Le congrès du dicastère pour la Doctrine de la foi s’est réuni le 4 juillet pour un procès pénal extrajudiciaire, qui a pris note des "affirmations publiques" de Mgr Carlo Maria Viganò, l’ancien nonce apostolique aux États-Unis, lesquelles expriment son refus de "se soumettre au Souverain pontife", et son rejet de "la communion avec les membres de l’Église" et de la "légitimité et de l’autorité magistérielle du Concile œcuménique Vatican II", indique le le dicastère pour la Doctrine de la foi dans un communiqué diffusé ce vendredi.
L’archevêque italien de 83 ans, devenu depuis plusieurs années un adversaire public du pape François, avait lui-même annoncé le 20 juin dernier sa convocation par le dicastère pour la Doctrine de la foi pour un procès pour "schisme". Dans un communiqué d’une grande virulence, Mgr Viganò avait affirmé considérer les accusations portées contre lui "comme un honneur" qualifiant le Concile Vatican II de "cancer idéologique, théologique, moral et liturgique" dont l’Église synodale portée par François serait une "métastase".
Une rupture
Fait inédit dans l’histoire récente du Vatican, la décision du dicastère pour la Doctrine de la foi acte donc la rupture avec l’Église catholique d’une personnalité qui fut un proche collaborateur de trois papes, de Jean-Paul II à François. "Je l’ai toujours apprécié comme quelqu’un de très travailleur et très fidèle au Saint-Siège", avait déclaré le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État du Saint-Siège, lors d’un échange avec des journalistes quelques instants après l’annonce de la convocation de Mgr Viganò. "Quand il a été nonce apostolique, il a extrêmement bien travaillé", avait ajouté le cardinal italien, tout en reconnaissant que son ancien collègue de la diplomatie pontificale devait répondre de "quelques attitudes, quelques gestes" qui l’avaient conduit à se situer en opposition au pape François.
Après avoir notamment représenté le Saint-Siège auprès du Conseil de l’Europe (1989-1992), et du Nigéria (1992-1998), Mgr Viganò avait été reconnu pour sa rigueur et son efficacité en tant que secrétaire général du Gouvernorat de la Cité du Vatican, de 2009 à 2011, un poste dans lequel il avait établi des règles comptables l’ayant mis en porte à faux avec le secrétaire d’État de Benoît XVI, le cardinal Tarcisio Bertone.
Le voyage de François aux États-Unis
Selon un courrier mis à la connaissance du grand public lors de l’affaire Vatileaks, en 2011, Mgr Viganò avait vécu sa mutation comme nonce apostolique aux États-Unis, un poste pourtant prestigieux, comme une rétrogradation humiliante visant à l’éloigner du Vatican. Durant son mandat à la nonciature à Washington, de 2011 à 2016, Mgr Carlo Maria Viganò – à ne pas confondre avec Mgr Dario Viganò, préfet du secrétariat pour la Communication du Saint-Siège de 2015 à 2018, sans lien de parenté – avait contribué, selon certains observateurs, à remodeler l’épiscopat américain dans un sens conservateur, et parfois contradictoire vis-à-vis des orientations pastorales du pape François.
Cependant, l’alors nonce apostolique avait contribué à l’accueil du pape François aux États-Unis, en septembre 2015. Le pontife argentin s’était alors rendu à Washington, New York et Philadelphie, à l’occasion de la Rencontre mondiale des familles, qui fut un grand succès populaire et médiatique. Les relations entre le nonce et le pape se seraient toutefois refroidies en marge de ce voyage, notamment en raison d’une brève rencontre organisée entre le pontife et Kim Davis, une greffière du Kentucky, brièvement emprisonnée quelques jours auparavant pour avoir refusé de délivrer des certificats de mariage aux couples homosexuels. Cette rencontre, organisée semble-t-il sur une initiative personnelle du nonce, aurait irrité le pape, dans un contexte délicat pour les relations entre le Saint-Siège et l’administration Obama.
Le choc de l’affaire McCarrick
Mis à la retraite depuis 2016, l’ancien nonce est entré progressivement dans une dissidence de plus en plus frontale avec le pape François, d’abord en s’associant aux “dubia” des cardinaux conservateurs Burke, Meisner, Brandmuller et Caffarra après le Synode sur la Famille. Surtout, en 2018, il a provoqué un important scandale en dénonçant le traitement par le Saint-Siège des abus sexuels commis par le cardinal Theodore McCarrick, ancien archevêque de Washington. L’ancien nonce a alors ouvertement réclamé la démission du pape François, l’accusant d’avoir protégé le cardinal américain.
Mis sous pression, le Vatican a publié en 2020 une importante enquête sur l’affaire McCarrick, dans laquelle il a choisi de répondre aux accusations de Mgr Viganò en déplorant de nombreuses fausses informations, spéculations erronées et omissions. Rome soulignait en outre la responsabilité directe de Mgr Viganò dans le fiasco de cette affaire à l’époque où le nonce était en poste à Washington, lui reprochant de ne pas avoir apporté au Saint-Siège les preuves nécessaires pour prouver sa culpabilité. L’archevêque italien avait alors dénoncé une "fiction vaticane".
Au regard de ce rapport, le pamphlet écrit par Mgr Viganò en 2018 pour dénoncer le pape peut être lu comme une façon pour l’ancien nonce de se protéger et de protéger sa ligne idéologique. Depuis 2018, l’archevêque à la retraite est devenu une des voix les plus critiques du pontificat de François, remettant en cause sa légitimité et son orthodoxie sur des thématiques non liées à l’affaire McCarrick. Quatre ans après ce rapport, le Saint-Siège avait décidé de faire passer Mgr Viganò devant la justice, l’accusant de schisme, l’un des plus graves délits d’un point de vue canonique. L’enjeu n’était plus le traitement du dossier McCarrick, mais bien ses positions violemment critiques à l’encontre du magistère du pape François, et, au-delà, son rejet du Concile Vatican II.
Les excommunications récentes
Mgr Viganò est le premier évêque excommunié depuis 2006. Mgr Emmanuel Milingo, ancien archevêque de Lusaka en Zambie, avait été condamné pour avoir soutenu notamment l’ordination d’hommes mariés. Cet homme à la réputation sulfureuse, qui fut lui-même marié à une adepte de la secte sud-coréenne Moon, avait ordonné le 24 septembre 2006 quatre évêques sans mandat pontifical, pour le service pastoral de l’organisation “Married Priests Now”. Il fut excommunié deux jours plus tard par Benoît XVI, ainsi que les quatre évêques ordonnés.
L’autre cas le plus connu de l’histoire récente fut celui de Mgr Marcel Lefebvre, fondateur de la Fraternité Saint-Pie X, excommunié en 1988 pour avoir ordonné quatre évêques sans mandat pontifical. Leur excommunication fut levée en 2009, malgré les prises de position négationnistes de l’un d’entre eux, Mgr Richard Williamson, qui sera ensuite exclu de la Fraternité.
Alors que Mgr Viganò avait dit son admiration pour Mgr Lefebvre en raison de son opposition au Concile Vatican II, la Fraternité Saint-Pie X a récusé ce soutien encombrant en raison de son "sédévacantisme", c’est-à-dire son affirmation que l’élection du pape François aurait été invalide en raison d’un "vice de consentement" lors de son élection en 2013. Selon l’analyse de Mgr Viganò, le cardinal Bergoglio aurait ainsi "accepté la charge pontificale sans y consentir pleinement", en "considérant la papauté comme autre chose que ce qu’elle est vraiment".
Le mouvement lefebvriste, tout en dénonçant avec virulence les orientations théologiques du magistère des papes depuis le Concile Vatican II, assure n’avoir jamais attaqué la légitimité de la personne même des papes successifs ni la validité de leur élection, préférant prier pour leur retour à une certaine fermeté doctrinale. Reprenant la position de Mgr Viganò selon laquelle le pape "ne serait qu’un figurant", les lefebvristes assurent que "sur ce point, ni Mgr Lefebvre, ni la Fraternité qu’il a fondée, n’ont accepté de s’aventurer".