D’après le Code de droit canonique de l’Église latine (canon 751), "on appelle schisme le refus de soumission au Pontife Suprême ou de communion avec les membres de l'Église qui lui sont soumis". Le schisme, précise Pierre Chaffard-Luçon, docteur en droit canonique, "est d’abord un état du fidèle baptisé, une situation par rapport à l’Église, et seulement ensuite sanction". Le critère essentiel pour juger d’un schisme ? "Le schismatique refuse d’être en communion", répond le canoniste. Il ne s’agit pas simplement de poser des actes de désobéissance à l’égard de l'évêque ou du pontife, pas plus que de formuler des critiques. "Il faut, pour qualifier ce délit, une intention de porter atteinte à la communion et que cette intention se concrétise dans des actes incontestables."
Le schisme fait partie des trois "délits contre la foi", avec l’hérésie – négation obstinée d'une vérité de foi – et l’apostasie – rejet total de la foi chrétienne. Dans l’histoire par exemple, souligne l’expert, "le point de rupture avec les orthodoxes au XIe siècle fut plutôt de type schismatique (reconnaissance de la primauté pontificale), tandis que celui avec les protestants au XVIe fut de type hérétique (refus de la transsubstantiation, du sacrement de la confession, etc.)". Même si le rejet du dogme et de la discipline se mélangent parfois. Le schisme, prévient encore le canoniste, suppose "une pleine liberté" et "une pleine conscience". Et de glisser : "On n’est pas schismatique sans le vouloir. Un fou, par exemple, n’est pas schismatique même s’il tient des propos schismatiques."
Le procès pour schisme
Depuis une réforme de Benoît XVI en 2010, l’évêque est compétent pour juger le délit de schisme en première instance. Le dicastère pour la Doctrine de la foi est juge d'appel, et peut également faire office de juge de première instance en cas d'action directe devant elle, comme c’est le cas pour Mgr Viganò. Le DDF – seul dicastère qui compte un tribunal – engage un procès canonique, dont les juges sont les membres, présidés par le préfet.
Les délais de procédure peuvent varier selon les cas. "Si l’acte schismatique est public et incontestable, la sanction du schisme est immédiate, latae sententiae. Si le cas est plus complexe, l’Église cherchera d’abord à discuter, cela peut prendre plus de temps"." Dans le traitement des cas schismatiques comme dans celui des hérétiques, "il y a toujours une pastorale qui s’apparente à une forme de diplomatie, de négociations… Non pour relativiser la situation, mais pour comprendre la critique portée par le fidèle et l’éclairer en retour. L'Église a toujours pris le temps d’échanger avec la personne, de souligner l’erreur", explique Pierre Chaffard-Luçon. L’Église et la personne visée par l’accusation de schisme ou d’hérésie peuvent débattre et parvenir à un accord.
Le "schismatique" est immédiatement excommunié et donc interdit d’accès aux sacrements, excepté à l'article de la mort.
Actuellement par exemple, 400 prêtres de l’Église syro-malabare qui entretiennent un grave désaccord liturgique pourraient se retrouver en rupture déclarée avec Rome, mais la Curie, qui a déjà mandaté plusieurs représentants pontificaux en Inde depuis des années, poursuit pour l’instant le dialogue. Dans le cas du schisme lefebvriste en 1988, le Vatican a échangé jusqu’à ce qu’il n’y ait "plus de marge de manœuvre possible, lorsque les évêques ont été ordonnés au mépris des décisions romaines".
Les conséquences du schisme
Si finalement le procès canonique conclut à un constat de schisme, la déclaration peut être individuelle ou prononcée à l’encontre d’une communauté. Une telle déclaration par le dicastère pour la Doctrine de la foi entraîne l'excommunication. Le "schismatique" est alors immédiatement excommunié et donc interdit d’accès aux sacrements, excepté à l’article de la mort. Le cas échéant, le coupable perd aussi son office ecclésiastique. D’autres conséquences non directement pénales sont aussi à rappeler, comme la privation de sépulture en cas d’absence de repentance.
C'est d’abord "une peine médicinale qui vise à conduire le fidèle à résipiscence", c’est-à-dire à la reconnaissance de sa faute, souligne Pierre Chaffard-Luçon. Elle peut être assortie de peines expiatoires dont le canon 1336 en mentionne quelques-unes : l’interdiction ou l’ordre de demeurer dans un lieu ou un territoire donné ; la privation d’un pouvoir, d’un office, d’une charge, d’un droit, d’un privilège, d’une faculté, d’une faveur, d’un titre, d’une marque de distinction ; le transfert pénal à un autre office ; le renvoi de l’état clérical…
Le retour à la communion
Si le coupable fait amende honorable, l’Église lève l’excommunication. Ainsi dans le cas de l’excommunication, Pierre Abélard, au XIIe siècle, a tenu des propos non conformes à la doctrine, mais "par amour de l’Église il s’est soumis à la sanction, a arrêté de les enseigner et est mort en pleine communion avec l’Église", rappelle le canoniste.
Il en va de même pour le schismatique. En ce sens, la porte est laissée ouverte à Mgr Viganò qui peut choisir de maintenir ses propos ou bien se rétracter. Pour la suite, l’Église peut décider de relancer une invitation au prélat – qui ne s’est pas présenté à l’audience du 20 juin – ou de faire un jugement par absence. Au terme du procès, une déclaration publique n’est "pas obligatoire mais fort probable", estime l’expert, étant donné que l’ancien nonce a diffusé ses positions dans l’espace médiatique, y compris au sujet de sa convocation au tribunal.