Depuis fin 1899, la Chine, humiliée par la présence occidentale sur son territoire, l’occupation japonaise en Mandchourie et l’abaissement de sa puissance millénaire, rêve de revanche. Si l’impératrice Cixi, femme lucide se sachant en position de faiblesse, feint de se plier aux volontés des Légations qui représentent autant de têtes de pont de ceux que les Chinois appellent avec haine les "diables blancs", elle observe avec une sympathie de plus en plus active les agissements d’une des multiples sectes, mélange détonnant de passions religieuses exacerbées, nationalisme, xénophobie et activités paramilitaires, qui fleurissent dans l’empire du Milieu.
Dans l’océan des atrocités
Celle-ci s’est surnommée "les poings de justice et de loyauté", ce que l’on traduit moins poétiquement par Boxeurs. Sous l’emprise de puissants cocktails de stupéfiants qui leur donnent l’illusion d’être invincibles et invulnérables, ses membres sont animés d’une haine féroce pour les Occidentaux, en particulier les missionnaires, de quelque confession chrétienne qu’ils soient, et leurs convertis, tenus pour des traîtres à punir. Tout en affirmant vouloir réprimer les violences et agissements patriotiquement criminels des Boxeurs, Cixi les laisse faire. Depuis des mois, ils écument les campagnes et s’acharnent sur les Missions chrétiennes.
La liste des prêtres massacrés, dans des conditions atroces, avec leurs paroissiens, s’allonge de jour en jour. Le vicaire apostolique de Pékin, Mgr Alphonse Favier du Perron, lazariste d’origine bourguignonne, le signale à Paris, dans des courriers détaillés de plus en plus alarmistes, qui n’intéressent personne au gouvernement. Libres penseurs, francs-maçons et anticléricaux se moquent que l’on brûle des catholiques chinois dans leurs églises, non sans leur avoir auparavant fait endurer d’abominables supplices. Même le martyre de huit religieuses françaises, franciscaines missionnaires de Marie, début juillet 1900, ne semble pas avoir alarmé les autorités. Encore ne sont-elles qu’une goutte d’eau dans l’océan des atrocités puisque, lorsque tout finira par s’apaiser, et ce ne sera pas avant 1907, l’on dénombrera au moins 30.000 chrétiens de Chine massacrés en haine de la foi. 70 d’entre eux seront canonisés, avec d’autres martyrs chinois, le 1er octobre 2000, à la fureur des autorités communistes.
Les enfants ne sont pas épargnés
Un autre groupe, dont tous les membres n’ont pas été portés sur les autels, est célébré le 11 juin ; ce sont ceux tombés lors du siège des légations pékinoises, du 20 juin au 16 août 1900. Après l’assassinat du ministre d’Allemagne, von Ketteler, le 9 juin, les diplomates en poste dans les ambassades européennes, regroupées dans un quartier séparé, décident de s’y retrancher, dans l’attente de secours de leurs pays respectifs, qui mettront plus de deux mois à arriver, n’ayant pour se défendre que les quelques soldats affectés à la sécurité des légations. La mise en place de ces mesures laisse le temps aux Boxeurs, qui viennent d’investir Pékin et y font désormais la loi, de s’emparer de la mission russe orthodoxe et d’y mettre à mort tous ceux qu’ils y trouvent.
Les insurgés, au cri de "Tuons et brûlons !", vont torturer les malheureux tombés en leur pouvoir : les femmes sont éventrées, les hommes lentement brûlés, les enfants mêmes ne sont pas épargnés...
Comme en province, effet de la drogue consommée ou, comme le pensent les missionnaires, emprise démoniaque, les insurgés, au cri de "Tuons et brûlons !", vont torturer les malheureux tombés en leur pouvoir : les femmes sont éventrées, les hommes lentement brûlés ; les enfants mêmes ne sont pas épargnés, tel ce petit garçon de 8 ans, dont nous savons seulement le prénom, Jean, que les bourreaux entreprennent d’écorcher vif… À chaque lambeau de peau arraché, ahuris de l’impassibilité du gamin, ils répètent : "Mais souffres-tu ?" et le jeune martyr de répliquer avant de mourir : "Oui, mais c’est si facile quand c’est pour Jésus !" Si quelques chrétiens, épouvantés, abjurent, 222 orthodoxes, préfèrent une mort horrible au reniement.
Massacré dans la rue
Dans un premier temps, Mgr Favier, conscient de l’impossibilité de ramener tous les catholiques à l’abri précaire des légations, où les vivres ne tardent pas à manquer, a demandé à son clergé de rester dans les paroisses, pour que les fidèles ne soient pas abandonnés face au martyre. Tous ces prêtres ne débordent pas d’un saint zèle spontané devant le sort qui les attend mais aucun ne désobéit et ceux qui s’étaient mis à l’abri trouvent le courage de retourner s’exposer au péril. C’est le cas du père Jules Garrigues, curé de Saint-Joseph, dit "le saint de la ville", brûlé dans son église avec ses fidèles. Un rescapé dira qu’il a exhorté jusqu’au bout son troupeau, disant : "N’ayez pas peur ! En un instant tout est fini. Ils peuvent tuer nos corps, pas nos âmes."
Le père Maurice Doré, curé de Notre-Dame des Sept Douleurs, est réputé pour son caractère emporté et sa première réaction est d’inciter les chrétiens à se défendre puis il prend conscience de l’inanité de l’entreprise et écrit, dans une dernière lettre à ses proches : "Et quand même je tuerais un Boxeur, à quoi cela avancerait-il ? Mieux vaut s’abandonner à la volonté de Dieu." Pour plus de précaution, car il se connaît, il enferme dans un coffre dont il jette la clef ses deux pistolets. Il est massacré dans la rue en regagnant sa paroisse, bien qu’il ait rasé la barbe qui le désigne comme missionnaire.
Un siège désespéré
Mgr Favier, désormais responsable de presque 5.000 civils venus se réfugier dans la cathédrale de Peitang, estime alors de son devoir de défendre son troupeau. Transformant le sanctuaire en forteresse, il s’y enferme avec les réfugiés, appuyé par trente matelots bretons et dix italiens, sous les ordres du jeune enseigne de vaisseau Paul Henry qui soutiendra un siège désespéré, presque sans arme et bientôt sans munitions. Évêque et prêtres finiront par se battre à leurs côtés, ce qui leur sera reproché, mais, lorsque les secours arrivent, le 15 août, alors que le lieutenant Henry vient d’être tué, la cathédrale a tenu bon et ses défenseurs ont sauvé la vie de 3.420 femmes et enfants.
Cette délivrance ne signifie pas l’arrêt définitif des violences antichrétiennes des Boxeurs. Parmi leurs dernières victimes, il faut signaler un tout jeune prêtre chinois, l’abbé André Tsu, torturé à mort en 1903, alors qu’il relève les ruines de son église. Tandis qu’ils lui prélèvent à même le dos une croix de chair, ses bourreaux ricanent : "Il est bien content, lui qui l’aime tant, sa Croix !"