Maintenant que le tramway vous dépose à quelques centaines de mètres de l’allée Fernand-Lindet à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), là où, depuis huit siècles s’élève l’un des plus anciens sanctuaires marials d’Île-de-France, il est difficile d’imaginer à quoi ressemblait jadis ce coin de banlieue parisienne. L’insécurité ne date pas d’hier et, au Moyen Âge, c’est tout juste si les précautionneux ne font pas leur testament avant de s’aventurer dans l’épaisse forêt de Bondy qui couvre alors cette zone de la Seine-Saint-Denis. Ces bois sombres et denses ont, à juste titre, très mauvaise réputation. La maréchaussée elle-même hésitant à y entrer, ils sont devenus le repère de voleurs et malandrins qui, la dague au poing, jaillissent du couvert et réclament « la bourse ou la vie », l’octroi de la première ne suffisant pas toujours, d’ailleurs, à sauver la seconde.
Trois marchands angevins
Pour ne rien arranger, persuadés que l’on fera porter le chapeau aux bandits qui occupent les lieux, quelques particuliers font de Bondy le théâtre de leurs règlements de comptes personnels. Ainsi le jeune sire de Montdidier y a-t-il été occis par un rival que le chien de sa victime, témoin du crime, confondra en des circonstances devenues légendaires. Tout cela explique pourquoi l’on ne passe point par Bondy pour son plaisir mais par nécessité.
Persuadés que leurs agresseurs vont leur trancher la gorge, ils appellent Notre-Dame à leur aide et promettent de lui élever un oratoire si Elle les tire du péril.
Tel est le cas de trois marchands angevins qui, l’an 1212, se rendant à une foire, sont obligés de traverser le bois. Arrive ce qui doit fatalement arriver : des brigands les arrêtent, les dépouillent de leur or et leurs marchandises. Persuadés que leurs agresseurs vont leur trancher la gorge, ils appellent Notre-Dame à leur aide et promettent de lui élever un oratoire si Elle les tire du péril. Contre toute attente, les voleurs se bornent à ligoter fermement leurs victimes à trois chênes. D’abord heureux d’avoir la vie sauve, les pauvres commerçants déchantent vite ; il n’y a pas que les humains à être malintentionnés à Bondy et les loups qui hantent les parages pourraient trouver à leur goût le festin aimablement offert à leur appétit. La nuit étant bientôt close, les marchands redoublent de prières et voilà que, dans une douce lumière, Notre-Dame leur apparaît escortée d’anges qui vont en un clin d’œil faire tomber les liens des prisonniers.
Les pèlerins chassent les bandits
Tenant parole, les marchands, après avoir raconté le miracle qui les a sauvés, édifient l’oratoire promis, dédié à Notre-Dame de Délivrance, mais parfois aussi appelé Notre-Dame de Louange. Comme pour accréditer la véracité de l’événement, près des trois chênes, là où les anges ont foulé le sol, une source jaillit dont les gens des environs constatent bientôt les pouvoirs guérisseurs, notamment en cas de fièvres. Il n’en faut pas plus pour que les pèlerins accourent de partout et que l’on vienne boire à la fontaine miraculeuse avec la même ardeur qu’à Lourdes de nos jours, comme l’attestent les restes de récipients retrouvés lors de fouilles archéologiques récentes près du bassin.
Les autorités royales et religieuses voient l’intérêt de l’événement : l’affluence des pèlerins à Bondy est un excellent moyen de purger la forêt des indésirables qui l’occupent. Et c’est ce qui arrive, en effet. Dérangés dans leurs activités par cantiques et processions, les bandits s’en vont, au soulagement des environs. Les templiers de la Commanderie de Clichy prennent en main l’organisation du pèlerinage et, en 1260, construisent une vraie et grande chapelle, où 600 personnes tiennent à l’aise. Ils y installent une très jolie Vierge noire représentant Marie couronnée tenant son Fils, canalisent l’eau de la source qui passe désormais sous le chœur, afin d’éviter toute résurgence païenne. La disparition de l’ordre du Temple ne nuit pas au sanctuaire, repris par les Hospitaliers de saint Jean, puis, plus tard, par les chanoines de saint Augustin.
Les anges gardent leur rôle
Le seul changement est l’abandon de l’appellation d’origine, Notre-Dame de Délivrance ou de Louange devenant, sous l’effet de la piété populaire, Notre-Dame des Anges. Quelques esprits forts, après tout, libre à eux ! vous soutiendront qu’il s’agit d’une déformation de la véritable appellation du sanctuaire, Notre-Dame des Angevins, abrégée pour transformer l’incident originel en miracle. Logiquement, la fête patronale se célèbre le 8 septembre, Nativité de Notre-Dame, encore appelée Notre-Dame l’Angevine en raison du diocèse où elle fut célébrée d’abord. Le bon peuple ne s’est pas laissé abuser par les gens très intelligents et les anges ont gardé leur rôle dans l’histoire. Cela n’a pas été faute, néanmoins, d’avoir essayé de les chasser en détruisant la chapelle.
Ravagée une première fois pendant les guerres de Religion, elle est magnifiquement reconstruite au XVIIe siècle par les chanoines de Livry, entre autres Christophe de Coulanges, oncle maternel de Mme de Sévigné, habituée du pèlerinage qui a laissé plusieurs lettres l’évoquant. L’on y rapporte la Vierge noire mise à temps en lieu sûr. C’est le moment où se crée, dans l’esprit de la contre-réforme, une confrérie Notre-Dame des Anges.
Trois croix de pierre
Tout manque finir avec la Révolution. En 1791, le sanctuaire disparaît dans un incendie qui n’est pas accidentel et, pour faire bonne mesure, à défaut de boucher la source miraculeuse, l’on abat les trois chênes où les marchands ont été ligotés. Cependant, les fidèles ont réussi, une fois encore, à mettre la statue à l’abri, la sauvant des flammes, et quelques courageux osent, en pleine Terreur, pour ne pas perdre l’emplacement de l’apparition, élever trois croix provisoires à la place des arbres disparus. Le terrain mis en vente comme bien national, des gens pieux le rachètent pour, en 1809, le restituer à l’Église et reconstruire la chapelle, plus petite hélas que les précédentes, mais où la Vierge est solennellement replacée.
La fête patronale fait de nouveau accourir beaucoup de monde, venu de Paris et des faubourgs.
En 1848, les croix de bois cèdent la place à des croix de pierre, et en 1865, la chapelle, sans être agrandie, est dotée d’une jolie coupole qui lui confère un charme certain. La fête patronale fait de nouveau accourir beaucoup de monde, venu de Paris et des faubourgs, au grand dam du clergé et de la presse catholique qui affirme que, chaque 8 septembre, les bandits de jadis, désormais repliés dans la capitale, reviennent en masse sur le lieu de leurs anciens exploits. C’est pourtant à Paris qu’en 1870, juste avant le début du siège, l’on cache, une fois encore, la Vierge noire. Bonne initiative car les Prussiens qui campent à côté dévastent le lieu de culte catholique. On répare, comme toujours, et le pèlerinage recommence.
Il retrouve depuis quelques années un peu de son lustre passé, attirant, lors de la fête patronale, des colonnes de pèlerins venus de tout le diocèse, où se mêlent nationalités et origines. En 2024, ce sera le 15 septembre. Si vous passez par-là, allez donc saluer Notre-Dame des Anges.