"La communauté brûle dévotement l'encens et l'offre pour le père fondateur / Goûtez le parfum de l'encens pour vous souvenir de votre père bien-aimé" : c'est par ces paroles, chantées en vietnamien dans une petite salle du vicariat de Rome ce chaud vendredi 10 mai, que commence la cérémonie de clôture de l'enquête diocésaine sur le père Benoît Thuân.
Un notaire scelle à la cire rouge les épais dossiers qui sont transmis au postulateur, qui devra désormais défendre la cause au Vatican pour que soit reconnue "l'héroïcité des vertus", première étape du chemin vers la sainteté.
Dans la salle très fonctionnelle du palais du Latran se trouvent de nombreux moines qui portent une tunique blanche et un scapulaire noir maintenu par une simple ceinture de cuir. Des femmes portent le même habit, avec le simple ajout d'un voile noir sur la tête. Ce sont des cisterciens et cisterciennes, et pour beaucoup, ils sont Vietnamiens. "Aujourd'hui, près de la moitié des cisterciens viennent du Vietnam", confie l'abbé général de l'Ordre, Mauro-Giuseppe Lepori. Ce fait doit beaucoup à la personnalité du jour, le père Benoît Thuân (1880-1933), qui, comme son nom ne l'indique pas, était originaire du Pas-de-Calais.
Une vocation progressive
Né en 1880 à Boulogne-sur-Mer, celui qui s'appelle alors Henri Denis rejoint le petit séminaire de la cité portuaire à l'âge de douze ans puis le grand séminaire d'Arras en 1900. Mais ce fils de la côte d'Opale rêve de prendre la mer pour devenir missionnaire, et quitte sa terre en 1901 pour le séminaire des Missions étrangères de Paris. Après une brève formation, il est ordonné en 1903 et est envoyé en mission. Pour lui, ce sera Hué, dans ce qu'on appelle alors la Cochinchine – le Vietnam. Là, le vicaire apostolique, pour qu'il s'intègre dans sa paroisse, lui donne un nouveau nom : Benoît Thuân – ce qui en vietnamien signifie "obéissant".
Très investi pastoralement, parlant parfaitement la langue vietnamienne, mais aussi le chinois, le père Thuân s'épanouit dans cette nouvelle contrée, mais il lui manque une dimension contemplative, aussi décide-t-il de lancer une communauté monastique, la première masculine du pays. Rome accepte, et en 1917, il fonde à Phuoc Son le monastère Notre-Dame d'Annam avec un seul frère.
Dès le départ, il souhaite que son monastère soit rattaché à la famille cistercienne, et lance les procédures pour y adhérer. Ces années sont dures, marquées par la faim, l'hostilité de certains locaux, mais peu à peu il est rejoint, et s'attache la sympathie et le respect de la population.
Sous la protection de sainte Thérèse
Dans sa mission, il reçoit un soutien inattendu lorsqu'il écrit en 1924 à la sœur de sainte Thérèse de l'Enfant Jésus peu après la béatification de la petite sainte de Lisieux en 1923 (elle sera canonisée en 1925). Dans la réponse de Mère Agnès de Jésus, cette dernière lui annonce que sa bienheureuse sœur, qui faillit être envoyée au Vietnam, sera la "protectrice de la communauté".
"Le père Thuân était très connu en son temps", confie en français dom Jean XXIII Nguyễn Văn Sơn, qui est l'actuel père abbé de l'abbaye fondée par le Français. Il meurt en 1933, avant même que son monastère ne rejoigne officiellement les cisterciens en 1935, mais reste reconnu comme le fondateur de la congrégation locale.
Aujourd'hui, les catholiques vietnamiens connaissent peu le père Thuân, la faute au grand silence et les persécutions qui furent imposées après l'arrivée des communistes. Son chemin de sainteté pourrait changer les choses : "pour les fidèles catholiques du Vietnam, c’est une grande joie", assure le père-abbé dom Jean XXIII.
Les fruits du moine-missionnaire
Mais "le père Thuân a porté du fruit", poursuit le père abbé - qui se rappelle des témoignages de vieux moines de sa communauté qui l'avaient connu. La Congrégation de la Sainte-Famille, branche vietnamienne de l'ordre fondée par le Français, compte aujourd'hui douze monastères au Vietnam, dont trois communautés féminines, et plus de 1.300 membres.
"Le père Thuân est très actuel et personnellement, il m'inspire", explique l'abbé général Mauro-Giuseppe Lipori. "À la vie monastique manque souvent un peu la dimension missionnaire, et à la vie missionnaire manque parfois la dimension contemplative de la vie monastique", explique le moine suisse, considérant que ce genre de figure de sainteté propose un "équilibre" et peut représenter un modèle pour l'avenir de son ordre.