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Entre Rome et Bruxelles, de l’Europe violette au désamour

Le siège de la Commission européenne, à Bruxelles.

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Jean-Baptiste Noé - publié le 09/05/24
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Très engagée dans la construction européenne, la papauté se montre plus réservée quant aux évolutions récentes de l’administration européenne. Le géopoliticien Jean-Baptiste Noé revient sur les raisons du désamour qui s’est installé, même si l’idéal des pères fondateurs reste présent chez de nombreux chrétiens.

La construction européenne a longtemps représenté un grand rêve pour les papes. Pie XII la soutient, voyant en elle le moyen de pacifier le continent, d’éviter la submersion communiste et d’assurer le redressement et la prospérité des nations. Jean Paul II reprend à son compte cette idée d’Europe, dans laquelle les JMJ jouèrent un rôle important en réunissant la jeunesse des différents pays du continent. Les JMJ de 1989, à Saint-Jacques-de-Compostelle, demeurent une date majeure, notamment à la suite de l’appel lancé par le pape polonais. En ce mois d’août 1989, nul ne prévoyait que le mur de Berlin serait attaqué trois mois plus tard, sans réaction de la part de la RDA et que l’URSS ne serait plus à peine deux ans plus tard. 

Jean Paul II rêva cette unité du continent européen, y voyant un moyen de faire respirer ensemble les deux poumons de l’Église. Mais le référendum sur le projet de Constitution européenne (2003) marqua une rupture nette. En refusant d’y inscrire une mention sur les racines chrétiennes de l’Europe, Jacques Chirac blessa le pape, qui fit tout son possible pour que cette mention apparaisse, en vain. Dès lors, la construction européenne et son administration devinrent de plus en plus étrangères aux visions pontificales. 

L’Europe hellénisée 

En reprenant à son compte la pensée et la vision de Jean Paul II, Benoît XVI voulut battre en brèche la vision technocratique de l’Europe pour lui opposer une Europe vivante, parce qu’enracinée dans sa culture et son histoire. Dans le recueil de textes et de conférences L’Europe, ses fondements aujourd'hui et demain (2005), le cardinal Ratzinger revient sur l’origine de l’Europe et sa raison d’être : « Ainsi devient-il parfaitement clair que Europe est un concept géographique de façon tout à fait secondaire. L'Europe n'est pas un continent que l'on peut nettement saisir en termes de géographie : il s'agit, en réalité, d'un concept culturel et historique. » 

Ce qui marque l’Europe, pour Benoît XVI, c’est évidemment le christianisme. L’Europe s’est faite notamment par les monastères et par les théologiens et penseurs chrétiens, que ce soit à l’époque carolingienne ou à l’époque moderne. L’autre élément structurant de l’Europe, c’est l’hellénisme. C’est le sens profond de son discours à Ratisbonne (2006), dans lequel il montre que la déshellénisation conduit à faire perdre à l’Europe sa substance. Si l’Europe est un concept culturel et historique, alors elle ne peut pas rompre avec sa culture et son histoire au risque sinon de rompre avec elle-même. C’est là le principal reproche que les papes font à la construction européenne du XXIe siècle, qui à leurs yeux n’a plus rien à voir avec celle des années 1950-1970. Désormais, les origines de la culture européenne sont niées, voire rejetées, pour fonder une Europe qui soit purement technique et technocratique.    

L’Europe « grand-mère »  

Bien qu’il ne soit pas Européen, François a beaucoup parlé d’Europe tout au long de son pontificat. C’est le continent où il a effectué le plus de voyages, et pas seulement en raison de la proximité géographique. Lors de la réception du prix Charlemagne (2016), il prononça à Aix-la-Chapelle un discours remarqué où il réaffirma la place centrale du christianisme en Europe, mais surtout dénonça une Europe « grand-mère », qui n’est plus capable de donner la vie et de créer : « Je rêve d'une Europe jeune, capable d'être encore mère : une mère qui ait de la vie, parce qu'elle respecte la vie et offre l'espérance de vie. » 

L’Europe qui pratique la culture du déchet en rejetant les enfants à naître et les vieillards n’est pas du tout son idéal européen. « Je rêve d'une Europe où les jeunes respirent l'air pur de l'honnêteté, aiment la beauté de la culture et d'une vie simple, non polluée par les besoins infinis du consumérisme ; où se marier et avoir des enfants sont une responsabilité et une grande joie, non un problème du fait du manque d'un travail suffisamment stable. » 

Avec ce prix Charlemagne, François était honoré pour le combat mené en faveur de la construction européenne. Mais à l’écoute de son discours, son idéal d’Europe était bien éloigné de celui des technocrates de la structure européenne. 

L’engouement est retombé

Le Vatican et Bruxelles n’ont jamais semblé autant éloignés quant à leur vision du monde, leur projet et surtout leur conception de l’Europe. Au peu d’enthousiasme que suscitent les élections européennes, on peut penser que ce désamour et cette incompréhension sont partagés aussi par une partie de la population européenne. On le constate notamment en Europe centrale : leur entrée dans l’UE en 2004 fut une grande joie et un moment important de l’histoire de l’Europe. Cela ouvrait de véritables espoirs et l’assurance de mettre un terme aux déchirures connues par le continent. Vingt ans plus tard, c’est peu dire que l’engouement est retombé. Sans doute parce que la culture et l’histoire font plus rêver et sont plus mobilisatrices que les normes et les directives technocratiques.

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