"Jean et non pas Zacharie." Le nom du nouveau-né est l’emblème de tout le récit de l’Évangile de la nativité de saint Jean Baptiste. Habituellement, lorsqu’un enfant naît, ses parents lui donnent immédiatement son nom, si bien que l’heureuse nouvelle de la naissance va toujours de pair avec l’annonce du nom, qui fait de ce bébé un être unique, irremplaçable, qui ne saurait être confondu avec nul autre. Ici cependant, huit jours s’écoulent sans qu’aucun nom ne soit donné. Au jour de la circoncision, acte majeur pour un fils d’Israël, le nom de l’enfant est enfin révélé. Nom inattendu qui coïncide avec un miracle tout aussi surprenant : Zacharie, de muet qu’il était devenu, retrouve la voix, il se met à parler et à bénir Dieu.
Le signe de l’intervention divine
"Jean et non pas Zacharie." C’est un nom qui vient d’ailleurs et sort l’enfant de sa lignée : "Personne dans ta famille ne porte ce nom-là (Lc 1, 61). Plus tard d’ailleurs, Jean ira vivre au désert, hors des limites de la communauté, de la société et du monde, pour y rencontrer Dieu, Dieu qui n’est jamais limité à un horizon, celui de la famille, du pays, de la raison, de la culture. Dieu élargit toujours l’espace dans lequel l’homme est tenté de borner. Ce nom de Jean est le signe de l’intervention divine, car il est celui que l’ange Gabriel avait indiqué à Zacharie dans le temple, annonçant ainsi l’intervention divine qui guérirait de leur infertilité Élisabeth et Zacharie, dans leur vieillesse. À vue humaine, cet enfant n’aurait pas dû naître. Il est alors reçu comme un don de Dieu, dont Zacharie rend grâce, tandis que, sortant grâce à la foi de son mutisme, il se met à bénir le Seigneur. Ordinairement, nous célébrons un homme au regard de sa vie, au terme de son existence, mais ici, Jean est honoré dès sa naissance, car celle-ci est déjà un signe de la puissance de Dieu à l’œuvre dans la faiblesse humaine. Jean est ainsi le seul, avec Jésus et Marie, dont nous fêtons la nativité. Sa mission d’annoncer le Messie, d’en être le précurseur, se réalise non seulement par sa mort en martyre, mais par sa naissance gratuite, imméritée, en laquelle Élisabeth reconnaît avec joie la grandeur de la miséricorde divine.
Un don de Dieu, pas un dû
"Jean et non pas Zacharie." "Ils voulaient l’appeler Zacharie" (Lc 1, 59). On donnait souvent à un enfant le prénom de son grand-père, et non de son père, sauf lorsque le père, d’une manière ou d’une autre, était atteint d’une infirmité que le fils était alors censé pallier. Jean devait-il se substituer à Zacharie dans l’exercice du sacerdoce que le mutisme de ce dernier avait largement altéré ? Projet humain, mais celui de Dieu sera autre. Son nom sera Jean, Yo-hanan, qui signifie littéralement "Dieu est gracieux", "Dieu fait grâce". Tandis que Zacharie, Zakar-Yah, veut dire "Dieu s’est souvenu". Jean et non pas Zacharie, cela veut dire que l’enfant n’est pas un dû, dont Dieu s’est souvenu, lui qui semblait avoir oublié Élisabeth et Zacharie, devenus vieux sans enfanter. Dieu ne rattrape pas un oubli impardonnable comme s’il avait manqué à son devoir de donner à ce couple une fertilité exigée pour tous. Non, l’enfant n’est pas un dû, il est un don, gratuit, immérité. Et Zacharie reconnaît par la foi le don de Dieu. C’est bien le Seigneur qui lui a donné d’engendrer.
"Jean et non pas Zacharie." Quel enseignement aussi pour aujourd’hui ! L’enfant n’est pas un dû, ni un droit, ni un faire-valoir, ni un objet ballotté au gré des conflits entre adultes, pris à parti par l’un ou l’autre. Il n’est pas cet enfant-roi sur le dos duquel notre société de consommation et de technique veut faire toute sorte de profits et de commerce. Il n’est pas l’objet d’une exploitation du corps de la femme, comme dans la GPA. L’enfant, la vie humaine, toute vie humaine, est un don, gratuit, gracieux, qui dépasse les forces et les calculs humains, et renvoie à plus grand que nous, à Dieu qui donne la vie. Accueillons ce nom précieux : Jean, Dieu est gracieux.
Révéler la grâce en personne
"Jean et non pas Zacharie." Si Dieu fait grâce, n’est-ce pas parce que toute vie humaine qui naît est aussi une promesse, dans laquelle Dieu veut manifester sa volonté bienveillante ? Jean est voulu par Dieu, pour accomplir un dessein. Il a une mission et donc une vocation. Pour Jean le Précurseur, pour le chrétien que nous sommes, pour tout homme, Dieu a un projet, un désir, une volonté, qui ne va pas aller contre la liberté de l’homme, mais au contraire susciter cette liberté, permettre à l’homme de grandir dans une réponse, un accomplissement. Celui qui croit et comprend que sa vie est un don, découvre alors qu’il est appelé à une réponse. Quelle réponse ? Au moment où est accomplie la circoncision, qui signe l’alliance de Dieu avec Abraham et sa descendance, mais risque toujours aussi de devenir dans l’esprit d’Israël une forme de fierté, d’orgueil et de droit acquis, résonne le nom de Jean qui dit le primat de la grâce, du don de Dieu. "Produisez un fruit digne du repentir", dira plus tard le Baptiste. "Dieu peut, des pierres que voici, faire surgir des enfants à Abraham" (Mt 3, 8…9). Préfiguration de la circoncision véritable, celle du cœur. Et bientôt saint Paul, "circoncis dès le huitième jour", dira : "Tous ces avantages dont j’étais pourvu, je les ai considérés comme négligeable à cause du Christ" (Ph 3, 7).
Parce que la vie de tout homme sur cette terre est un don du Dieu d’amour, elle a un sens, celui de rendre amour pour amour. La mission de Jean, "Dieu fait grâce", était justement de révéler la grâce en personne : le Verbe fait chair. "Le Fils unique, plein de grâce et de vérité. Jean lui rend témoignage", dit dans son prologue le 4e évangile. Que saint Jean Baptiste, précurseur du Messie, révèle dans nos vies et celles de nos frères et sœurs, cet amour gratuit du Père des miséricordes, pour faire de nous-mêmes une réponse d’amour à Celui qui nous a aimé le premier !
Lectures de la Nativité de saint Jean Baptiste :