Les sagesses grecques de l’Antiquité n’avaient qu’un objectif : nous apprendre à apprivoiser la mort. Puisqu’il faut vivre, autant bien vivre. Évitons alors d’être terrorisés par la perspective de notre propre mort, accablés par la mort de nos proches, et scandalisés par l’idée même que la vie puisse finir. Pour cela, plusieurs écoles semblent avoir fait leurs preuves.
Celle d’Épicure pour qui la mort n’est rien : rien pour vous qui êtes vivants, et rien pour vous quand vous serez morts, puisque… vous serez complètement morts. L’école stoïcienne vous enjoint d’apprendre à supporter ce que vous ne pouvez éviter, en reconnaissant que tous les événements a priori contrariants de l’existence participent à un ordre général très bien pensé : la pluie contrarie vos vacances, mais relève d’une utile nécessité climatique, la maladie et la mort nous chagrinent, mais participent utilement à la régulation démographique.
D’ailleurs ces écoles philosophiques ne sont pas de simples théories, puisqu’elles servent même à désigner un trait de caractère : on dira de l’oncle Bidule qu’il est épicurien, ou de la tante Machine qu’elle est stoïcienne… Bref, la mort, n’y pensons pas, ou supportons-la, et ceci nous fera un mode de vie acceptable.
Un scandale absolu
Les jours que nous venons de vivre, cette semaine passée à accompagner un homme qui marche vers la mort, à suivre ce juif de Nazareth nommé Jésus, ce jeune rabbin promis à un bel avenir politique, et exécuté comme un criminel sous les yeux effarés de sa famille et de ses amis, nous plongent dans un monde qui ne sera plus jamais pareil. Arrêtons de chercher des excuses à la mort, ne cherchons pas à donner du sens à ce qui n’en n’a pas, ne nous fatiguons pas à tenter de nous habituer à ce qui fait mal. Cessons d’aller contre notre intuition profonde, celle que la mort, la nôtre et celle des autres, est et restera toujours un scandale absolu.
Le Christ a plongé dans la mort, il a su ce que c’est que d’être dénoncé par un ami, lâché par les gens qu’on aime, maltraité jusqu’au dernier souffle.
Le Christ n’est pas venu pour nous expliquer la mort, pour nous rassurer sur la nôtre, et nous convaincre que les larmes sont une perte de temps et d’énergie, au motif qu’après ce moment désagréable, tout ira mieux. Il a plongé dans la mort, il a su ce que c’est que d’être dénoncé par un ami, lâché par les gens qu’on aime, maltraité jusqu’au dernier souffle. Était-ce pour nous dire que la mort n’est rien ? Non. D’ailleurs, Jésus a habité la mort pendant trois jours, sa dépouille est restée jusqu’au troisième jour dans un tombeau.
L’expérience du Samedi saint
Ainsi, cette journée du Samedi saint, qui précède la résurrection, cette journée où le temps et l’espace semblent suspendus, comme désertés par leur Créateur, nous immerge dans une expérience radicale et unique. Nous expérimentons ce désastre absolu qu’est la mort pour nous tous qui avons été faits pour vivre et vivre heureux. Nous respirons cependant déjà un autre air, celui de la vie éternelle ouverte par la résurrection de Jésus. Cette vie éternelle qui coule déjà dans nos veines de baptisés n’est pas un doux sirop anesthésiant, elle n’est pas le conte pour enfant destiné à endormir les peurs du soir. Cette vie de ressuscité, qui se prépare le Samedi saint depuis les profondeurs de la terre et de l’histoire que Jésus a rejoints avant ce matin de Pâques, est déjà là… mais pas encore.
Profitons du silence qui précède Pâques pour être saisis par cette vérité : la mort il y a de quoi en pleurer, et il nous en faut du temps pour pleurer. Si Jésus n’est pas ressuscité en un clin d’œil, à peine descendu de la croix, c’est bien pour une raison. Mais nous savons que désormais de la mort nous sommes sauvés, et que rien ne pourra plus nous faire désespérer.