"My aircraft has been hit pretty badly" ("Mon avion a été salement touché"). Ce sont les derniers mots du sergent Robert Wallace entendus par l’opérateur radio, le 23 juin 1944. Ce jour-là, en fin d’après-midi, "Bob" a décollé de l’aérodrome temporaire de Bazenville en Normandie pour une mission de reconnaissance vers Lisieux, Argentan et L’Aigle. Sous les ailes de l’escadron de la Royal Canadian Air Force, deux semaines après le Débarquement, la bataille de Normandie fait rage. La défense anti-aérienne allemande tire, et l’avion du sergent est touché. Il s’écrase dans un champ, tout près du village de Sainte-Gauburge (Orne). Postés non loin de là, les Allemands se rendent rapidement sur les lieux et récupèrent le corps de l’aviateur.
Apprenant la nouvelle, les habitants envoient leur curé, l’abbé Guibet, négocier la restitution du corps de l’aviateur pour pouvoir lui offrir une digne sépulture. Permission accordée à condition que l’événement se fasse discrètement. Le curé enterre donc le jeune Canadien dans le cimetière, accompagné du maire et de quelques paroissiens. Parmi eux, Jean et Madeleine Le Brethon, qui ont à cœur, par la suite, d’entretenir et de fleurir la tombe du jeune soldat.
"De nombreuses mamans en France pensent à une autre maman"
Les mois passent, la guerre s’achève. De l’autre côté de l’Atlantique, les parents de Bob, George et Ida, cherchent à savoir ce qu’est devenu le corps de leur fils. Madeleine, en parfaite anglophone, leur répond et entame une correspondance avec eux :
"Je peux vous assurer que depuis que votre jeune pilote repose ici, tous les amis viennent le voir avec des fleurs, une prière et une pensée d’affection pour ses chers parents. De nombreuses mamans en France pensent à une autre maman de l’autre côté de l’océan. Nous avons également des enfants dont l’un a combattu lors de la dernière guerre, et je comprends votre chagrin. Nous espérons qu’il pourra être atténué par la pensée que votre fils repose dans un sol ami et que sa tombe sera toujours entretenue avec autant d’affection que si c’était l’un des nôtres".
Quand un lieutenant canadien arrive à Sainte-Gauburge en février 1946 pour organiser le transfert du corps de Robert dans un cimetière militaire, il trouve une tombe entretenue et fleurie. Dans son rapport aux parents il écrit : "Les habitants de Sainte-Gauburge s’occupent bien de lui, particulièrement Monsieur et Madame Le Brethon." Les parents décident alors de laisser reposer leur fils où il est tombé.
En 1948, la famille Wallace fait le voyage pour la Normandie. Elle est accueillie chaleureusement chez Jean et Madeleine qui leur servent de guides sur les lieux du drame. En revenant du cimetière, le révérend Thomas Wallace, oncle de Bob, laisse parler son émotion : "La dernière fois que j’ai vu Bob vivant, c’était à la gare de Toronto, et ce qui s’est passé dans mon âme, debout près de sa tombe, est indescriptible." Une belle amitié naît de cette rencontre entre les deux familles. On échange des lettres, les photos des événements familiaux, et bien sûr les traditionnelles cartes de vœux du nouvel an.
Une amitié qui traverse les années
En 1965, Ruby, une cousine de Bob, entreprend à son tour un pèlerinage vers ces terres françaises où son cousin est mort. Retrouvailles avec Jean et Madeleine ainsi que Pierre, leur fils, heureux d’entretenir les liens tissés à son insu par le jeune aviateur. Les années passent. Après une dernière visite canadienne au début des années 1980, la correspondance s’estompe. Et quand Jean puis Madeleine s’éteignent, il ne semble rester de cette histoire qu’une tombe ornée d’un drapeau à feuille d’érable dans le cimetière de Sainte-Gauburge.
Et pourtant… Le 5 juin 2014, un jeune homme se présente à la mairie. Il est Canadien, souhaite retrouver les traces de son grand-oncle et rencontrer la famille Le Brethon. L’histoire reprend son cours, Parker est accueilli par Antoine, petit-fils de Jean et Madeleine et par Philippe Bigot, maire du village. Depuis ces retrouvailles, il participe régulièrement au mois d’août aux cérémonies anniversaires de la libération du village. Mais il se rend toujours auparavant sur la côte normande d’où le sergent Wallace, le 23 juin 1944, s’est envolé pour l’éternité.