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Benoît XVI, le Covid, son élection… Les bonnes feuilles de l’autobiographie de François

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Agnès Pinard Legry - publié le 19/03/24 - mis à jour le 21/03/24
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Dans "Vivre : mon histoire à travers l’Histoire" à paraître ce mercredi 20 mars en France, le pape François retrace les temps forts de sa vie avant et depuis son élection au trône de Pierre. Benoît XVI, le Covid, son élection… découvrez les bonnes feuilles de son autobiographie.

Le pape François se confie volontiers au détour d’une rencontre, d’une audience, d’un événement ou d’un livre-entretien sur sa jeunesse, ses premières années de prêtre, ce qui l’attriste et ce qui le réjouit dans le monde. Dans Vivre : mon histoire à travers l’Histoire, à paraître ce mercredi 20 mars en France, il relit sa vie, du début de la Seconde Guerre mondiale alors qu’il n’avait pas 3 ans à aujourd’hui, Pape depuis déjà onze ans. Avec l’aide du journaliste italien Fabio Marchese Ragona, il ouvre une fenêtre sur son passé pour mieux comprendre sa vision et ses défis aujourd’hui. Extraits.

Ces années sous la dictature en Argentine

Ces années ont été terribles, avec de nombreuses situations difficiles à gérer. Les services secrets me surveillaient probablement, aussi je faisais en sorte de brouiller les pistes quand j’étais au téléphone ou que j’écrivais une lettre ; je demandais aux jeunes jésuites du collège de ne jamais sortir après le coucher du soleil et jamais seuls, toujours en groupe, de sorte qu’il serait plus difficile de les enlever. Je leur interdisais aussi de parler de politique avec d’autres prêtres, par exemple au réfectoire ou dans les moments de récréation, surtout en présence des aumôniers militaires. Tous n’étaient pas fidèles à l’Église, et certains se trouvaient sûrement à l’intérieur de notre collège ! Ce n’est pas un hasard s’il y a eu des perquisitions nocturnes dans la maison des novices, la Villa Barilari, mais nous avons réussi à nous en tirer sans problème. Pendant cette période, on m’a présenté le cas d’un autre garçon qui avait besoin de fuir l’Argentine : j’avais remarqué qu’il me ressemblait, aussi je suis parvenu à le faire partir habillé en prêtre, avec ma carte d’identité. Cette fois-là, j’ai pris un grand risque car, s’il avait été découvert, ils l’auraient sûrement tué avant de venir me chercher. Je me rappelle aussi l’histoire d’un couple de catéchistes, Sergio et Ana, qui vivaient parmi les pauvres avec leur fille. Je les avais rencontrés avant de devenir prêtre et leur rendais souvent visite – une famille très catholique, nullement communiste ni subversive, ce qui ne les empêcha pas d’être calomniés par la police secrète. Sergio a été emmené par surprise et torturé pendant plusieurs jours. J’ai tenté de le faire libérer par tous les moyens, et j’ai fini par y parvenir grâce à l’intervention du consul italien Enrico Calamai, un grand homme qui a sauvé beaucoup de personnes. Je dois reconnaître que j’ai moi aussi été victime de calomnies au sujet des années de la dictature : on m’a accusé d’avoir remis au régime deux jésuites qui travaillaient dans un bidonville de Bajo Flores, le père Orlando Yorio et le père Francisco Jalics. Ces deux prêtres étaient en train de fonder leur propre congrégation religieuse et, en tant que père provincial, je les ai mis en garde, au nom du père général, que cela entraînerait leur exclusion de la Compagnie de Jésus. Ce qui s’est produit au bout d’un an. Je leur ai également conseillé de quitter temporairement les bidonvilles, car la rumeur circulait que les militaires risquaient de faire une descente pour les enlever  : je leur ai offert l’hospitalité dans notre collège s’ils en avaient besoin, mais ils ont décidé de rester auprès des pauvres et, en 1976, ils ont été kidnappés. J’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour les faire libérer : j’ai rendu visite à l’amiral Massera à deux reprises, car on disait que nos deux confrères avaient été pris par la marine. Une fois, j’ai également réussi à parler au général Videla, chez qui je célébrais par ruse une messe un samedi après-midi. Le lendemain, j’en ai référé au père général, Pedro Arrupe, qui vivait à Rome : je l’ai appelé d’un téléphone public de l’Avenida Corrientes.

L’Europe

Pendant mon voyage à Budapest en avril 2023, j’ai rencontré les autorités, des représentants de la société civile et du corps diplomatique. À cette occasion, faisant écho au discours que j’ai tenu au Parlement européen de Strasbourg en 2014, j’ai parlé du besoin que l’Europe ne soit pas otage des partis, victime de populismes autoréférentiels, et qu’elle ne se transforme pas non plus en une réalité fluide qui oublie la vie des peuples. J’ai parlé du besoin d’harmonie, où chaque partie se sente appartenir à l’ensemble tout en conservant son identité propre. Chaque peuple apporte ses richesses, sa culture, sa philosophie, et doit pouvoir les conserver. Le problème est qu’aujourd’hui, cela n’est plus le cas, le rêve des fondateurs semble bien éloigné.

Les attentats du 11 septembre

C’est un blasphème d’utiliser le nom de Dieu comme cela a été fait pour justifier les massacres, les homicides, les attaques terroristes, la persécution de personnes et de peuples entiers. Personne ne peut invoquer le Seigneur pour faire le mal. Le rôle des hommes d’Église consiste à mettre en lumière et à dénoncer toute tentative de justification de la haine (sous quelque forme qu’elle se présente) au nom de la religion, et à condamner quiconque se rend coupable de cette falsification idolâtre de Dieu. Le jour des attentats du 11-Septembre, la mort semblait l’emporter sur tout le reste, mais une petite flammèche était restée allumée dans l’obscurité : celle de l’amour. Au milieu de cette douleur déchirante, l’être humain a su montrer son meilleur visage, celui de la bonté et de l’héroïsme. Pensons à celles et ceux qui se sont mis à la disposition des secouristes, qui ont distribué eau et nourriture, qui ont ouvert leur magasin pour assister les forces de l’ordre, qui ont apporté couvertures et biens de première nécessité, parfois de loin. Pensons aux mains tendues dans une ville qui semblait tournée vers le seul profit, et qui s’est pourtant montrée capable de solidarité envers tous.

La renonciation de Benoît XVI

Je suis resté paralysé quelques secondes, j’avais du mal à croire à ce que j’entendais au téléphone. Jamais je ne me serais attendu à une telle nouvelle : la renonciation d’un pape était en effet inimaginable jusqu’alors, bien qu’elle soit prévue par le code de droit canon. Au début, je me suis dit : « Je dois avoir mal compris, c’est impossible. » Puis j’ai compris que Benoît avait certainement longuement médité et prié avant de prendre cette décision historique et courageuse. De toute évidence, il avait compris que, les forces l’abandonnant, le seul qui soit irremplaçable dans l’Église est le Saint-Esprit, et que le seul Seigneur est Jésus-Christ. Pour cela, il a été un grand pape, humble et sincère, qui a aimé l’Église jusqu’à la fin. Celui qui m’a téléphoné ce matin-là est Gerry O’Connell, un ami journaliste que je connais depuis de nombreuses années. Il m’a seulement dit ces mots, « le pape a démissionné », puis il a raccroché car il avait beaucoup de travail, non sans m’avoir promis de me rappeler. Il l’a fait deux ou trois heures plus tard et m’a tout expliqué  : la démission prendrait effet le 28  février au soir, à 20 heures, et le conclave aurait certainement lieu tout de suite après, le 10 mars. Il m’a de nouveau appelé les jours suivants pour m’informer que le matin du 28 février, Benoît  XVI serait congédié par le Collège des cardinaux, et que tous les cardinaux seraient donc appelés à Rome pour l’occasion. Dès le lendemain, le 1er mars 2013, débuterait la période de sede vacante. Je dois admettre que je cherchais à me rendre le moins possible au Vatican : je préférais sincèrement rester parmi mon peuple, entre autres parce que le faste de ces palais ne me mettait pas à l’aise. C’est pour cette raison que, avant d’apprendre l’audience en présence de tous les cardinaux, j’avais déjà acheté mon billet d’avion qui m’emmènerait à Rome quelques jours avant le conclave, tandis que celui de retour pour Buenos Aires était prévu le 23 mars, le samedi avant le dimanche des Rameaux : j’étais persuadé qu’aucun pape ne prendrait ses fonctions pendant la semaine sainte, et que je pourrais rentrer à temps pour les célébrations de Pâques. Je ne voulais rester au Vatican que le temps nécessaire : j’avais la tête aux célébrations de Pâques en Argentine, et surtout aux homélies à préparer pour la Semaine sainte !

Sa relation avec Benoît XVI

Le voyage a été long et fatigant. Arrivé à l’aéroport de Fiumicino, au moment de retirer les bagages, j’ai rencontré des visages amis : il y avait le cardinal Odilo Pedro Scherer, archevêque de São Paulo, que la presse considérait comme l’un des papables, et le cardinal Luis Antonio Tagle, à l’époque archevêque de Manille, lui aussi sur la liste des éligibles, qui avait voyagé avec son compatriote, le cardinal Ricardo Vidal. Nous étions tous habillés en clergyman, sauf Tagle, qui voyageait en polo et jean. Le lendemain matin, je l’ai croisé à nouveau et lui ai dit : « Hier, à l’aéroport, j’ai rencontré un jeune homme qui vous ressemblait ! » Nous avons ri pendant quelques minutes. Le 28 au matin, je me rendis donc dans la salle Clémentine pour prendre congé du pape Benoît  : en grand théologien, il tint un discours très profond qui m’a impressionné car il citait en deux occasions Romano Guardini, que j’avais longuement étudié pour ma thèse de doctorat  : « L’Église n’est pas une institution imaginée et construite au hasard… mais une réalité vivante… Elle vit dans le cours du temps, en devenir, comme tout être vivant, elle se transforme… Pourtant, sa nature reste toujours la même, et son cœur est le Christ. » Nous avons tous longuement applaudi. À cette occasion, le pape Benoît affirma que, dès ce moment, il promettait un respect et une obéissance inconditionnelle au nouveau pape qui serait élu au conclave, et qui se trouvait parmi nous. Au cours des années qui ont suivi, j’ai souffert de voir combien sa figure de pape émérite a été instrumentalisée à des fins politiques et idéologiques par des gens sans scrupules qui, n’ayant pas accepté son renoncement, ne pensaient qu’à leurs propres gains et à leur petit jardin à cultiver, sous évaluant la possibilité dramatique d’une fracture au sein de l’Église. Pour éviter des dérives de ce type, tout de suite après mon élection en 2013, quand je suis allé lui rendre visite à Castel Gandolfo, nous avons décidé ensemble qu’il serait mieux qu’il ne vive pas reclus, comme il l’avait d’abord envisagé, mais qu’il voie des gens et participe à la vie de l’Église. Malheureusement, cela n’a pas été très concluant, car en dix ans les polémiques n’ont pas manqué et nous ont fait du mal à tous les deux. À l’occasion de la passation, il m’a remis également une boîte blanche contenant le dossier rédigé par trois cardinaux de plus de quatre-vingts ans, Julián Herranz, Jozef Tomko et Salvatore De Giorgi, concernant la fuite de documents confidentiels qui avait ébranlé le Vatican en 2012. Benoît m’expliqua les mesures qu’il avait prises en éloignant des gens qui faisaient partie de lobbies, en intervenant dans des affaires de corruption. Il me signala d’autres situations où il était nécessaire de prendre des mesures, en me disant clairement que c’était désormais à moi de m’en occuper. J’ai donc agi selon ses conseils, et je continue à le faire. Dans la salle Clémentine, à la fin de son discours, je suis allé le saluer comme tous les autres frères cardinaux, et il m’a remercié d’être venu à l’audience.

Son élection

Puis, le jour de l’élection, le 13 mars, après avoir passé la matinée dans la chapelle Sixtine pour le vote, j’ai reçu trois signaux très clairs. Je dois dire avant tout que pendant le conclave, pour ne pas avoir de contacts avec le monde extérieur, nous dormions tous à la résidence Sainte-Marthe. De retour à la résidence pour le déjeuner, avant d’aller manger, je suis monté au cinquième étage, où logeait le cardinal Jaime Ortega y Alamino, archevêque de La Havane, qui m’avait demandé une copie du discours que j’avais tenu pendant les congrégations générales. Je lui ai apporté mes notes en m’excusant car elles étaient écrites à la main et l’ai informé que je n’avais pas de photocopie. Il me répondit : « Ah, fantastique, je rapporte chez moi un souvenir du nouveau pape… » C’était le premier signal, mais je ne comprenais pas encore. Je pris l’ascenseur pour retourner à mon étage, le deuxième, mais il s’arrêta au quatrième, et le cardinal Francisco Errázuriz, archevêque émérite de Santiago du Chili que j’avais connu à Aparecida, entra. « Tu as préparé ton discours ? me demanda-t-il. — Quel discours ? répondis-je, curieux. — Celui que du devras faire aujourd’hui quand tu te présenteras à la loge centrale de la basilique… » Cela a été le deuxième signal, mais je ne l’ai pas compris non plus. Je suis descendu pour déjeuner et suis entré dans la salle à manger avec le cardinal Leonardo Sandri. Plusieurs cardinaux européens déjà présents m’ont dit : « Venez, Éminence, racontez-nous un peu l’Amérique latine… » J’ai accepté leur invitation sans y prêter trop d’attention, mais ils m’ont soumis à un véritable interrogatoire. À la fin du déjeuner, alors que je sortais, le cardinal Santos Abril y Castelló, que j’avais bien connu quand il était nonce apostolique en Argentine, me demanda : « Éminence, pardon pour cette question, mais c’est vrai qu’il vous manque un poumon ? — Non, ce n’est pas vrai, répondis-je. Il me manque seulement le lobe supérieur du poumon droit. — Quand est-ce arrivé ? a-t-il insisté. — En 1957, quand j’avais vingt et un ans. » Soudain sérieux, l’air agacé, il a répondu : « Ces manœuvres de dernière minute… » C’est à ce moment précis que j’ai compris que les cardinaux pensaient à moi comme successeur de Benoît XVI. L’après-midi, nous avons repris le conclave. Arrivé devant la chapelle Sixtine, je trouvai le cardinal italien Gianfranco Ravasi. Nous avons discuté car, pendant mes études, j’utilisais toujours les éditions des livres sapientiels qu’il dirigeait, en particulier le livre de Job. Nous sommes restés devant la porte à échanger, allant et venant devant l’entrée. Après ce qui s’était passé au déjeuner, inconsciemment je ne voulais pas entrer, car je redoutais l’élection. Si bien que, à un moment, un cérémoniaire pontifical sortit et nous a demandé : « Vous entrez, oui ou non ? » Lors du premier vote, j’ai été presque élu. Le cardinal brésilien Cláudio Hummes s’est approché de moi et m’a dit : « N’aie pas peur, hein ! C’est comme ça que s’y prend le Saint-Esprit ! » Puis, au troisième vote de l’après-midi, le soixante-dix-septième, quand mon nom atteignit les deux tiers de préférences, tout le monde applaudit longuement. Tandis que le scrutin se poursuivait, Hummes s’est à nouveau approché, m’a embrassé et m’a dit cette phrase qui m’est toujours restée dans le cœur et dans l’esprit : « N’oublie pas les pauvres… » C’est là que j’ai choisi mon nom de pape : François. En l’honneur de saint François d’Assise. Je le communiquai officiellement au cardinal Giovanni Battista Re  : le doyen, le cardinal Angelo Sodano, et le sous-doyen, le cardinal Roger Etchegaray, étaient hors du conclave car ils avaient plus de quatre-vingts ans. Étant le premier cardinal évêque électeur par ordre d’ancienneté, comme prévu par la procédure, assurait dans la chapelle Sixtine les missions du doyen. C’est lui qui m’a posé les deux questions prévues par le rite : « Acceptez-vous votre élection canonique comme souverain pontife ? » et « Comment voulez-vous être appelé ? » Ma vie était une fois de plus bouleversée par les projets de Dieu. Le Seigneur était à mes côtés, je le sentais présent, il me précédait et m’accompagnait dans cette nouvelle charge au service de l’Église et des fidèles, décidée par les cardinaux qui agissaient mus par le Saint-Esprit. Quand vint le moment d’enfiler pour la première fois les vêtements de pape, dans la pièce appelée Chambre des Larmes, le maître des célébrations liturgiques pontificales de l’époque, Mgr Guido Marini m’a expliqué avec une grande patience tout ce qu’il fallait faire. Il me montra la croix pectorale, les mules rouges, la soutane blanche en trois tailles et d’autres parements papaux, dont la mosette rouge. Je lui ai dit : « Je vous remercie beaucoup pour votre travail, monseigneur, mais je suis attaché à mes affaires : je porterai seulement la soutane blanche, mais je garderai ma croix pectorale d’archevêque et mes chaussures orthopédiques ! » Avec une grande disponibilité, il a accepté ma décision. J’ai ensuite annoncé aux cérémoniaires que, après l’Habemus Papam, je souhaitais avoir à mes côtés dans la loge centrale de la basilique le cardinal Cláudio Hummes et celui qui était alors vicaire du diocèse de Rome, le cardinal Agostino Vallini. Mon souhait a été satisfait. Je ne peux pas cacher que j’ai éprouvé une grande émotion en voyant toute cette foule place Saint-Pierre, qui attendait de voir le nouveau pape. Il y avait des drapeaux du monde entier, des prières, des chants, et malgré la pluie tout le monde était resté là pour attendre. L’Esprit soufflait sur les gens, c’était un moment de grâce pour toute l’Église, un chœur unique de prières s’élevait jusqu’au ciel pour honorer le Seigneur ! J’ai eu une pensée pour mes parents, pour ma grand-mère Rosa, mes frères et sœurs, je pensais à tous les gens pauvres et exclus que j’avais rencontrés dans ma vie, et j’ai trouvé la force nécessaire en me souvenant d’eux, en décidant de les placer au cœur de mon service.

La pandémie de Covid-19

Nous pouvons dire avec certitude que jusqu’à présent a prévalu un style de vie qui détruit la nature, sans aucune pitié. La contemplation a manqué, cédant à un anthropocentrisme hautain qui a mené l’homme à se sentir dominateur absolu de toutes les créatures. Au contraire, notre tâche, et celle des générations qui viendront après nous, consiste à protéger notre maison commune, à reconstruire ce que nous avons détruit, et à corriger tout ce qui, dès avant le Covid-19, ne fonctionnait pas et qui a contribué à aggraver la crise. J’aime constater à quel point les jeunes, particulièrement dans les écoles, sont déjà engagés dans la lutte pour la protection de l’environnement et protestent contre les décisions des gouvernements qui n’interviennent pas suffisamment sur le changement climatique. Le temps passe, il ne nous en reste pas beaucoup pour sauver la planète. En pensant à ces jeunes qui descendent dans la rue, je dis toujours : Haciendo lío – « Faites du bruit » –, à condition que ces manifestations ne donnent pas lieu à des actions violentes et ne finissent pas par défigurer le territoire ou des œuvres d’art. Tout le monde est impliqué dans cette crise, riches et pauvres, et je dois malheureusement constater que, pendant la pandémie, l’hypocrisie de certains politiques les a poussés d’un côté à vouloir faire face à la crise, combattre la faim dans le monde, tandis que  de l’autre ils dépensaient de coquettes sommes pour acheter des armes. Nous avons besoin de cohérence, d’une renaissance qui apporte un vent de confiance pour les citoyens.

La bénédiction Urbi et Orbi du Pape en plein confinement

Le monde était en proie à l’obscurité, aussi j’ai pensé que nous avions besoin d’un moment de prière qui unisse tout le monde pour alimenter la flamme de l’espoir qui éclairerait le chemin du monde. L’idée de cette prière extraordinaire sur la place est venue d’un prêtre, don Marco Pozza, l’aumônier d’une prison du nord de l’Italie qui m’avait proposé une Statio Orbis, c’est-à-dire un geste fort qui permette d’unir les gens de toute la planète en un unique chœur vers le ciel. Ce fut un événement unique, car jamais je ne m’étais trouvé dans cette situation place Saint-Pierre, habituellement remplie de fidèles. Beaucoup se sont demandé à quoi je pensais pendant que je gagnais le parvis à pied. Rien d’extraordinaire, je pensais à la solitude des gens. J’étais seul et de nombreuses personnes dans le monde vivaient la même situation que moi, mais dans des conditions certainement plus difficiles. Tout en marchant, j’éprouvais une sensation que je qualifierais d’inclusive, car mon cœur et mon esprit étaient avec chaque être humain : j’étais totalement avec vous. Il est vrai que, sur la place, j’étais seul, mais seulement physiquement. Spirituellement, j’étais en contact avec toutes et tous, et je sentais cette proximité dans la force de la prière : la prière qui fait des miracles. C’est pour cette raison que j’ai demandé que soient présents le crucifix miraculeux et la Salus populi romani ! Je me suis arrêté pour prier devant le Christ en Croix, et je lui ai demandé d’intervenir pour la pandémie. J’ai employé une tournure que nous utilisons beaucoup en Argentine, meté mano por favor – « mets-y la main, s’il te plaît ». Et j’ai ajouté : « En 1500, tu as résolu une situation comme celle-là, tu sais comment faire… » Moi aussi, je me suis raccroché à la prière, à la recherche d’un miracle, et j’ai fait de même devant l’icône de la Madone, lui confiant le monde et lui demandant d’être mère, non seulement du peuple romain, mais de toute la planète. Puis j’ai observé depuis le haut du parvis la place entièrement vide : le silence régnait, on n’entendait que les sirènes et la pluie qui tombait déjà fort. J’ai pensé que, malgré l’absence du peuple, nous étions ensemble même à distance. J’ai regardé au loin le monument avec le bateau des migrants, et j’ai pensé au bateau sur lequel nous étions, tous effrayés, ignorant quand nous arriverions au bout du voyage. C’était un moment fort, la tristesse aurait facilement pu prendre le dessus, mais j’ai trouvé une lumière d’espérance quand, à la fin, avant l’adoration eucharistique, j’ai embrassé les pieds du crucifix. Le Christ est véritablement un phare pour l’humanité.

Sa maladie

Cela a été une expérience forte, car chez nous, les chrétiens, la maladie peut favoriser la croissance et le discernement sur ce qui compte réellement dans la vie. Elle permet aussi d’expérimenter pleinement la solidarité humaine et chrétienne comme le veut Dieu : proximité, compassion et tendresse. À l’hôpital, j’ai rencontré de nombreux malades qui luttaient pour leur vie, surtout des petits, et cela m’a touché le cœur. Je me suis demandé à plusieurs reprises, pour citer Dostoïevski : pourquoi les enfants souffrent-ils ? Cette question ne peut avoir une réponse humaine. Les meilleures réponses que nous pouvons lui apporter sont la prière et le service envers eux. Pour revenir à mes hospitalisations, elles m’ont donné beaucoup de matière à réflexion mais, pendant ce temps, certains se sont davantage intéressés à la politique, à mener une campagne électorale, pensant presque à un nouveau conclave. Soyez tranquilles, c’est humain, il n’y a pas de quoi se scandaliser ! Quand le pape est à l’hôpital, beaucoup se font des idées, et certains spéculent par intérêt personnel ou pour vendre des journaux. Heureusement, malgré ces moments de difficulté, je n’ai jamais songé à démissionner, mais j’y reviendrai bientôt. Grâce à l’aide du Seigneur et à la prière de nombreux fidèles, je suis allé de l’avant, pour me trouver bientôt face à d’autres urgences humanitaires, à d’autres crises mondiales : la guerre qui a bouleversé l’Europe, le grand conflit qui a ensanglanté l’Ukraine. Ensuite, depuis octobre 2023, un nouveau conflit qui a frappé le Moyen-Orient. J’ai demandé et je continue de demander, jour après jour, que les guerres du monde cessent, que prévale le dialogue, que l’on porte soin et attention à tous ces enfants et toutes ces personnes âgées qui souffrent, que l’on pense aux familles affligées par l’enlèvement de leurs proches.

Gaza

Dans les bombardements de Gaza, j’ai moi aussi perdu plusieurs amis d’origine argentine : cela a été une douleur immense ! Des personnes que je connaissais depuis des années, et qui soudain ont trouvé la mort par la main de l’homme. J’ai éprouvé une grande peine à entendre le décompte quotidien des victimes et les nouvelles des attaques contre les hôpitaux. Pour faire connaître ma présence, je suis chaque jour resté en contact avec le curé de Gaza, d’origine argentine, ainsi qu’avec des religieuses engagées depuis des années auprès de la population. J’ai également rencontré au Vatican, à deux moments distincts, les familles de certains otages israéliens et les familles de Palestiniens bloqués à Gaza sous les bombes : je peux vous assurer qu’il n’y a aucune différence entre elles ! Leurs regards étaient les mêmes : ceux de gens simples, qui ont besoin d’amour. Ces yeux n’exprimaient aucun désir de vengeance, seulement celui de retrouver le silence de la paix et une cohabitation sereine, sans menaces et sans armes. C’est seulement ainsi qu’il pourra y avoir un avenir pour cette humanité blessée.

Edit du 21 mars 2024

La traduction d’un ouvrage d’une langue à une autre est un travail délicat et complexe tant les mots comportent des définitions et nuances qui leurs sont propres. Certains termes choisis pour la traduction en français de l’autobiographie du pape François, Vivre, peuvent prêter à confusion. Il en est ainsi de ce passage : « Il m’a de nouveau appelé les jours suivants pour m’informer que le matin du 28 février, Benoît XVI serait congédié par le Collège des cardinaux, et que tous les cardinaux seraient donc appelés à Rome pour l’occasion. » Benoît XVI n’a pas été congédié par le Collège des cardinaux mais il a pris congés du Collège des cardinaux.

Le 11 février 2013, à l’issue d’un consistoire ordinaire pour la création de nouveaux saints, Benoît XVI a révélé officiellement sa démission, qu’il a lui-même fixée au 28 février 2013 à 20 heures. À dater de ce jour s’est ouvert la période dite sede vacante : la chaire de Pierre est vide. S’en est suivi le consistoire puis l’élection du nouveau pape, François, le 13 mars 2013.

Pratique

Vivre : mon histoire à travers l’Histoire, pape François, Harper Collins, 20 mars 2024, 20,9 euros.
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