Mai est le mois de Marie. Cette tradition est ancienne : elle remonte au XIIIe siècle. Mai est aussi un mois johannique : il est en effet grandement marqué par le souvenir de Jeanne d’Arc. À tel point d'ailleurs qu'une grande confusion règne sur les dates la commémorant. Un peu de ménage est donc nécessaire. Le 8 mai est la date anniversaire de la délivrance d'Orléans, assiégée par les Anglais. Le 8 mai 1429, elle était entrée dans la ville, en cuirasse et à cheval à la tête de ses soldats. Le deuxième dimanche de mai est institué fête nationale et patriotique en son honneur par la République en 1920. Une loi est votée pour cela à l'unanimité par la Chambre des députés. Jeanne fait consensus mais elle ne cessera plus d'être politiquement récupérée, des socialistes à l'extrême-droite. Celle-ci « poussera le bouchon » jusqu'à lui annexer le 1er mai pour rappeler que si la fête du travail a été monopolisée par la gauche, elle a été instaurée par le régime de Vichy et le maréchal Pétain dans une optique évidemment à l'opposé du socialisme.
Au terme d’un procès inique
Mais on n’en a pas fini avec Jeanne et le mois de mai ! Le 30 mai on fait mémoire de sa mort le même jour en 1431, sur un bûcher dressé sur la place du Vieux-Marché à Rouen. Elle meurt brûlée vive, après avoir prononcé le nom de Jésus, un an après sa capture par les Anglais devant Compiègne le 23 mai 1430. « Ô Jeanne, sans sépulcre et sans portrait, toi qui savais que le tombeau des héros est le cœur des vivants, regarde cette ville fidèle » déclara dans une envolée lyrique André Malraux, alors ministre de la Culture, le 31 mai 1964 à Rouen, sur les lieux mêmes de son supplice. Ces mots, on peut encore les lire gravés sur la place du Vieux-Marché.
La condamnation à mort de Jeanne a été prononcée au terme d’un procès expéditif et inique. Le journaliste Michel Cardoze l’a présenté dans un livre passionnant comme le prototype parfait des procès staliniens que subira plus tard la Russie communiste. C’est dire le martyre souffert par cette jeune femme de 19 ans ! Abandonnée de tous, on la fit passer pour une sorcière pour des raisons politico-religieuses peu glorieuses et pas chrétiennes du tout ! C’est cette date du 30 mai, celle de son entrée au ciel, que l’Église choisit en 1920 pour l’inscrire au calendrier des saints. Autre clin d’œil au joli mois de mai : Benoît XV proclame la sainteté de Jeanne le 16 mai de cette année-là.
Même quand on ne comprend pas tout
Une église du Pas-de-Calais a été la première en France — et probablement dans le monde — à porter le vocable de Jeanne d’Arc. Et cela, avant même sa canonisation, puisqu’elle est ouverte au culte en 1911. C’est l’église du Touquet-Paris-Plage. Son nom fut proposé par des dames anglaises fréquentant les bords de la Manche. Elles voulaient ainsi exprimer le regret des catholiques anglais d’avoir brûlé Jeanne. La station balnéaire du Touquet, créée sur la Côte d’Opale entre mer et forêt à la fin du XIXe siècle par deux Parisiens, un notaire et un journaliste, a en plus de son histoire extraordinaire, cette particularité d’avoir abrité le premier sanctuaire dédié à une sainte dont les statues allaient se multiplier à grande vitesse dans toutes les églises de France. La multiplication de son image scella un temps « l’union sacrée » entre la République et l’Église. Celle-ci la proclama patronne secondaire de la France, après la Vierge Marie, avec sainte Thérèse de Lisieux, grande admiratrice de l’héroïsme spirituel de Jeanne qui lui inspira une pièce de théâtre.
Le mois de mai est ainsi fertile en souvenirs johanniques. Ils ne sont pas concurrents de la spiritualité mariale de la saison. Jeanne avait fait inscrire le nom de Marie en lettres d’or sur son étendard aux côtés de celui de son fils Jésus. Elle avait déjà l’idée, bien avant une approche théologique plus récente, que le privilège exceptionnel de Marie de Nazareth est de donner Jésus, d’apprendre à le suivre et à lui faire confiance, même quand on ne comprend pas tout. Ne pas tout comprendre, mais rester quand même émerveillé par la vie, la Création et l’espérance folle qui court le monde, c’est l’apanage des poètes. Et de Christiane de Pizan à Léonard Cohen en passant par Verlaine et Péguy, combien ont-ils été à donner de la voix pour célébrer la figure légendaire de Jeanne d’Arc ! Sa « récupération » par la poésie est peut-être la plus profitable qui soit pour nous, pauvres hommes et femmes du XXIe siècle qui nous lassons si vite à admirer, à contempler, à aimer tout simplement.
Une des plus belles voix de France
Jean Cocteau avait déclaré à la stupéfaction générale : « Jeanne d’Arc, c’est le plus grand écrivain français. » Le poète et académicien François Cheng lui donne raison. Il a extrait du verbatim du procès de Jeanne quatre petites lignes : sa réponse aux juges qui la questionnaient sur les voix qu’elle disait entendre. Or ces lignes se révèlent être un quatrain, le voici :
« Puis vint cette voix,
Environ l’heure de midi,
Au temps de l’été,
Dans le jardin de mon père. »
Pour François Cheng, tous les Français devraient retenir ce quatrain par cœur. Pourquoi ? Parce qu’« il vient du cœur, répond le poète ; il est à la fois simple et sublime ; il est le résultat de tout une vie. Il y a un accent éternel. On y entend une des plus belles voix de France ». Il faut souvent venir de loin, comme de Chine dans le cas de François Cheng, pour entendre ce que des oreilles trop habituées ne peuvent plus capter dans leur environnement familier : à savoir l’âme d’un pays vibrer dans les mots innocents d’une de ses enfants... Sachons profiter du mois de mai pour apprendre à murmurer ce quatrain et retrouver ainsi ce brin d’innocence, ce souffle d’espérance, cette lumière dans le regard qui nous manquent si cruellement.