Sur l'une des rares images que l'on a conservées de lui, Camille Costa de Beauregard sourit. Ce bel homme, entre deux âges, a le regard clair et le crâne un peu dégarni par le temps qui a commencé à marquer ses sillons sur ce visage aux traits doux. Camille Costa de Beauregard est né dans une famille de l'aristocratie savoyarde, à Chambéry, le 17 février 1841, du marquis Louis Marie Pantaléon Costa de Beauregard, haut parlementaire turinois et de Marthe de Veyrac. Ses parents forment ensemble un couple pieux et généreux dévoué au service des pauvres et des malades. Passionné d'ornithologie, son père transmet à ses enfants une admiration sans faille pour la beauté de la Création dont il sait reconnaître la signature admirable de Dieu. C'est à lui, d'ailleurs, que le colibri de Costa, petit oiseau au collier pourpre, doit son nom. Marthe, elle, garde un vif souvenir d'une histoire familiale marquée par la mort sur l'échafaud de trois de ses aïeules. De cet épisode douloureux, elle conserve une conscience accrue de la brièveté de la vie et des choses de ce monde.
Le fleuron de la jeunesse chambérienne
De ce couple aimant naissent onze enfants, dont deux morts en bas-âge, que Marthe élève avec rigueur et fermeté. Attentifs à la misère humaine, les époux Costa de Beauregard éduquent leur enfant dans le souci des pauvres, pratiquant inlassablement l'aumône et le partage. Camille est le cinquième de cette fratrie. Enfant, il suit sa scolarité chez les Frères des Écoles Chrétiennes de la Motte-Servolex, près d'Aix-les-Bains, puis chez les Jésuites. À 16 ans, une violente typhoïde lui cause de graves complications pulmonaires qui l'obligent à poursuivre ses études à domicile, chez ses parents, sous la conduite d'un précepteur, l'abbé Chenal. Affaibli, Camille passe de longs mois en convalescence. La vie, pour lui, est paisible entre l'étude, la lecture, le piano, la peinture et ses grandes promenades dans les montagnes de Savoie. Dans les cercles privilégiés du fleuron de la jeunesse chambérienne, Camille brille par son allure, sa répartie, sa courtoisie et la finesse de son esprit qui lui valent le surnom de "beau chevalier". Camille a 22 ans et l'admiration de ses pairs pour le bel homme qu'il est devenu ont fait gonfler en lui l'orgueil qui l'a détourné de Dieu. S'il ne va plus à l'église, il reste fidèle à la sainte Vierge dans la récitation quotidienne de la belle prière du "Souvenez-vous" :
C'est une conversion fulgurante qui marque son retour à Dieu lorsque, attiré par la Providence, il passe le portique de la cathédrale de Chambéry, un peu comme, plus tard, le fit Claudel à Paris. Foudroyé par l'amour de son Créateur, il renoue avec la foi reçue de ses parents et pressent l'appel au sacerdoce que le bon Dieu a préparé pour lui. La Savoie, alors, traverse les tumultes de son rattachement à la France avec le Traité de Turin ratifié par le Sénat piémontais en 1860. En 1863, il rejoint le Séminaire français de Rome où il est ordonné prêtre le 26 mai 1866. Un an plus tard, à l'été 1867, il regagne Chambéry où il refuse le poste honorifique que son évêque lui propose pour prendre à sa propre demande, l'humble charge de quatrième vicaire à la cathédrale de Chambéry. Là, il se dévoue aux ouvriers qui perdent leur vie à la gagner et crée pour eux une caisse d'aide mutuelle qu'il place sous le patronage de Saint-François-de-Sales.
Un fin éducateur et disciple de la pédagogie salésienne
Lorsque, la même année, le choléra s'abat sur la ville, il accueille les orphelins dont l'épidémie a emporté les parents et les reçoit dans son modeste logis. Lorsque leur nombre s'accroît au point qu'il n'arrive plus à les loger chez lui, il obtient du comte de Boigne l'ancien bâtiment des douanes, surnommé le Bocage, qui s'étend sur un demi-hectare de terrain. Pour mener à bien cette nouvelle mission, il fait appel à son ancien précepteur, l'abbé Chenal, pour créer ce qui devient l'orphelinat du Bocage en mars 1868 et qui finit par héberger jusqu'à 125 pensionnaires.
L'orphelinat devient alors une véritable institution confiée aux Filles de la Charité, dans l'esprit de l'œuvre des Salésiens de Don Bosco que l'abbé Costa a rencontré à Turin en 1879. Ce sont eux, d'ailleurs, qui héritèrent de son œuvre à la mort de son neveu et successeur Ernest Costa de Beauregard. Là, les garçons apprennent l'horticulture et la culture de la terre dans les grandes serres qui s'étalent sur les terrains alentours acquis d'année en année. Fin pédagogue, il réinvente l'éducation stricte de l'époque pour former les jeunes dans toutes les dimensions de leur personne. Le Bocage, ainsi, laisse une grande place aux loisirs ; théâtre, musique, sports et jeux, toujours centrés sur la vie de prière et la liturgie afin de former "de solides chrétiens, d’excellents ouvriers, de bons pères de famille".
Une longue vie de labeur au service de la jeunesse
Malade et fatigué par une longue vie de labeur, l'abbé Costa meurt en odeur de sainteté, alors que sa réputation s'est étendue bien au-delà du Bocage et de son diocèse. Son œuvre a survécu jusqu’à nos jours : si les Salésiens ont quitté le Bocage en 2016, ils continuent d’assurer la tutelle de ses deux principaux établissements : la Maison d’Enfants et le Lycée Agricole. L’abbé Costa est rappelé à Dieu le 25 mars 1910 et sa cause en béatification est présentée à Rome quinze ans plus tard, en 1925. Proclamé Vénérable par le pape Jean Paul II en 1991, un miracle obtenu par son intercession vient d’être officiellement reconnu par le pape François, ouvrant ainsi la voie à sa béatification prochaine. Il s’agit de la guérison inexplicable d’un jeune du Bocage, blessé à l’œil et guéri au terme d’une neuvaine, après l’application sur sa blessure d’un linge ayant appartenu au bienheureux prêtre. Camille Costa de Beauregard a laissé à l’Église un témoignage d’une vie toute livrée à l’amour des pauvres de Dieu, particulièrement dans les jeunes qui lui ont été confiés. Il s’est donné sans relâche, ne cherchant de repos qu’en Dieu et dans la certitude d’accomplir Sa divine volonté pour faire brûler Son amour dans le monde entier.