La mort du policier Rouven Laur, 29 ans, le 2 juin des suites d’une attaque au couteau à Mannheim (Allemagne) alors qu’il s’est interposé héroïquement entre l’agresseur et sa victime a engendré une déflagration sans précédent. Les hommages se sont multipliés envers celui qui est considéré comme un héros national pour avoir accompli son devoir jusqu’au bout. Lors de ses obsèques, un cierge pascal orné des mots du Christ, “Voyez, Je suis avec vous” trônait en l’église Saint-Sébastien où elles ont été célébrées. Sur la place du marché attenante, un djihadiste l’a tué dans une attaque éclair filmée. Pour lui, des dizaines de lumignons ont été allumés. Un encart explique : "Nous prions pour Rouven L., qui comme policier au service ici sur la place du marché a dû laisser sa vie, pour sa famille et tous ceux qui le pleurent. Nous prions que sa mort ne soit pas vaine mais entraîne la paix."
Que s’est-il passé pour provoquer un tel émoi ? Vendredi 31 mai 2024, un Afghan radicalisé de 25 ans, Sulaiman Ataee, arrivé en Allemagne en 2014 comme réfugié, attaque au couteau le journaliste Michael Stürzenberger, activiste anti-islam depuis la mort d’un ami dans l’attentat de Bombay, sur la place où il est venu militer. Des amis et des passants tentent de s’interposer jusqu’à l’arrivée de la police. Mais l’Afghan se jette sur un policier de dos qui était en train de maîtriser un participant à l’altercation, et le poignarde au cou et à la tête, avant d’être neutralisé par balle. Deux jours après, le dimanche, son décès est annoncé. C’est alors seulement que sont révélés son nom et son visage, ceux d’un jeune homme au beau sourire, Rouven – qui vient de Ruben, premier fils de Jacob dans la Bible.
Les jours qui suivent conduisent à corriger la perception de la scène, notamment grâce à une vidéo vue d’un autre angle et au témoignage du passant qui s’est jeté sur le terroriste. Ce chrétien d’Irak s’est précipité sur l’agresseur attaquant le journaliste et est parvenu non sans mal à maintenir le couteau entre ses mains. Mais dans la confusion, un autre passant, portant une veste bleue, se met à le frapper lui plutôt que le véritable assaillant. Il ne peut résister aux coups et lâche prise. Le policier Rouven se jette sur l’homme à veste bleue. Le terroriste se relève et riposte contre l’Assyrien qui recule puis, apercevant le policier en pleine intervention, l’attaque brusquement par derrière. Au total, il fera un mort et cinq blessés.
De retour quelques jours plus tard sur le lieu des événements pour honorer le policier, le jeune chrétien d’Irak, dont l’action a sauvé la vie de Michael Stürzenberger, est en larmes : “Si le policier n’avait pas été là, alors j’aurais été celui qui aurait été mort”. Bernanos écrivit, dans son Dialogue des Carmélites : “On meurt les uns pour les autres ou même les uns à la place des autres”. Agissant ainsi, Rouben a fait preuve de courage et de rapidité. Un geste qui n’est pas sans rappeler celui d’Arnaud Beltrame, l’officier de gendarmerie qui avait substitué sa vie à celle d’une otage lors de l’attentat de Trèbes en 2018.
Sur le lieu du crime, l’affection domine. L’endroit s’est transformé en mer de fleurs et de bougies, déposées spontanément. Disposé comme un autel pour la piété de fidèles, on y aperçoit divers objets, dont une bible, une médaille miraculeuse ou d’autres rattachés à des croyants d’autres religions. Il y a aussi la photo de Rouven, des dizaines de fois imprimée, des chapelets accrochés à la grille, la prière de saint François. Avant les funérailles publiques de ce jour, les commémorations n’ont pas manqué. Le vendredi précédent, le 7 juin, à 11h34, une semaine après la tragique séquence, les officiels se sont déplacés, avec à sa tête le président allemand Frank-Walter Steinmeier, solennisant le moment par une minute de silence nationale. La police a lancé le slogan “Einer von uns” - “l’un des nôtres” - pour lui rendre hommage. Des artistes le chantent sur Youtube, clamant “Ton nom, nous ne l’oublierons pas, car toi, tu as donné ta vie pour nous”. Les discours officiels inspirés se sont multipliés dans les institutions : “Il a dans l’intervention donné sa vie, pour sauver la vie d’un autre. Risquer sa propre vie dans le service et la sacrifier est bien plus que simplement remplir son devoir”, admire la présidente du Land de Hesse voisin. En étant brutalement arraché à la vie avant ses 30 ans, il a été donné à Rouven Laur de rendre en quelques jours sa figure familière à toute une nation, éclipsant le projet du terroriste. En hébreu, le prénom Rouven signifie : “Voyez, un fils !”.