Au moment où l’attention des Français était tournée vers les célébrations du Débarquement du 6 juin 1944 et par la perspective des élections européennes, les députés ont adopté l’article 5 du projet relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie, dans une assemblée pratiquement vide. L’article voté par 88 voix contre 50 introduit, pour la première fois dans la loi, la possibilité de demander une "aide à mourir". Il en donne la définition : "L’aide à mourir consiste à autoriser et à accompagner une personne qui en a exprimé la demande à recourir à une substance létale." L’article ainsi adopté dispose que "la personne s’administre une substance létale ou, lorsqu’elle n’est pas en mesure physiquement d’y procéder, se la fasse administrer par un médecin ou un infirmier."
La surenchère des députés
Concernant l’article 6, Le Monde du 6 juin précise que les députés ont élargi les "conditions d’accès" strictes à l’aide à mourir. Le gouvernement aurait voulu conserver la version initiale du projet de loi qui souhaitait limiter cet acte aux malades majeurs dont le "pronostic vital" est engagé "à court ou moyen terme" et qui en manifestent la "volonté de manière libre et éclairée". Mais en commission, les députés ont voté pour qu’elle concerne plus largement les personnes atteintes d’une affection "grave et incurable en phase avancée ou terminale" et certains poussent pour permettre aux proches de faire valoir des directives anticipées quand un patient n’est plus en mesure d’exprimer sa volonté.
Camus ne disait-il pas en 1944 : "Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde" ?
Prenons du recul sur le texte. Le président de la République Emmanuel Macron avait déclaré souhaiter une loi pour "accompagner la fin de vie", qui soit une "loi de fraternité qui concilie l’autonomie de l’individu et la solidarité de la nation". Le terme enjoliveur "d’aide à mourir" est lancé ! Certains, comme le député LIOT Stéphane Lenormand, voudraient même aller plus loin en proposant d’abandonner l’expression "aide à mourir" au profit de "l’interruption volontaire de l’énergie vitale", une formulation "moins douloureuse à entendre selon lui". Le pouvoir et l’hypocrisie des mots ! Camus ne disait-il pas en 1944 : "Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde" ? Car ce dont il s’agit est bien une loi pour l’euthanasie et le suicide assisté. Comment parler de fraternité quand il s’agit d’aider une personne vulnérable à se tuer ? Ce fraternity washing, est-ce cela la solidarité ? Et comment un État peut-il demander à des médecins qui se sont engagés par le serment d’Hippocrate à toujours "aider à vivre" à devoir coopérer à mettre fin à la vie ? Franchir ces lignes déterminant le caractère sacré du respect de la vie entraînera des conséquences sur la société tout entière. Demain, au nom du bien de la société, les personnes fragiles, malades ou "trop âgées" au regard de certains, et donc coûteuses pour la Sécurité sociale, ne seront-elles pas encouragées à demander d’être aidées à mourir plus vite ? Il nous faut oser dénoncer le caractère profondément pervers d’une telle orientation.
Mourir n’est pas un soin
Vendredi 7 juin, à l’Assemblée nationale, le député communiste Pierre Dharréville dénonçait "une loi brutale, une loi sans rivage et un message terrible de renoncement et d’abandon qui ne sera pas sans conséquence sur la vie sociale, sur la solidarité et sur le soin". Selon lui, "nous voici en train de franchir la barrière éthique, qui consiste à confondre “soulager les souffrances” et “abréger la vie”, et à prendre acte de la demande de mort qui est si souvent un appel à l’aide, à l’humanité. À partir de quand une vie ne vaut-elle plus d’être vécue ? À partir de quand la société peut-elle se permettre d’en décider, d’en donner acte… ? Au lieu d’un message d’attachement, d’encouragement et de solidarité, cette loi pose à chacun la question : ne crois-tu pas qu’il est temps de partir ? Je peine à me reconnaître dans cette société-là, dans cette République-là, dans cette humanité-là. De toute évidence, mourir n’est pas un soin. Et mourir peut-il vraiment entrer dans la catégorie des droits de la personne humaine ? Drôle de renversement. Drôle de fraternité".
Jean Leonetti, maire LR d’Antibes et cardiologue de profession, qui a donné son nom aux lois de 2005 et de 2016 sur les malades en fin de vie, interrogé par le Figaro explique la différence entre la loi Claeys-Leonetti, qui encourage le développement des soins palliatifs, et le projet actuel "d’aide à mourir" : "La loi Claeys-Leonetti est destinée aux personnes qui “vont” mourir et non pas aux personnes qui “veulent” mourir. Elle fixe comme objectif de soulager la souffrance en phase terminale “même si” cela doit hâter la mort, mais pas de provoquer délibérément la mort… La loi nouvelle est en rupture avec un projet d’accompagnement et de soins auquel elle met fin." De son côté, Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SPAP) a dit au quotidien La Croix sa consternation et sa tristesse sur le projet de loi sur la fin de vie, qui ouvre la voie à une "aide à mourir" :
Le projet de loi parle “d’aide à mourir”, mais il faut le relire en utilisant les mots qui permettront de décrire la réalité. Il s’agit clairement de suicide assisté et d’euthanasie sur décision médicale, sans même qu’aucune limite claire soit tracée entre les deux […]. L’aide à mourir, c’est que nous faisons tous les jours en soins palliatifs. Dire que, par ce texte, nous allons découvrir la fraternité est méprisant pour le travail que nous effectuons. Ce projet de loi va bouleverser la notion du soin sans que ce soit assumé, puisque le président de la République évoque pour en parler les termes de fraternité et de solidarité.
Soulager, mais pas tuer
Je me souviens des paroles très fortes de Philippe Pozzo di Borgo, tétraplégique modèle du film Intouchables, qui nous a quittés en 2023, lorsqu’il affirmait que si on lui avait demandé d’écrire ses directives anticipées en cas d’accident le conduisant à être handicapé, il aurait demandé à être euthanasié, mais qu’étant devenu handicapé, à aucun moment il ne voulait mourir, mais simplement être accompagné ! Avec passion, il défendait qu’il fallait "soulager, mais pas tuer" !
L’Église, par la voix de Mgr Pierre d’Ornellas et de Mgr Vincent Jordy, n’a-t-elle aussi pas cessé d’alerter sur ce projet "qui rompt une digue essentielle, un principe structurant de notre société voire de notre civilisation, celui de l’interdit de tuer qui se trouve entre autres au cœur du serment d’Hippocrate" ? Comme le souligne Mgr Jordy, "la dignité humaine consiste à accompagner la vie jusqu’à la mort et non à faciliter la mort". La fraternité, rappellent nos évêques, consiste à tisser des liens de vie, et non à faciliter l’arrêt de la vie !