Étonnante époque que le XIXe siècle ! Alors qu’elle se relève douloureusement de la grande fracture révolutionnaire, la France voit naître un nombre prodigieux d’œuvres pies et de saints. Pas un diocèse qui n’ait les siens, parfois portés sur les autels, parfois oubliés. Tous répondent à leur manière aux nécessités de leur temps et leur milieu. Tous contribuent à rechristianiser la société. Béatifié en 2015, Louis-Édouard Cestac est l’un d’entre eux.
Né à Bayonne le jour des Rois 1801, Louis-Édouard est le fils d’un ancien chirurgien de marine qui exerce désormais à terre, et d’une jeune femme d’origine basque espagnole. Très jeune, il est scolarisé au petit séminaire d’Aire-sur-Adour, puis au grand séminaire de Bayonne. Le jeune homme révèle, outre un talent de musicien, de grandes capacités en mathématiques et philosophie, se distinguant assez pour se mériter un privilège rare : être envoyé, ce qui est réservé aux séminaristes les plus brillants, finir ses études au prestigieux séminaire Saint-Sulpice à Paris. Hélas, quelques mois dans le nord suffisent pour altérer sa santé au point que les supérieurs décident de le renvoyer chez lui. Il se remet assez sous le climat natal pour être ordonné le 26 juin 1825.
Apôtre des périphéries
Comme la plupart des jeunes prêtres prometteurs, l’abbé Cestac, alors qu’en zone rurale, nombre de paroisses demeurent à l’abandon faute de clergé, est nommé en ville, à Bayonne, à la cathédrale. Certains en feraient un tremplin mondain. Pas lui. Dédaigneux d’une carrière ecclésiastique, il accepte la mission ingrate que lui propose son curé : l’apostolat des quartiers défavorisés, abandonnés, où la parole de Dieu est devenue largement inaudible. Pour ce garçon de milieu protégé, le choc est rude. Certains jettent l’éponge. Pas Cestac. Il a vite compris que l’on pouvait reconquérir ces périphéries au Christ, en passant par les femmes, moins atteintes par les idéologies révolutionnaires et qui conservent un fond de piété. Vite compris, aussi, que, dans ce milieu, et dès l’enfance, fillettes et adolescentes sont exposées à tous les périls. Faute d’éducation chrétienne, contraintes par la misère et le chômage ambiant, qui frappe d’abord les femmes, beaucoup sombrent dans la prostitution.
Son premier souci est d’épargner ce sort aux enfants. Et d’abord aux orphelines, trop souvent jetées à la rue à la mort de leurs parents. En 1835, il convainc la municipalité de lui louer une maison, le Grand Paradis, où il recueille ces petites, les éduque, les catéchise, les prépare à fonder des familles chrétiennes. Mais les autres qui vendent leurs charmes à travers la ville, faut-il les abandonner à leur malheur ? En 1837, il décide de leur offrir un toit.
Racheter les filles publiques
Cestac le sait, les œuvres vouées au rachat des filles publiques sont peu prisées : résultats aléatoires, entreprise longue, rechutes nombreuses. Tant d’autres causes sont plus satisfaisantes ! Comment intéresser les bonnes âmes à son "refuge" ?
Ne me réclame pas d’argent, ne demande que mon esprit.
Depuis son enfance, Louis-Édouard, dans le besoin, recourt à la Sainte Vierge et, ne trouvant pas les fonds dont il a besoin, le 19 juillet 1838, il entreprend un pèlerinage au grand sanctuaire marial de la région, Notre-Dame de Buglosse. Mais, alors qu’il prie et demande, insistant, les sommes nécessaires, il entend distinctement la voix de Marie lui dire : "Ne me réclame pas d’argent, ne demande que mon esprit." Il comprend qu’il doit s’abandonner à la divine Providence. Elle ne lui fera pas défaut.
Libres de partir
L’argent rentre, permettant d’acheter une bâtisse et un grand terrain à Anglet, où il installe son œuvre de Notre-Dame du Refuge. Contrairement à la plupart de ces établissements, Cestac refuse que le sien soit une maison de force, auxiliaire de justice où l’on place les prostituées au nom de la salubrité publique. Chez lui, n’entrent que celles qui le veulent, et les "pénitentes" sont libres de partir quand elles le veulent. Ce sera rare car, chez le père Cestac, elles trouvent l’affection qui leur manque, la famille qu’elles n’ont pas eue, apprennent à aimer Notre-Dame et reconquièrent leur dignité par le travail des champs. Louis-Édouard se découvrant une passion pour l’agronomie, commence à fabriquer des engrais et favoriser la plantation de pins dans les étendues sableuses des Landes, attirant l’attention bienveillante de l’impératrice Eugénie et de Napoléon III.
Ne pouvant suffire seul à l’œuvre, il s’entoure de collaboratrices, dont sa sœur Élise, avec lesquelles il fonde, en 1842, les Servante de Marie. Vouées au rachat des prostituées, les sœurs se diversifieront ensuite en ouvrant des écoles de filles en zone rurale, afin d’éviter aux nouvelles générations les malheurs de leurs aînées. Bientôt, existeront 110 établissements répandus dans dix départements du Sud-Ouest, puis en Espagne.
Le secret de sa réussite
Le Refuge d’Anglet atteint si bien ses objectifs que certaines repenties, au lieu de rentrer dans le monde, demandent à devenir religieuses cloîtrées afin de mieux expier leurs fautes passées. En principe, ailleurs, on ne les accepte pas, sinon comme assistantes, ou on les envoie dans des communautés qui ignorent leur passé. L’abbé Cestac ne voit pas les choses de cet œil. Puisque ses pénitentes veulent la règle la plus dure, celle des cisterciens, pour elles, il fonde, en 1851, les Solitaires de saint Bernard, ou Bernardines, vouées à la prière et à la contemplation.
Louis-Édouard s’éteint à Anglet le 27 mars 1868. Quand on l’interrogeait sur le secret de sa réussite, il répondait : "Ne jamais rien demander, ne jamais rien refuser !"