En sport, c’est un peu comme en politique : en principe, le commentateur est neutre. En principe. Il est pourtant fréquent que l’auditeur ou le téléspectateur n’aient aucune difficulté pour savoir de quel côté penche le journaliste. Nul besoin d’être un ultra lyonnais du virage Nord atteint de paranoïa pour repérer la partialité lors d’un match de foot PSG-OL. Grand "ouf !" de soulagement quand Lacazette tire à côté, cri de déception quand M’Bappé rate le cadre.
Un climat de familiarité superficielle
Au tennis, les préférences journalistiques passent par la nomination et par l’usage des surnoms. Quand "Rafa" affrontait "Djokovic", tout était dit. En cela comme pour le jeu, les commentateurs principaux ont trouvé en Alcaraz l’héritier de Nadal qu’ils attendaient. Dans la finale de Roland-Garros, quel équilibre pouvait-il y avoir entre un beau revers d’"Alexander Zverev" et un coup droit magistral de "Carlitos" ? Au royaume des petits noms, l’Espagnol avait battu l’Allemand bien avant le premier jeu. Dis-moi comment tu appelles les joueurs et je te dirai qui tu soutiens. Même avec un clin d’œil à un célèbre discours de Jim Courier après sa défaite contre Bruguera, celui qui signalera qu’on n’a pas gardé les vaches espagnoles ensemble passera sûrement pour un rabat-joie.
L’emploi du surnom crée surtout un climat de familiarité artificielle qui ne peut qu’exclure de l’antenne celui qui n’en est pas complice.
Ceci dit, quand il s’agit de sport, la partialité n’est sans doute pas le plus gênant, même si elle ne contribue pas toujours à ce que le service public soit un service gagnant pour tous les Français. L’emploi du surnom crée surtout un climat de familiarité artificielle qui ne peut qu’exclure de l’antenne celui qui n’en est pas complice. L’auditeur devient ainsi comme un étranger dans une réunion de famille ou comme un adulte contraint au silence dans une cour de récréation. Mis à l’écart de l’entre-soi satisfait — parisianocentrisme dans le foot, pseudo-copinage au tennis —, l’intrus n’a plus qu’à couper le son, ce qui, à la radio au moins, rend le match nettement moins intéressant.
Un monde du "sympa"
La politique offre-t-elle des dénominations plus adultes ? Les diminutifs y sont a priori plus rares et ne seraient d’ailleurs pas forcément affectueux. Toutefois, l’emploi de prénoms, surtout féminins bien sûr, ne nous est pas épargné. L’intention peut varier : "Ségolène" et "Najat" se disaient plutôt ironiquement ; "Marine" et "Marion" signalent à l’inverse une sympathie encouragée par les slogans eux-mêmes (ce qui empêche sans doute que les journalistes du service public ne les reprennent à leur compte). Qu’il soit moqueur ou fervent, l’usage du prénom n’est en tout cas pas anodin. Il contribue à un monde du "sympa" généralisé et de l’incapacité à adapter la langue à des contextes et à des interlocuteurs différents. Il efface progressivement ce qui est censé distinguer la plage, le stade et la bien-nommée "arène politique". Considéré comme jupitérien pendant son premier mandat, le président de la République quittera-t-il sa fonction devant une foule qui chante "Eh Manu, rentre chez toi !" ? Partialité des commentateurs, disions-nous. Heureusement, les Jeux olympiques arrivent. Là, il devient normal que le journaliste prenne parti pour nos athlètes. Même le service public se met à aimer la France et à soutenir tous les Français. Finalement, en sport, ce n’est pas comme en politique.