Remontons la chronologie. L’invasion russe de l’Ukraine débute le jeudi 24 février 2022. Dès le samedi 26 s’ouvrent des négociations, entre représentants russes et ukrainiens, négociations qui se poursuivent sur plusieurs semaines. Les rencontres ont lieu à Istanbul. Dans le courant du mois d’avril 2022, les délégués des deux pays se mettent d’accord sur un texte de cessez-le-feu et de garanties sécuritaires, qui pourrait être signé par leur chef d’État respectif. Alors que beaucoup pensaient que la guerre allait trouver là son terme, le texte est finalement rejeté et le conflit s’est poursuivi. Si les chancelleries sont informées de ces négociations, dont l’existence a été rendue publique, il manquait l’essentiel : ce qui a été négocié entre les parties, les points sur lesquels Moscou et Kiev sont tombés d’accord et ceux qui trébuchent.
Le journal allemand Die Welt a publié le 26 avril dernier un article révélant les différents points de l’accord. Cet article a été traduit et publié à son tour par Le Figaro. Le journaliste Gregor Schwung a pu consulter ce document de 17 pages et ainsi lever le voile sur une pièce essentielle de cette guerre qui transforme l’Europe. Que dit le document ? D’abord que l’Ukraine et la Russie s’étaient mises d’accord sur les conditions de la fin de la guerre et que le texte était sur le point d’être signé par Kiev et Moscou. Accord notamment sur la délimitation des frontières et sur les garanties sécuritaires pour l’Ukraine, accord aussi sur le stationnement des armées russes et ukrainiennes. Ne restait à négocier que des points secondaires, qui devaient être discutés directement lors d’un sommet entre Vladimir Poutine et Volodymyr Zelensky.
Délimitation des frontières
L’Ukraine s’engageait notamment à une "neutralité permanente" et renonçait à toute adhésion à l’OTAN. En revanche, une adhésion à l’UE restait possible. L’Ukraine s’engageait aussi à ne pas posséder ou stationner des armes nucléaires, réaffirmant ainsi des accords post-effondrement de l’URSS, ainsi qu’à ne pas recevoir d’armées étrangères sur son sol ni à mettre à leur disposition ses aéroports et ses ports. Il s’agissait pour la Russie de garanties de sécurité pour ne pas avoir de troupes étrangères (c'est-à-dire OTAN ou États-Unis) à ses frontières. À ses garanties pour la Russie répondaient des garanties pour l’Ukraine : Kiev disposait "d’un droit à l’autodéfense" permettant aux pays membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU de lui venir en aide en cas d’attaque par une puissance étrangère (c'est-à-dire la Russie). Ces garanties mutuelles devaient assurer à la fois la sécurité de l’Ukraine et de la Russie.
Le point délicat des frontières était lui aussi tranché. L’Ukraine reconnaissait le contrôle de la Crimée et de Sébastopol par la Russie, de même que certains territoires des oblasts de Donetsk et de Louhansk, autrement dit ceux qui étaient sécessionnistes avant l’attaque russe. Les délimitations précises des frontières devaient ensuite être négociées par les deux chefs d’État.
Le meilleur accord
Enfin, il devait y avoir une réduction de la puissance militaire de l’Ukraine, tant pour son artillerie, sa flotte que son aviation. Le nombre exact d’armes disponibles était là aussi soumis à des négociations ultérieures. Les parties pensaient que le document serait ratifié par les deux chefs d’État en avril 2022. Comme le commenta l’un des négociateurs ukrainiens à Die Welt : "C'était le meilleur accord que nous aurions pu avoir." Finalement, l’accord ne fut pas signé et la guerre ne s’est pas arrêtée en avril 2022 comme le pensaient alors les délégués des deux camps.
Comme les chancelleries occidentales, les diplomates du Saint-Siège étaient informés de ces négociations, qu’ils ont toujours soutenu.
Pour quelle raison ? Ce sera l’un des axes de recherche essentiels pour les futurs historiens de cette guerre. D’après les propos des négociateurs ukrainiens, rapportés par Die Welt, se serait Boris Johnson qui se serait opposé à l’accord lors d’un déplacement à Kiev début avril 2022 en encourageant l’Ukraine à poursuivre la guerre. Une intervention que le Premier ministre anglais a démentie. Il est possible aussi que l’Ukraine n’a accordé aucune confiance à la Russie et que, forte du soutien occidental, elle a pensé pouvoir repousser les Russes de l’ensemble de son territoire.
La position du Saint-Siège
Comme les chancelleries occidentales, les diplomates du Saint-Siège étaient informés de ces négociations, qu’ils ont toujours soutenu. Le Pape a lui-même réaffirmé à plusieurs reprises la nécessité de négocier, des propos qui lui ont valu de nombreuses critiques en Ukraine et dans le camp occidental. On se souvient aussi de la mission confiée au cardinal Zuppi, qui avait suscité de nombreux espoirs, mais qui n’a pu aboutir. En mars dernier, celui-ci a réaffirmé la nécessité d’ouvrir des négociations. Au moment où l’offensive russe reprend et où l’Ukraine est plus que jamais en difficulté, la question lancinante des négociations ne cesse de revenir. Avec toujours cette question existentielle pour l’Ukraine : comment faire confiance à la Russie et s’assurer qu’elle respecte sa parole ?