Que se passe-t-il à la communauté Saint-Martin ? Mgr Matthieu Dupont, évêque de Laval, et le père François-Marie Humann, abbé de Mondaye, ont été nommés assistants apostoliques le 4 juillet par le Dicastère pour le Clergé afin d’accompagner la communauté Saint-Martin pendant trois ans. Une décision qui fait suite à une visite pastorale menée entre juillet 2022 et janvier 2023 lancée par Rome à la demande de la communauté Saint-Martin. Un rapport de 1.300 pages a été rendu au mois de janvier 2023, complété en mars de la même année d'un audit financier. "Il y a ensuite eu un temps d’attente assez important, de mars 2023 à début juillet 2024, qui montre le sérieux avec lequel le Dicastère a étudié notre rapport et pris la décision de nommer deux assistants apostoliques", a précisé Mgr Matthieu Dupont, l'un des assistants apostoliques, dans un entretien à Famille chrétienne. Décryptage.
Quelles sont les conclusions de la visite pastorale périodique effectuée à la communauté Saint-Martin ?
La visite qui s'est déroulée de juillet 2022 à janvier 2023 a permis à Mgr Benoît Bertrand, accompagné de trois autres visiteurs d'entendre "dans un climat de bienveillance réciproque" des membres de la Communauté et "de très nombreux laïcs dont les collaborateurs habituels des prêtres dans les paroisses confiées à la communauté Saint-Martin". Il en est ressorti un rapport de 1.300 pages complété par un audit financier. Ce rapport, partiellement communiqué à la Communauté, relève d'une part des agissements de son fondateur, l’abbé Guérin qui avait de notoriété un caractère fort et autoritaire, et d'autre part des pistes susceptibles d'améliorer la gouvernance de la communauté.
Qui a demandé cette visite pastorale ?
Cette visite pastorale était une demande du modérateur général de la communauté Saint-Martin, Don Paul Préaux, et non de Rome directement. Il l'avait sollicité à plusieurs reprises auprès du Saint-Siège afin d'accompagner la Communauté dans son développement et sa croissance.
S’agit-il d’un "mauvais procès" fait aux communautés dites « tradis » ?
Fondée en 1976, la communauté Saint-Martin est une association de prêtres et de diacres séculiers vivant leur apostolat en communauté, au service des diocèses. Elle dépend directement du Saint-Siège et se distingue par un certain attachement à la tradition. "Avec le nombre de séminaristes et de prêtres que compte aujourd’hui la Communauté, et la place qu’elle occupe en France, je comprends qu'il y ait une vigilance de la part du Dicastère et des évêques de France", estime Don Paul Préaux. Mais lui, comme le nouvel assistant apostolique, Mgr Matthieu Dupont, ne veulent pas croire qu'il s'agit d'une remise en cause par Rome de son charisme propre. "Il n’a été question ni de liturgie, ni de soutanes" selon Mgr Matthieu Dupont. Officiellement, cette annonce n'est donc pas un "mauvais procès" fait à la communauté Saint-Martin mais une volonté partagée d'accompagner au mieux le développement la Communauté.
Que sait-on des abus dont est accusé l’abbé Jean-François Guérin ?
Des faits ont été rapportés directement aux visiteurs par des personnes qui ont souffert d’agissements de l’abbé Guérin. Ces faits, des baisers forcés, "ont pris place dans un climat abusif plus large qui a marqué l’époque de la fondation de la communauté Saint-Martin", selon Mgr Matthieu Dupont. "Abusif en ce qui concernait l'exercice de l'autorité et l’accompagnement spirituel." L’abbé Guérin cumulait en effet les fonctions de supérieur, de père spirituel et de confesseur. "Ces derniers jours, les assistants apostoliques nous ont fait part de la matérialité des faits reprochés et leur gravité" a déploré le modérateur général de la communauté Saint-Martin, Don Paul Préaux. Les assistants apostoliques ont indiqué vouloir engager durant leur mandat de trois ans un travail "rigoureux" pour entendre des personnes qui ne se seraient pas encore exprimées afin de "faire la lumière sur la période de fondation de l’abbé Guérin et d’initier ensuite, le cas échéant, les réformes induites". "Un de nos premiers chantiers sera de bien accompagner nos frères, en particulier les plus jeunes, qui n’ont pas connu l’abbé Guérin" a souligné Don Paul Préaux.
Le "succès" du séminaire de la communauté Saint-Martin est-il au cœur de cet accompagnement ?
Oui. La visite pastorale a permis de mettre en lumière "le grand service rendu à l'Église de France au travers des paroisses, sanctuaires et œuvres, que la communauté Saint-Martin porte et déploie", selon Mgr Matthieu Dupont. La communauté Saint-Martin est devenue ces dernières années l’un des plus importants pourvoyeurs de prêtres pour l’Église en France (9 ordinations presbytérales cette année, 7 en 2023, 14 en 2022 ou bien 26 en 2021). Mais le séminaire de la communauté Saint-Martin, qui accueille chaque année un nombre croissant de jeunes hommes se destinant à la prêtrise, nécessite d’être accompagné avec vigilance. "Ce qui est revenu dans le rapport de la visite, c'est parfois la trop grande rapidité avec laquelle un jeune a pu être accepté et entrer à Saint-Martin. Comment la Communauté prend le temps de discerner une entrée ? C’est une des questions que nous aurons à nous poser", confirme le père François-Marie Humann.
Quelles réformes les deux assistants apostoliques pourraient-ils mettre en place ?
Outre ce "travail de vérité" demandé par Rome sur la fondation et les "souffrances vécues", les assistants apostoliques devront aussi accompagner la Communauté sur la question de la pastorale des vocations. Le dicastère pour le clergé pourrait ainsi demander des réformes au niveau du recrutement en demandant à la Communauté de revoir son interprétation de deux documents officiels du Vatican que sont la ratio fondamentalis de Rome qui vise à donner les repères pour la formation des séminaristes dans le monde, et la ratio nationalis qui est son application française. "Si nous avons pu accueillir trop vite, nous sommes prêts à apprendre de nos erreurs", assure Don Paul Préaux. "Il faut savoir se remettre en cause et toujours veiller à progresser, car l’accueil d’une vocation est un travail complexe, qui nous demande de respecter chacun comme un cas unique."