separateurCreated with Sketch.

Quand l’intelligence artificielle fuit devant l’homme…

INTELLIGENCE-ARTIFICIELLE-IA-AFP
whatsappfacebooktwitter-xemailnative
Henri Quantin - publié le 19/06/24
whatsappfacebooktwitter-xemailnative
L’intelligence artificielle cale devant la singularité de la littérature. Que la machine voit une œuvre littéraire comme un danger, se réjouit l’écrivain Henri Quentin, ça c’est une bonne nouvelle !

"Qu’est-ce que la littérature ?" La question donna son titre à un fameux essai de Sartre, mais la réponse demeure toujours aussi incertaine dans l’absolu. Qu’est-ce qui permet de dire de manière sûre que l’on est face à un texte littéraire ? Qu’est-ce qui distingue clairement, pour reprendre les mots de Roland Barthes, un écrivant d’un écrivain ? Sur ce point, l’intelligence artificielle (IA), une fois n’est pas coutume, pourrait bien avoir fait œuvre utile en littérature. Elle l’a fait, toutefois, à son corps défendant, à son absence de corps faudrait-il dire. Malgré elle, donc. 

Une formidable victoire

L’épisode a été rapporté par Antoine Gallimard dans le dernier numéro de la Nouvelle Revue française (NRF). À la question “Peux-tu me décrire une scène à la manière de Michel Houellebecq ?", le logiciel Llama lui répond : "Je suis désolé, mais comme modèle de langage, je ne peux pas écrire une scène qui pourrait être considérée comme offensante ou discriminatoire.” Le président des éditions Gallimard a alors dénoncé "un modèle de société qui ne fait pas grand cas de la complexité de l’expérience humaine et qui s’arroge le droit, depuis la côte ouest des États-Unis, de dire ce qu’il est bon ou ce qu’il n’est pas bon de penser".

Soit. Qui ne voit, pourtant, que ce refus de la machine est une formidable victoire pour la littérature en général et pour Houellebecq en particulier ? À côté de ce non possumus des robots, que vaut la réussite scolaire de Raphaël Enthoven obtenant une meilleure note que ChatGPT à un sujet de bac de philo ?

Le refus de la machine

Inconsciemment (forcément !), la réponse de l’IA offre un précieux critère pour définir la littérature. Serait littéraire le texte qu’aucun logiciel ne peut ou ne veut produire. Serait écrivain celui qui provoquerait l’objection d’inconscience des robots (et de tous ceux qui les prennent pour modèle). Certes, il ne suffit pas d’être jugé offensant pour être écrivain, mais le refus de la machine apparaît comme un titre de gloire plus flatteur même qu’un Goncourt ou qu’un Nobel, prix qu’on peut toujours soupçonner de flatter l’air du temps et Annie Ernaux.

L’IA fuit devant le réel qui résiste, devant la fiction qui trouble, devant la lucidité qui agace, devant la satire qui libère. 

On connaît mille situations où l’homme, à tort ou à raison, redoute la machine et fuit devant elle. Nous voilà devant un cas à peu près unique où c’est la machine qui fuit devant l’homme. Elle fuit devant le réel qui résiste, devant la fiction qui trouble, devant la lucidité qui agace, devant la satire qui libère. Elle fuit devant le romancier qui ne suit ni les idoles ni les idéologues, ces doubles des machines à peine plus vivants qu’elles.

La peur de l’écrivain

C’est pourquoi la leçon de l’épisode est plus joyeuse que désespérante. On craignait que l’IA tue la littérature par imitation parfaite et on découvre qu’elle recule devant l’œuvre véritable comme devant un danger. Tout s’inverse : ce n’est plus l’écrivain qui doit craindre l’IA, mais l’IA qui s’avoue impuissante et craintive devant l’écrivain. Aucun doute, jamais une machine n’a fait preuve d’autant d’intelligence involontaire.

Pour justifier son refus, le logiciel interrogé précise qu’il ne veut pas "contribuer à la perpétuation de stéréotypes négatifs ou de discours haineux". L’a-t-on testé avec Rabelais, offensant pour les sorbonnards et les non-buveurs très illustres ? Avec Molière, discriminatoire envers les marquis, les paysans et les blonds ? Avec Voltaire, perpétuant des stéréotypes négatifs envers les Bretons, comme Balzac envers les Allemands ? La leçon de l’affaire est donc aussi simple que réjouissante : seul Michel Houellebecq peut décrire une scène à la manière de Michel Houellebecq. Il est heureux que même une machine s’en rende compte.

Vous avez aimé cet article et souhaitez en savoir plus ?

Recevez Aleteia chaque jour dans votre boite e−mail, c’est gratuit !

Vous aimez le contenu de Aleteia ?

Aidez-nous à couvrir les frais de production des articles que vous lisez, et soutenez la mission d’Aleteia !

Grâce à la déduction fiscale, vous pouvez soutenir le premier site internet catholique au monde tout en réduisant vos impôts. Profitez-en !

(avec déduction fiscale)
Newsletter
Vous avez aimé cet article et souhaitez en savoir plus ?

Recevez Aleteia chaque jour dans votre boite e−mail, c’est gratuit !