18 décembre 2022 : la France a les yeux rivés sur les écrans, retient son souffle, fait appel à un ciel pourtant si souvent oublié. Et puis la déception, immense : après un match au coude-à-coude, les Bleus s'inclinent face à l'Argentine au tir au but. Ils ne ramèneront pas la coupe à la maison. Jules Rimet aurait certainement laissé éclater sa frustration, lui aussi. Peu se souviennent de celui qui est le père de cette compétition à l'ampleur planétaire, organisée tous les quatre ans et sans doute plus attendue que le Messie... Demeuré largement méconnu, voire inconnu du grand public, il est catholique et français, et c'est bien à lui que l'on doit la Fédération Internationale de Football Association, plus communément appelée FIFA. C'est l'un de ses proches collaborateurs, Henri Delaunay, qui imagina un autre championnat que les passionnés de foot s'apprêtent à suivre dès vendredi 14 juin, la Coupe d'Europe des nations, aujourd'hui appelée "l'Euro".
Jules Rimet est né le 14 octobre 1873 dans le petit village de Theuley situé en Haute-Saône, en Bourgogne. Fils d'épicier, il est l'aîné d'une fratrie de quatre frères et sœurs et grandit chez son grand-père agriculteur. C'est dans l'église de cette commune d'une centaine d'âmes que le petit Jules est enfant de chœur jusqu'à ses douze ans, âge auquel il quitte sa vie campagnarde pour la frénésie parisienne. Il est scolarisé dans le prestigieux établissement privé La Rochefoucauld et ses parents travaillent dans la rue Cler, au cœur du quartier du Gros-Caillou aujourd'hui huppé mais populaire à l'époque. Là, avec sa paroisse, il découvre le football qui devient immédiatement une passion, pour ne pas dire une seconde nature. Cela ne l'empêche pas d'étudier avec sérieux : élève rigoureux et appliqué, il fait la joie de ses instituteurs et obtiendra plus tard haut la main son baccalauréat, puis une licence en droit.
Un club fidèle aux valeurs chrétiennes
Devenu avocat, Jules Rimet n'en oublie pas pour autant ses origines modestes et s'emploie à mener de nombreuses œuvres caritatives auprès des plus pauvres. Mais c'est par le football, qu'il n'a jamais abandonné, que l'avocat veut créer du lien social et abolir les distinctions de classe. Fervent catholique, il est aussi un républicain et un socialiste convaincu : en 1898, il fonde La Revue, un journal chrétien, républicain et démocratique qui fusionne ensuite avec le Sillon de Marc Sangnier, fer de lance d'un mouvement politique cherchant à réconcilier les milieux ouvriers avec l’Église catholique sous une IIIe République anticléricale. Tenté par la politique, il choisit finalement le football, moins retors, pour concrétiser son désir d'œuvrer à la paix sociale. Alors qu'il est âgé de 24 ans, il fonde son club de sport, le Red Star, installé à Saint-Ouen, qu'il ouvre à tous les jeunes y compris les plus défavorisés. Cyclisme, athlétisme, course à pied, le club devient rapidement populaire auprès des jeunes du quartier du Gros-Caillou, spécialement sa section football. Le maillot rayé de bleu marine et de blanc devient un incontournable du paysage footballistique français.
Quelques années plus tard, en 1904, alors membre de l’Union des sociétés françaises des sports athlétiques (USFSA), il signe avec six autres associations européennes l'acte de fondation de la Fédération internationale de football association (FIFA) dont il deviendra le président en 1921. Revenu de quatre années au front avec la Croix de guerre, il fonde le 7 avril 1919 la Fédération Française de Football (FFF) qu'il présidera pendant une trentaine d'années. Il mettra tous ses efforts dans la professionnalisation du foot, s'opposant en cela à l'amateurisme désiré par Pierre de Coubertin : la rémunération est pour lui le seul moyen de faire progresser les classes sociales ouvrières dans ce sport, puisqu'ils ne peuvent faire du football au détriment de leur travail au maigre salaire. Sous sa présidence, en 1928, la FIFA décide enfin d'organiser une compétition qui aura lieu tous les quatre ans : la fameuse coupe du monde, destinée aux joueurs professionnels, qui portera longtemps son nom.
Il était sans doute loin de se douter qu'elle rassemblerait, un siècle plus tard, 3,4 millions de spectateurs dans les stades et 1,5 milliard de téléspectateurs à travers le monde. Loin de se douter, aussi, des excès en tous genres de cette compétition devenue un champ de bataille politique où l'argent règne en maître. "Mon grand-père aurait été déçu par le business dominé par l'argent qu'est devenu le football. Ce n'était pas sa vision", confiait Yves Rimet au journal britannique The Independent, en 2006. Jules Rimet s'éteint le 15 octobre 1956 à Suresnes, peu de temps après avoir été proposé pour le prix Nobel de la paix tant son oeuvre a contribué au rapprochement entre les nations dans une période ébranlée par deux guerres mondiales et le début de la Guerre froide.