Aleteia : À lire votre ouvrage, on dirait que vous avez eu cent vies ! Qui donc êtes-vous, Églantine ?
Églantine Gabaix-Hialé : Mon parcours, en effet, n’a rien de linéaire. Titulaire d’une maîtrise de philosophie, j’ai eu envie de faire du volontariat avant de me lancer dans la vie active. C’est comme ça que j’ai contracté le virus du Moyen-Orient ! J’y ai passé trois ans, avant de revenir en France : là, j’ai été dix ans pigiste à l’hebdomadaire La Vie, puis suis devenue responsable de centres d’accueil pour SDF parisiens au sein du Secours catholique. J’ai ensuite occupé divers postes dans l’humanitaire, avant de me fixer en 2017 à l’Œuvre d’Orient, comme chargée de mission. Aujourd’hui, j’ai un travail qui me comble, même s’il me confronte sans cesse à des situations douloureuses. Car je rencontre des hommes et des femmes, laïcs ou religieux, qui luttent sans baisser les bras pour l’avènement d’un monde plus humain et fraternel. Et ce dans des pays que j’aime.
D’où vous vient cette appétence pour l’étranger et en particulier le Moyen-Orient ?
De l’année d’Erasmus qui a clôturé mes études. Alors que j’avais évolué dans un milieu homogène, je me suis retrouvée en colocation à Salamanque (Espagne) avec huit étudiants de six nationalités différentes. Ça m’a donné envie de voir le monde. J’ai saisi la balle au bond après avoir assisté à une présentation de la DCC (Délégation Catholique pour la Coopération). Au départ c’était une soif d’aventure, probablement doublée d’un désir un peu juvénile de sauver le monde ! Ensuite, c’est le destin qui m’a conduite au Moyen-Orient.
Racontez-nous comment.
J’ai d’abord été volontaire en Égypte, au sein d’une communauté de religieuses : une année difficile et déstabilisante dans un pays que j’ai trouvé très beau mais très dur. J’ai voulu repartir ailleurs que chez des religieux et dans d’autres contrées. Ironie du sort : c’est une mission de deux années à Mar Moussa, un monastère syrien, qui m’a été proposée. Non sans hésitation, j’ai accepté. C’est là que je suis tombée sous le charme du Moyen-Orient : il y a un tel sens de l’hospitalité dans ces pays ! Une chaleur humaine et une attention à l’autre, à l’étranger qui me touchent au cœur. Au point que je me sens chez moi en Syrie, au Liban, en Irak… C’est difficilement explicable, mais c’est ainsi. C’est ce qui m’a amenée à tant revenir dans ce coin du monde, pourtant si souvent en proie au chaos.
Ainsi avez-vous été confrontée très jeune à la folie des hommes : la guerre, la misère, la désolation… Mais en contrepoint, vous avez rencontré des hommes et des femmes porteurs d’une irréfragable espérance.
Ce sont eux les protagonistes de mon livre. Ceux qui ne cèdent pas à la fatalité, qui veulent croire en l’avenir et se retroussent les manches… Je pense, par exemple, à Abouna Jacques, un moine de Mar Moussa devenu archevêque de Homs, Hama et Nebek (Monseigneur Mourad). Il a traversé la guerre, la mort de ses proches, la détention suite à son enlèvement par Daesh en 2015, l’exil, et pourtant, il n’a pas de haine en lui… Une vraie joie l’habite : son rire, c’est un baume. Je pense aussi à Souzan et Hala, deux jeunes syriennes de 25 et 30 ans rencontrées à Homs, l’une ingénieur, l’autre architecte. Alors qu’en 2012, leur quartier a été entièrement détruit, elles ont fait le choix de rester pour rebâtir leur ville. Alors que moi je parcourais les ruines le cœur broyé, j’ai été épatée par leur énergie. Quel courage et quelle liberté chez ces femmes ! Savez-vous qu’aujourd’hui en Syrie, il y dix femmes pour un homme ? Je pourrais vous citer tant d’autres exemples : je vous renvoie à mon livre !
Tous ces bâtisseurs et témoins d’Espérance ont un point commun : la foi. Ce qui n’en finit pas de questionner l’incroyante que vous êtes…
J’ai été élevée dans une famille catholique, je suis baptisée, mais en effet je n’ai pas la foi. La messe m’a toujours profondément ennuyée, la lecture de la Bible laissée de marbre. Pour autant, je ne me définis ni comme athée, ni comme agnostique. Il n’y a pas de terme qui corresponde à ma situation : je ne suis pas hostile, je suis même attirée par le catholicisme et je ne cesse de chercher. En vain ! A mon retour d’Egypte, à 25 ans, j’ai mis le Seigneur au pied du mur : « Dieu, je te donne deux ans pour Te révéler. »
J’ai 45 ans, je n’ai pas été entendue… Ou plutôt, Dieu a répondu autrement. En m’envoyant à Mar Moussa, dans ce monastère perdu au milieu d’un désert de rocailles, où j’ai passé deux années merveilleuses. J’ai aimé cette communauté œcuménique et mixte dédiée au dialogue islamo-chrétien et à l’hospitalité, les belles rencontres que j’y ai faites avec tous les touristes de passage, le silence… Je m’y suis sentie en sécurité, avec l’impression d’être là où je devais être. Alors certes, je n’ai pas été retournée comme saint Paul, mais j’ai connu une paix comme nulle part ailleurs. Peut-être parce que j’étais enveloppée de prières.
Drôle de paradoxe que vous confessez dans votre ouvrage : vous ne savez pas prier, mais croyez en la prière des autres !
Oui, du fait de mon milieu, de mon métier, je rencontre beaucoup de croyants. Je sais qu’ils sont nombreux à prier pour moi et je suis sûre que ça ne peut être vain… Même si Dieu n’existait pas, ces prières, elles, sont vraies. A force de s’agglomérer, elles doivent bien avoir un effet ! Un mouvement du cœur qui va vers l’autre ne peut qu’être agissant. Je regrette de ne pouvoir rendre la pareille…
Parmi tous ces croyants rencontrés, les Petites sœurs de Jésus vous ont particulièrement marquée.
Oui, ces religieuses qui partagent la vie des plus pauvres dans des endroits improbables (des camps de réfugiés, des banlieues insalubres) m’ont souvent portée par leur foi en l’homme et en Dieu. J’en ai rencontré en Israël, en Irak - pays où subsiste une minorité de chrétiens qui a échappé à un génocide…
Je pense avec gratitude à sœur Elishoua, qui m’a consolée par sa seule présence souriante au cours d’une année éprouvante que j’ai passée là-bas, en 2016. J’y avais enseigné trois ans plus tôt et retrouvais des villes entières à l’état de ruines. J’étais dévastée. Elle, sans optimisme béat, allait tranquillement de l’avant, depuis la caravane qu’elle partageait avec une autre sœur au beau milieu d’un camp où s’entassaient 2.000 chrétiens. Comment tient-on dans des contextes aussi terribles sans se décourager ? C’est cette question qui me taraude. Il y a là quelque chose de surhumain… Je cherche la source. Et ne peux m’empêcher de faire un lien avec la foi de ces personnalités hors-normes.
C’est pour leur rendre témoignage que vous avez écrit ce livre ?
J’ai vu la guerre mettre à genoux des peuples entiers, la haine envahir et submerger les cœurs et malgré tout l’Espérance subsister chez des hommes et des femmes qui tiennent le monde par leur ténacité, leur bonté, leur joie. Ils sont animés par un feu intérieur. J’ai eu la chance d’en rencontrer beaucoup, c’est si précieux que je ne peux pas ne pas en témoigner.
Parmi eux, il y a ce Paolo auquel vous dédiez votre ouvrage.
Le supérieur du monastère de Mar Moussa, un Jésuite italien né en 1954 ayant fondé au début des années 80 cette communauté de rite syriaque catholique. Un homme brillant, polyglotte, qui avait un côté très théâtral, très commedia dell’arte – capable de piquer de sacrées colères qui fondaient tout net quand sa mère l’appelait au téléphone… Surtout un homme allant au bout de ses engagements : expulsé de Syrie en 2012 pour ses prises de position contre le régime, il y est retourné clandestinement en juillet 2013 pour négocier la libération d’otages. Il a disparu à Raqqa, nul ne sait ce qui est advenu de lui. Il savait que c’était dangereux, et j’avoue que je lui en ai un peu voulu… Nous avons co-écrit Amoureux de l’islam, croyant en Jésus (2009) et La rage et la lumière, un prêtre dans la révolution syrienne (2013). C’était important pour moi de l’évoquer, je ne peux m’empêcher de l’attendre encore.
Pratique