Si depuis toujours l’Évangile du deuxième dimanche de Pâques est le récit de l’apparition à l’apôtre Thomas, on peut s’étonner que ce jour ait été choisi par saint Jean Paul II pour célébrer la fête de la Divine Miséricorde. Nos frères orientaux ont fait un choix bien plus pragmatique en nommant ce jour le "dimanche de Thomas". Cela a le mérite de la clarté, tout en mettant en lumière un des aspects essentiels du texte de l’Évangile : la foi de Thomas et des autres disciples, c’est-à-dire, la réponse de l’âme croyante confrontée au mystère de la résurrection.
Cet Évangile nous rassure
Il est normal que nous soyons tenté, en ce jour, de tourner notre regard vers saint Thomas, nous lui ressemblons tellement. Qui d’entre nous ne voudrait pas enfin voir, avoir enfin des confirmations tangibles, des certitudes claires et être délivré du vertige étourdissant du croire en lui substituant une douce et confortable certitude ? D’ailleurs combien de fois avons-nous entendu, ou même dit, comme un proverbe : "Moi je suis comme saint Thomas, je ne crois que ce que je vois" ? Oubliant un peu vite que ce qui est vu n’a plus besoin d’être cru. Les faiblesses des apôtres nous rassurent tellement, elles nous aident à supporter les nôtres.
En même temps, cet Évangile nous rassure, parce qu’il nous donne le beau rôle, celui que loue Jésus. Le rôle de ceux qui, ne pouvant plus voir, sont bien obligés de croire. Et voilà que c’est de nous dont Jésus parle, nous sommes ces bienheureux dont il fait les louanges. L’Évangile est tellement plus doux quand il nous flatte, et après quarante jours de carême nous en avons bien besoin.
L’aboutissement de l’Évangile
Mais tout cela est un peu réducteur. Car on ne peut faire de l’apôtre Thomas un empiriste obtus qu’en oubliant que sa rencontre avec Jésus débouche sur le plus beau et le plus audacieux des actes de foi. Un acte de foi qu’aucun autre disciple ne parvient à faire : "Mon Seigneur et mon Dieu !" (Jn 20, 28) En effet, la démarche de Thomas ne s’arrête pas à la simple observation : oui c’est bien Jésus, son corps est vrai, ses blessures sont bien là. Il va au-delà, au-delà de ce que voient ses yeux, au-delà de ce qu’entendent ses oreilles, au-delà de ce que sentent ses mains. Ces lèvres confessent ce que ses yeux ne peuvent percevoir : Jésus ressuscité est mon Seigneur et mon Dieu ! Et saint Jean nous l’affirme solennellement : c’est pour que nous aussi nous puissions nous aussi faire cet acte de foi que tout son évangile a été écrit. Dans la profession de foi de Thomas se trouve l’aboutissement de l’évangile, enfin Jésus est reconnu selon sa véritable nature et identité. Il est Seigneur est Dieu.
La révélation par la miséricorde
Comment expliquer alors que Thomas parvient en premier à cette réalisation ? Et bien il faut revenir à la miséricorde divine que nous célébrons aujourd’hui, car c’est l’expérience de la miséricorde qui permet l’acte de foi de Thomas. Spontanément, nous associons la miséricorde avec le pardon des péchés, ce qui est assez juste. Nous la concevons comme un amour préférentiel pour celui qui est dans la détresse, dans la difficulté ou dans le doute. Et la miséricorde transparaît dans l’attitude de Jésus qui répond au désir de Thomas en se donnant la peine de venir à sa rencontre et d’accéder à sa demande.
La miséricorde est le mot par lequel le mystère profond du cœur de Dieu nous est révélé.
Mais plus profondément, la miséricorde est le mot par lequel le mystère profond du cœur de Dieu nous est révélé. En hébreu, la langue de l’Ancien Testament, le mot utilisé pour parler de la miséricorde c’est rahamim, ce qui désigne les entrailles maternelles de Dieu. La miséricorde, c’est l’amour qui prend Dieu aux tripes, qui le bouleverse, et qui surpasse sa colère face à l’infidélité de son peuple ! Dieu blessé par nos infidélités reste fidèle et continue d’aimer envers et contre tout : "Vais-je t’abandonner, Éphraïm, et te livrer, Israël ? Vais-je t’abandonner comme Adma, et te rendre comme Seboïm ? Non ! Mon cœur se retourne contre moi ; en même temps, mes entrailles frémissent. Je n’agirai pas selon l’ardeur de ma colère, je ne détruirai plus Israël, car moi, je suis Dieu, et non pas homme : au milieu de vous je suis le Dieu saint, et je ne viens pas pour exterminer" (Os 11, 8-9).
Thomas reconnaît le Dieu d’amour
Quand Thomas s’approche des blessures de Jésus, c’est de la miséricorde qu’il s’approche. Ces blessures, ce sont les nôtres, celles que notre péché nous avait fait mériter et qu’il a prises sur lui, celles qu’il a endurées à notre place. Le trou dans ses mains et ses pieds, la marque de la lance dans son côté, c’est le prix de notre infidélité qu’Il a renoncé à exiger de nous parce que son amour surpasse sa justice. En mettant sa main dans le côté transpercé du Christ, Thomas touche du doigt la réalité de l’amour de Dieu pour lui. Cet amour qui s’est écrit en lettre de sang dans la chaire du Christ. Et davantage, il entre dans le mystère du cœur du Christ : ces entrailles transpercées, lacérées, ressuscitées et transfigurées d’où s’écoule le fleuve d’amour qui rachète le monde. Dans les blessures du Christ, c’est le mystère de l’amour de Dieu qui est révélé. Il fait miséricorde parce qu’Il est miséricorde.
L’expérience de Thomas dépasse la simple constatation médicale : il était mort, il est vivant. Il va au-delà, au-dedans. Ce que ces entrailles cachent, c’est la miséricorde de Dieu qui se déverse par le côté ouvert du Christ. Il voit l’homme ressuscité mais il reconnaît le Dieu d’amour, vainqueur du mal et il l’adore : "Mon Seigneur et mon Dieu !" Seigneur Jésus, c’est par tes blessures que nous sommes guéris. Fait que nous ne manquions jamais de puiser à la source de ta miséricorde pour recevoir les fruits de ta résurrection. Augmente en nous la foi, qu’en contemplant tes blessures glorifiées nous puissions toujours t’adorer comme notre Seigneur et notre Dieu !