C’est toujours intéressant de s’arrêter dans un bistrot, de s’accouder au zinc, de lire à tous un verset de psaume et d’écouter les commentaires, ces fameuses « brèves de comptoir ». L’autre jour, j’ai essayé avec le psaume de ce dimanche : « Qui nous fera voir le bonheur ? » (Ps 4.) Les réactions n’ont pas traîné. « C’est sûr, c’est Monsieur Trigano, “Le bonheur si je veux”, c’est le Club Med, les plages de sable fin, les cocotiers, des cocktails au bord de la piscine, les enfants à la garderie, le rêve quoi ! » « Tu rigoles ou quoi ? “Le bonheur est dans le pré”, surtout quand dans ce pré il y a quinze Toulousains : ah ça oui, quand on voit les stadistes se jeter à l’assaut des lignes anglaises et leur donner une leçon de rugby, ça c’est du pur bonheur, c’est Dupont, N’Tamack et Meafou qui nous feront voir le bonheur, c’est eux qui nous feront voir le bouclier de Brennus ! » « Mais non, “Le bonheur, c’est simple comme un coup de fil” : c’est Bouygues, SFR ou Orange qui te l’assure… » « Ouais, finalement le bonheur c’est pas si simple que ça ! »
Les mesures du monde
Sans compter tous ces marchands de bonheur qui vous vendent les pilules du bonheur, du bonheur à fumer, la recette du bonheur, ou le chemin du bonheur entre Katmandou et le Larzac… et vous les entendez tous vous vanter à grands renforts de slogans que leur bonheur est le meilleur du monde et que les autres ne valent pas tripette. Eh oui ! le bonheur est devenu une valeur marchande comme les autres, une valeur qu’on achète, une valeur soumise au cours de la bourse… Mais cette prolifération de petits bonheurs, de bonheurs partiels, n’est-elle pas le signe même que nous n’avons pas trouvé Le Bonheur ?
Preuve en est : une victoire du Stade en finale, une semaine de bronzette au Club Med ou quelques feuilles de cannabis nous procurent certainement excitation, tranquillité, détente ou tout autre sensation éphémère, mais elle ne nous apporte pas le bonheur. Ce n’est pas ça le bonheur ! c’est d’un tout autre ordre, ce n’est pas quantifiable, en tout cas pas avec les mesures du monde, ça ne se pèse pas en gramme, ça ne se chronomètre pas en minutes, ça ne se mesure pas en kilomètre.
C’est une personne
Le bonheur, s’il existe, c’est quelque chose qui nous dépasse infiniment, quelque chose qu’on ne peut pas épuiser comme ça, quelque chose qui remplit et qui dure. « Qui nous fera voir le bonheur ? » La Bible répond à cette question : « Sur nous Seigneur que s’illumine ton visage » (Ps 4, 7). Pour la Bible, pour nous, le bonheur ce n’est pas quelque chose, ce n’est pas un objet matériel, pour nous le bonheur, c’est une personne, un visage, une rencontre : Jésus. Et comme dans toute rencontre, il faut du temps pour découvrir l’autre, il faut du temps pour accéder au cœur de ce bonheur, qui a quelque chose de profond, de mystérieux.
Les apôtres ont fait cette rencontre, ils ont rencontré Jésus un jour sur le bord du lac de Galilée, ils l’ont suivi pendant trois ans, ils l’ont écouté enseigner, ils l’ont vu faire ces miracles et pourtant ils ne le connaissaient pas encore, pas entièrement, pas en profondeur. C’est Jésus lui-même qui va leur donner un accès à son cœur, qui va leur ouvrir l’esprit à l’intelligence des écritures (Lc 24, 35). Pour nous, c’est pareil. Nous pourrions dire que Jésus, nous le connaissons, avec nos cinq années de catéchisme : « Jésus, c’est bon, j’en ai fait le tour, je n’ai plus rien à apprendre de lui, j’ai tout vu. »
Accepter de Le rencontrer
Peut-être que nous connaissons sa vie, comme on connaît celle de Napoléon ou de Clovis, mais justement, ni Napoléon ni Clovis ne sont capables de nous apporter le bonheur, parce que le bonheur n’est pas seulement de l’ordre de l’intelligence, ou de l’avoir : le bonheur est de l’ordre de l’être, de la vie. Et si nous connaissons Jésus avec notre seule intelligence, comme un simple personnage historique, lui non plus ne nous apportera pas le bonheur. Si en revanche, nous acceptons de le rencontrer, si nous acceptons de nous laisser toucher, si nous acceptons de « garder ses commandements » (Jn 2, 3-4), c'est-à-dire de conformer notre vie à la sienne, d’imiter Jésus dans chacun des aspects de notre vie, dans nos pensées, nos paroles et nos actes, alors le bonheur nous sera donné.
Or c’est peut être cela qui nous fait peur, le changement que cela impliquerait ; tant que croire n’est qu’une habitude ou un conformisme social, tant que ça ne remet pas trop de choses en cause dans sa vie, tant que ça ne nous met pas en danger… nous ne voyons pas que croire c’est dangereux : sur douze apôtres, onze sont morts martyrs et saint Irénée ajoutait qu’un « chrétien ne meurt pas dans son lit ». C’est sûr que c’est moins vendeur que les slogans du Club Med !
Ne cherchez plus
Cela tombe bien, ce bonheur-là ne se vend pas, il se donne et le signe de ce bonheur, la marque de ce bonheur divin, c’est la paix et la joie profonde qui habitera notre cœur, la paix que le Christ apporte à ses apôtres chaque fois qu’il se tient au milieu d’eux, la joie qui illumine le visage de tous ceux qui ont croisé un jour le regard du Christ et l’ont suivi. « Qui nous fera voir le bonheur ? » Ne cherchez plus, levez les yeux vers Jésus-Christ, c’est lui, notre joie, c’est lui notre paix, c’est lui notre bonheur.
Pratique
Ac 3, 13-15.17-19 ;
Ps 4 ;
Jn 2, 1-5 ;
Lc 24, 35-48