"Ça me rend chèvre", "ça me rend triste", "ça m’agace"… Aleteia a interrogé une cinquantaine de couples et les réactions ne se sont pas fait attendre. Chez la plupart, Monsieur marche devant, dans la rue ou en balade. Si cette situation n’a rien de grave, elle finit généralement par agacer Madame. "La plupart du temps, ça m’énerve, il va trop vite et j’ai l’impression de courir après lui", confie Raïssa. "J’ai l’impression qu’il faut tout faire au pas de course. Avec ce sentiment que moi, je ne vais pas assez vite !", renchérit Anne. "J’ai une sensation d’abandon, il me laisse derrière avec les enfants plus jeunes pendant que lui avance tranquillement à son rythme avec les plus grands ! Mais surtout, ça me rend triste de ne pas partager ce moment avec lui alors qu’en général c'est l’objectif de la balade", reconnaît Marie. Même déception chez Dominique : "Je me dis toujours que nous allons profiter de la balade pour papoter en marchant, mais il me distance très rapidement !" Sur un ton un peu plus amer, Véronique raconte : "Dans n’importe quelle situation, il finit toujours par être devant et ça finit toujours par m’énerver ! Je suis obligée de l’appeler pour lui demander de m’attendre, cela crée une petite tension, qui ne dure pas longtemps certes, mais cela revient à chaque balade !"
Néanmoins, ce cas de figure n’est pas universel. De nombreux couples marchent à la même allure. Et chez d’autres, c’est la femme qui marche devant. Ce qui n’est d’ailleurs pas toujours au goût de celui qui est derrière : "Je trouve cela pénible quand on ne marche pas du même pas, tout comme lorsqu’il y a deux conversations à table", remarque Pierre. "Je marche toujours d’abord, surtout quand on est en retard, et ça agace énormément mon mari ! Je pense qu’il le voit comme une façon de vouloir régenter, donner le rythme de la famille tandis que lui pense que le voyage compte davantage que la destination", souligne Sylvaine. Ce qui agace, de manière générale, c’est donc la dysharmonie, le fait de ne pas marcher au même rythme, ensemble, côte-à-côte. Bien loin des thèses qui y verraient une logique de domination masculine, penchons-nous sur les raisons qui poussent certains hommes à marcher devant.
1Deux définitions du mot "balade"
Et si l’incompréhension entre l’homme et la femme provenait de la perception différente que l’un et l’autre ont du concept de "balade" ? Quand les femmes ont tendance à vouloir en profiter pour "parler", les hommes se concentrent davantage sur le chemin à parcourir, le but à atteindre. Ce qui laisse peu de place pour deviser. Question de définitions et de priorités donc, fort bien résumée par Charles : "Je marche devant et vite parce que je fais une distinction entre un déplacement d’un point A à un point B et une balade "papotage"." Une distinction qui, généralement, chez une femme, n’a pas lieu d’être. Pour elle, tout déplacement quel qu’il soit (pressé, utile, de loisir…) peut être l’occasion de discussions.
2Un rapport au temps différent
Lorsque le timing est serré – prenons l’exemple de la messe ! –, l’écart se creuse encore plus entre ceux qui aiment être à l’heure et ceux qui ne sont pas "à la minute". Le rapport au temps propre à chacun joue un rôle non négligeable dans le rythme de marche. "J’ai envie d’arriver à l’heure donc j’avance en situation de retard au départ", confie Jean. Quant à Philippe, il reconnaît que le retard est pour lui une source de stress, donc il trace la route !
3L’explication physico-rationnelle
La longueur des jambes fournit dans la plupart des cas une explication tout à fait rationnelle au rythme plus rapide des hommes. On pourrait objecter qu’il suffit qu’ils ralentissent : "qui peut le plus peut le moins" après tout ! Mais se mettre au même rythme que l’autre ne semble pas si simple. "Cela demande un réel effort de ralentir son rythme naturel pour marcher plus lentement", explique Jean. Philippe, qui a parcouru de nombreux chemins de pèlerinages en compagnie de sa femme, reconnaît la nécessité, parfois, de garder son élan : "Je marche plutôt derrière ma femme pour adapter mon allure à la sienne. Mais dans les montées avec du dénivelé, je marche devant pour conserver mon rythme".
4L’argument psycho-généalogique
Marcher devant pour un homme relèverait-il inconsciemment de l’instinct préhistorique du mâle protecteur ? Philippe s’interroge : "Est-ce une réminiscence de l'ancien temps où l’homme devait protéger les femmes, ouvrir le chemin en sécurité ?" Question que soulève également Claire : "Je pense que c’est un réflexe archaïque pour montrer le chemin et protéger en cas de danger". Pour Pierre aussi, l’inconscient collectif considérant l’homme comme celui qui guide et protège, n’y serait pas étranger : "Inconsciemment, l'homme est celui qui prépare l'itinéraire donc qui guide. L'homme peut vouloir également se montrer protecteur en allant de l'avant, en étant "éclaireur"".
5Une question de courtoisie
Si la courtoisie n’est pas très à la mode dans une société où les femmes revendiquent une égalité parfaite avec les hommes, il n’en demeure pas moins qu’elle éclaire certaines habitudes prises par la gent masculine. En effet, la courtoisie voudrait que les hommes passent devant dans les lieux publics pour vérifier que l’endroit est fréquentable. De même pour monter un escalier, la bienséance veut que l’homme soit devant, pour éviter tout regard déplacé… En ville ou en randonnée, prendre la tête de la marche peut aussi être une marque de galanterie, notamment en cas de danger. C’est ce dont témoigne Christophe, grand amateur, avec son épouse, de marche en montagne : "Je décide de marcher devant quand le passage est délicat, le chemin est mal marqué au sol, et c’est moi qui aie l’altimètre et qui porte la carte, en grand serviteur de ces dames".
Trouver le "la"
Certaines femmes ont recours à des solutions très pragmatiques pour trouver un rythme commun. "J’essaye de lui donner mon rythme en le prenant par le bras ou en lui donnant la main", confie Caroline. De même pour Marine : "Pour éviter de lui dire "attends-moi" tous les dix mètres et de courir derrière, je lui prends le bras, cela l'oblige à marcher à mes côtés !" Quant à Claire, elle affirme : "Pour régler le problème, je m’adapte à son rythme". D’autres ont recours à la communication. Comme en témoigne Raïssa : "La communication est la clé, j'échange avec lui pour trouver un compromis". Anne, également confrontée au sujet de ne pas marcher à la même allure que son mari - "tantôt devant, tantôt derrière" - dépasse le problème en exprimant que cela lui ferait "vraiment plaisir qu'ils marchent ensemble"… Même si le résultat escompté "ne dure qu'un temps".
Au fil des années, d’autres couples ont réussi à adapter leur rythme ou tout du moins à trouver un équilibre, à l’instar de Geneviève, mariée depuis 42 ans : "Au début de notre mariage, cela m’énervait ! Maintenant, ce n’est plus vraiment un sujet. Mon mari fait davantage attention à ce que nous marchions côte à côte, et moi je suis moins dans l’attente d’échanges lorsque nous marchons. Nous parlons à d’autres moments, bien installés dans un canapé, c’est bien aussi !"
Marie et Joseph, un couple inspirant
En effet, faut-il nécessairement qu’un couple marche au diapason ? C’est agréable certes, mais tant qu’il est synchro sur l’essentiel, quelques variations de rythme semblent finalement bien dérisoires. L'harmonie se joue ailleurs. Contemplons le couple saint que formaient Marie et Joseph, les parents de Jésus. Ils ont fait de sacrés déplacements ! De Nazareth à Bethléem, puis jusqu’en Égypte, avant de revenir à Nazareth. Joseph, traditionnellement invoqué comme chef et protecteur de la Sainte Famille, et représenté dans l’iconographie guidant l’âne qui portait Marie, était sans doute devant. Et silencieux par-dessus le marché ! Marie s’en est-elle offusquée ? On a du mal à l’imaginer. Les Écritures et la tradition évoquent davantage un couple uni, discret, et respectueux du secret de l'autre. En ce sens, Marie et Joseph, avec l'humilité et le silence qui les caractérisent, n'invitent-ils pas à respecter le rythme, le silence, et la liberté de l’autre ?