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Julienne de Cornillon, celle qui inventa la Fête-Dieu

PROCESSION-FETE-DIEU-GODONG

Procession de la Fête-Dieu au sanctuaire Notre-Dame de la Salette (Isère).

Anne Bernet - publié le 04/04/24
Religieuse augustine, appelée par Dieu à obtenir une fête en l’honneur du Saint-Sacrement, sainte Julienne connut les pires avanies dès lors qu’elle fait connaître ce projet. L’Église célèbre sa mémoire le 5 avril.

Pour ceux qui vivent dans le monde, le cloître semble souvent, sinon un lieu de délices, du moins un endroit tranquille où l’on peut vivre dans le renoncement, certes, mais protégé de la plupart des soucis extérieurs. Pure illusion ! C’est même parfois le contraire, comme le prouve l’histoire de Julienne, prieure de l’abbaye du Mont-Cornillon en Belgique.

Issue d’une famille riche, Julienne est née à Rettine, au diocèse de Liège, en 1193. Elle est encore en bas âge lorsque ses parents disparaissent, la laissant orpheline. Sans famille, ils ont pris des dispositions afin que leur fille soit recueillie et élevée par la communauté qui s’est fondée quelques années plus tôt au Mont-Cornillon et suit la règle canoniale de saint Augustin. La particularité de l’endroit est d’être partagée en deux maisons, l’une d’hommes, l’autre de femmes, et de se dévouer au soin des lépreux. C’est dans ce monastère que Julienne grandit, étudie beaucoup, maîtrisant assez le latin pour lire les Pères dans le texte, se donnant à la prière et la lectio divina. Jamais l’idée ne lui vient de quitter ce refuge, seul foyer qu’elle ait connu. Elle prononce ses vœux dès qu’elle en a l’âge. Âme contemplative, dévote de l’Eucharistie, elle passe de longues heures en contemplation. 

Peu à peu, sa vie mystique s’intensifie, elle a des songes, dont l’un la perturbe par sa récurrence et son incapacité à le décrypter. Elle voit la lune dans le ciel, resplendissante mais, détail singulier, l’astre présente une incompréhensible "échancrure". À la longue, Julienne se prend à craindre être victime d’une illusion démoniaque et prie pour avoir l’explication de ce rêve dérangeant. Après plusieurs années d’incertitude, le Christ lui apparaît et lui explique que la lune représente l’Église, resplendissante ; mais l’échancrure signifie qu’il manque quelque chose à la perfection de son culte : une fête en l’honneur du Très-Saint-Sacrement de l’autel. Dieu veut que cette fête soit instituée au plus vite, et c’est à Julienne, que revient la mission d’y pourvoir. 

Les meilleurs théologiens

Bien qu’élue prieure de la branche féminine du Mont-Cornillon, Julienne se sent incapable, elle, pauvre religieuse cloîtrée, de s’atteler à une tâche pareille. Pendant vingt ans, elle répète au Christ, insistant, qu’il doit chercher quelqu’un de plus brillant et plus capable. Selon le joli mot d’un de ses biographes : "Plus on la faisait grande, plus elle cherchait à se faire petite." Mais Jésus ne la lâche pas : c’est elle et personne d’autre qu’il veut charger de cette entreprise. En désespoir de cause, Julienne s’adresse à un chanoine de Liège, Jean de Lausanne, qui prend conseil des meilleurs théologiens. À l’exception de son supérieur direct, Dom Jean, qui dirige les deux maisons du Mont-Cornillon, toutes les réactions sont favorables. Julienne, effarée et incrédule, s’adresse à une sainte femme, la recluse Isabelle, en constant colloque avec le Ciel. À son vif soulagement, celle-ci se montre très réservée jusqu’à ce que Dieu lui révèle dans une vision vouloir, en effet, l’instauration de cette fête. Julienne ne peut plus se soustraire aux désirs célestes ; c’est là que ses ennuis commencent. 

Plus détestée que jamais

Elle, auparavant si respectée, fait l’objet d’une campagne diffamatoire invraisemblable : on l’accuse d’avoir dérobé les chartes fondatrices de l’abbaye et, alors qu’elle a apporté toute sa fortune en dot, elle est soupçonnée d’avoir dilapidé les biens et revenus du Mont-Cornillon. On lui conseille de s’éloigner un temps pour laisser les calomnies retomber. Avec quelques religieuses, elle part en pèlerinage à Cologne ; ce voyage tourne au cauchemar en raison des accidents qui les poursuivent, comme si le diable s’en mêlait. Elle regagne son abbaye saine et sauve mais les esprits ne se sont point apaisés. 

Toujours accusée de détournement de fonds, la prieure est plus détestée que jamais, au point que les Liégeois ameutés attaquent le couvent, pillent ses appartements en quête des chartes qu’elle est soupçonnée d’avoir dérobées. Julienne doit trouver refuge chez l’évêque, Robert de Torote, qui la soutient et croit assez en elle pour avoir, en 1246, institué la fête du Saint Sacrement dans son diocèse le jeudi dans l’octave de la fête de la Sainte Trinité, et entrepris les démarches à Rome. Est-ce le succès attendu ? Non car l’évêque meurt et, privée de son appui, Julienne est de nouveau victime d’une campagne diffamatoire. Le Mont-Cornillon est attaqué pour la seconde fois et la prieure, qui n’a pu se mettre à l’abri, arrêtée, manque être lapidée par les émeutiers. Elle en réchappe de justesse et, craignant moins pour elle que pour ses filles, décide d’emmener sa communauté en lieu sûr, à Namur.

Sis ans après sa mort

À peine Julienne et ses religieuses ont-elles fui, Liège est accablé de désastres, attribués à leur départ… Dom Jean, tête pensante de la persécution, vient, repentant, à Namur, demander pardon à Julienne et lui demander de rentrer. Elle en accepte le principe mais prédit la mort de l’abbé, qui périt, en effet, dans les circonstances annoncées.

Julienne ne retournera jamais au Mont-Cornillon. Elle s’éteint le 5 avril 1258 à Namur. On l’enterre à l’abbaye de Villers. Sa confidente, une recluse prénommée Ève, se donne pour mission de terminer sa tâche. Six ans après la mort de Julienne, le 8 septembre 1264, le pape Urbain IV instaure la fête du Corpus Christi, ou Fête-Dieu et charge Thomas d’Aquin d’en rédiger l’office, dont l’hymne Pange lingua, ou Tantum ergo, par référence aux premiers mots de ses strophes finales. Désormais, la lune n’aura plus d’échancrure.

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