baptismaux : Coca-Cola et autres compagnies.
Le "Relais de la Flamme", tant chanté aujourd’hui par les troubadours du festif, est pourtant une invention nazie, Goebbels ayant compris l’intérêt représenté par les Jeux olympiques de Berlin en 1936 comme vitrine du régime aux yeux du reste du monde. Ceux qui ne cessent de dénoncer les "heures les plus sombres de notre histoire" ne sont apparemment pas gênés par cette origine païenne pour la glorification d’une race supérieure. Il n’est pas innocent que cette création de 1936 demeure aujourd’hui le symbole le plus marquant de la préparation des Jeux olympiques : les sociétés qui écartent Dieu et Le combattent sont trop heureuses de Le singer en inventant des rites qui sont un nouveau Saint-Sacrement.
Une image de la guerre
Il était frappant de constater que, au cours du pèlerinage de la flamme à Paris — traversant même les salles du Louvre et éclairant enfin les chefs-d’œuvre de l’art des hommes d’une Lumière descendue du ciel — la communion était telle — au moins d’après les journalistes survoltés — que la population s’agenouilla presque sur son passage. D’ailleurs les porteurs, si nombreux et si divers (à noter qu’il y a des "porteurs notables" et puis le menu fretin), de cette flamme sont appelés des "Éclaireurs" : ils introduisent la Lumière dans le monde jusque-là enténébré. Pourtant, même en étudiant attentivement l’histoire de ces Jeux olympiques "restaurés" par Coubertin, il est bien ardu de déceler en quoi cette manifestation sportive internationale a participé, de quelque manière que ce fût, à l’adoucissement des mœurs humaines. Lorsque des nations s’affrontent dans une compétition, le sport est une image de la guerre. Les Jeux olympiques antiques étaient réservés aux cités grecques, partageant une culture identique. La dernière image du premier relais de la flamme à Berlin en 1936 est parlante : le pâtre Spiros, vainqueur du premier marathon de 1896, remettant la flamme sacrée à Hitler.
Notre époque n’est point héroïque
Les Jeux antiques furent célébrés par les poètes en des vers aujourd’hui oubliés, tels ceux de Jean-Baptiste-Gaspard Roux de Rochelle en 1816 :
"Noble fille du ciel, muse, dont la mémoire
Des temps qui ne sont plus éternise la gloire,
Sous l'olivier sacré relève tes autels ;
Fais revivre l'éclat de ces jeux immortels,
Où la valeur, les arts, et les vertus antiques
Recevaient de tes mains les palmes olympiques"
(Les Trois âges, ou les Jeux olympiques, l'Amphithéâtre et la Chevalerie).
Il s’agissait encore de chanter la culture dans laquelle la France plongeait ses racines. Point d’exaltation de la flamme ici mais plutôt la geste des héros de l’Antiquité. Notre époque n’est point héroïque : ses demi-dieux et ses titans sont des joueurs de football couverts d’or et achetés comme des gladiateurs. La flamme intérieure s’est éteinte car, pour qu’elle vive, il est nécessaire de cultiver l’homme contemplatif et non point les paillettes de la médiatisation. La flamme olympique passant de main en main n’est qu’un pâle reflet de celle, dévorante, qu’elle a reléguée hors de notre champ de vision.
Cette vive flamme d’amour
Qu’est donc devenue cette vive flamme d’amour qui dévora saint Jean de la Croix ?
"Ô flamme vive d’amour
Qui navres avec tendresse
De mon âme le centre le plus secret,
N’ayant plus nulle rigueur,
Achève, si tu le veux,
Brise la toile de ce rencontre heureux"
(La Vive Flamme d’Amour).
Évidemment cette flamme d’amour, invisible, ne possède aucune parenté avec celle, olympique qui prétend présider, pendant toute sa courte existence, à la paix des hommes. Le mystique espagnol explique que "cette flamme d’amour est l’Esprit de son [celle de l’âme] Époux, qui n’est autre que le Saint-Esprit, Lequel l’âme sent désormais en soi, non seulement comme un feu qui la tient consommée et transformée en son suave amour, mais aussi comme un feu qui, en outre, brûle en elle et jette flamme […] ; et chaque fois que cette flamme flamboie, elle baigne l’âme en gloire et la rafraîchit avec la trempe d’une vie divine" (Strophe I, vers. I). Il s’agit de cette lumière dont Notre-Seigneur parle dans l’Évangile lorsqu’il affirme qu’"on n’allume point une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais sur un chandelier, afin qu’elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison. Qu’ainsi donc luise votre lumière devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux" (Mt 5, 15-16). Il existe une flamme qui renvoie directement à Dieu, et une autre qui alourdit vers la terre ou qui n’élève que dans l’orgueil et la prétention de se prendre pour des dieux, fussent-ils seulement ceux du stade.
Une intrusion du païen
Il est possible et probable que certains, qui acclament la flamme olympique, soient de bonne foi, mais cela ne change rien à l’affaire. Ils sont simplement trompés et leur regard s’arrête sur un objet dont la symbolique dépasse largement l’ordre de l’anecdotique et du folklorique sinon tout ce rituel qui l’entoure dès Olympie ne serait pas aussi codifié. Un parallèle peut être fait avec la symbolique franc-maçonne qui, elle aussi, a su singer les vérités les plus sacrées pour les détourner et pour tromper ses initiés. Une telle intrusion du païen n’est pas neutre et laissera durablement des marques dans bien des esprits et des âmes. Pendant ce temps, tremblotera toujours, et ceci jusqu’à la fin des temps, la petite flamme du Très-Saint-Sacrement, Lumière invisible dans nos ténèbres qui se veulent si joyeuses.