Quatre ans après, le texte dit de l’Appel de Rome pour une éthique de l’intelligence artificielle continue de faire son chemin. Rédigé et porté par l’Académie pontificale pour la Vie et son président, Mgr Vincenzo Paglia, il fut ratifié une première fois en février 2020, à Rome, par plusieurs dirigeants de grands groupes informatiques, dont Microsoft et IBM. Depuis, d’autres voix ont apporté leur soutien, à la fois des religieux et des industriels. En avril 2024, Justin Welby, archevêque de Canterbury, signe ce texte lors d’une cérémonie organisée à Rome. En ce début juillet, une nouvelle cérémonie s’est tenue au Japon, à Hiroshima, pour une ratification faite par plusieurs représentants des religions asiatiques. Le texte sort ainsi du cadre romain pour toucher les populations de l’Asie.
Pour une vision juste de l’IA
Le texte promeut une "algoréthique", terme utilisé à plusieurs reprises par le Pape, c’est-à-dire un usage éthique de l’intelligence artificielle (IA). L’Église a toujours analysé les innovations technologiques sous le regard de l’éthique et de la morale, en cherchant à définir un cadre qui permette de tirer le meilleur parti de ces inventions sans nuire à l’humanité. C’est là l’un des dialogues essentiel et ancien entre la foi et la raison, entre la morale humaine, qui est fixe et éternelle, et l’innovation technologique, qui ne cesse d’évoluer.
Des problèmes similaires s’étaient posés à l’époque médiévale avec l’apparition de l’arbalète et des canons, au XVIe siècle avec les grandes découvertes scientifiques et géographiques, au XIXe siècle lors de l’essor de l’industrie, l’amélioration de la médecine et la mise en place de nouvelle science, notamment l’anthropologie et l’archéologie biblique. Ce texte sur l’IA est dans la droite ligne des réflexions d’un cardinal Bellarmin avec son ami Galilée et des ouvertures scientifiques apportées par Léon XIII durant son pontificat (1878-1903). Il témoigne également de la force de l’influence de l’Église et de sa diplomatie. Qu’il soit signé par des chefs religieux non chrétiens démontre la force d’attraction du christianisme dans le débat sur les questions morales : c’est encore Rome qui fixe les limites et les termes du débat. Qu’il soit signé également par de très grands noms des entreprises informatiques, tels Microsoft et IBM, entreprises qui sont à la pointe des travaux sur ces sujets, témoigne d’une centralité de Rome. Un jour, peut-être, ce texte sera aussi ratifié par Google et Apple, voire des entreprises chinoises et japonaises. Mais c’est déjà un premier pas important et la preuve que, quatre ans après sa rédaction, ce texte continue de vivre et d’inspirer.
L’espoir technologique
Loin d’une vision réactionnaire ou technophobe, l’Appel de Rome sur l’IA est un texte porté résolument vers l’espérance. Il souligne à quel point les innovations technologiques permettent d’améliorer les conditions de vie, de faire reculer la pauvreté, de soulager les plus pauvres : "Aujourd’hui plus que jamais, nous devons garantir une perspective dans laquelle l’intelligence artificielle est développée en mettant l’accent non pas sur la technologie, mais plutôt sur le bien de l’humanité et de l’environnement, de notre maison commune et partagée et de ses habitants, qui sont inextricablement liés."
Espérance reprise par Mgr Paglia lors d’une conférence donnée à Bangalore en février dernier, où il appelait les évêques indiens à ne pas se laisser submerger par le pessimisme de ceux qui ne voient que les aspects négatifs de l’IA. En rappelant néanmoins qu’il fallait que cette nouvelle technologie soit mise au service du bien commun et de l’humanité.
Un bien commun qui exige de sortir du cadre strictement occidental, raison pour laquelle Mgr Paglia a plaidé la cause de l’Appel de Rome en Inde, pays où le secteur de la tech est en plein dynamisme, et qu’il souhaité la ratification du texte au Japon par des représentants des religions asiatiques. Le tout dans le droit fil de la présence de François au dernier sommet du G7, venu pour parler de l’intelligence artificielle. Par cette intense activité diplomatique et intellectuelle, l’Église démontre qu’elle est bien au cœur des préoccupations de ses contemporains.