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Grandes manœuvres dans les médias

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François Morinière - publié le 17/03/24
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Notre chroniqueur François Morinière, ancien directeur général du groupe « L’Équipe », analyse les regroupements qui modifient le paysage médiatique français. Doit-on s’inquiéter de la concentration des médias dans les mains de quelques-uns ? En apparence oui, dit-il, mais en apparence seulement.

Le groupe CMA CGM a annoncé, vendredi 15 mars, être en négociation exclusive avec Patrick Drahi pour l’achat de la branche média de son groupe Altice, avec comme fleuron BFM, BFM Business, la radio RMC, etc. Le prix de la transaction annoncée est de 1,55 milliards d’euros, ce qui représente une belle plus-value pour le cédant, qui l’avait lui-même acquis autour de 700 millions d’euros. Les experts estimaient le prix autour du milliard d’euros en comparaison des valeurs en bourse de TF1 ou M6.

Puissance de feu

Rodolphe Saadé pointe aujourd’hui à cinquième place du classement des personnalités françaises les plus riches, grâce notamment à deux exercices fiscaux exceptionnels avec la reprise du commerce mondial après le Covid. Quand on rentre dans ce club très fermé des multimilliardaires, posséder un ou plusieurs médias est le signe ultime de la réussite, à l’instar de Bernard Arnault, Xavier Niel, Daniel Kretinsky ou Vincent Bolloré. CMA CGM était déjà présent dans le monde des médias avec La Provence, une participation minoritaire dans M6, et La Tribune, journal qu’il a propulsé comme sauveur de la démocratie dominicale, face à l’OPA de Vincent Bolloré sur le Journal du Dimanche, et son nouvel ancrage à droite, symbole de la liberté de la presse qui vacillerait… On parle au mieux d’une influence pesant environ 100 000 exemplaires par semaine.

Quand on rentre dans ce club très fermé des multimilliardaires, posséder un ou plusieurs médias est le signe ultime de la réussite.

Avec BFM et RMC, le milliardaire change donc de catégorie et acquiert une puissance de feu tout autre. BFM est en effet leader des chaînes d’information en continu devant CNews qui revient sur ses talons, puis plus loin LCI et enfin France Info TV. Les audiences du groupe Altice Media sont puissantes et larges en termes de sensibilité politique, et très grand public.

L’enjeu marseillais

C’est donc une nouvelle étape de reconfiguration du paysage des médias, et c’est certainement une bonne nouvelle pour le pouvoir actuel, et ceux qui l’incarneront demain, car Rodolphe Saadé jouera le jeu d’une ligne éditoriale libérale, européenne et centriste. Il a énormément à y gagner en termes de pouvoir d’influence et sera le bras armé bien utile pour combattre l’ascension de CNews, propriété de Vincent Bolloré via le groupe Canal+, qui commence à dépasser régulièrement BFM en audience, et dont la droitisation éditoriale fait s’étrangler une bonne partie des élites parisiennes. C’est tout l’objet de la commission d’enquête parlementaire actuelle qui fait feu de tout bois pour tenter d’empêcher le renouvellement de la fréquence TNT gratuite de CNews qui doit intervenir cette année.

Rodolphe Saadé est également l’homme incontournable de Marseille, où il est devenu le tout puissant propriétaire de La Provence, et apporte son soutien le plus large, notamment financier, aux projets du président Macron qui a fait de la cité phocéenne le chantier de toutes ses ambitions pour montrer qu’il pouvait changer en profondeur cette ville gangrenée par la violence, la pauvreté et une quasi-partition de la ville par origines ethniques. Les deux hommes agissent de concert pour inventer un nouveau Marseille, qui serait le symbole du vivre ensemble à la française.

Beaucoup d’illusions

Doit-on s’inquiéter de la mainmise croissante des patrons les plus fortunés sur les médias ? En apparence oui, car on peut imaginer le genre de pressions qui peut peser sur les rédactions. Mais heureusement, il y a beaucoup d’illusions derrière cette envie de contrôler les contenus parce que les journalistes sont pour la très grande majorité d’entre eux indépendants par construction et par devoir. Ils obéissent à des règles de déontologie connues, et ils savent le prix à payer quand on trahit les règles du métier, car ils finissent dans la situation cauchemardesque des services rendus et reçus qui heurtent violemment leur conscience professionnelle et détruisent leur crédibilité. Il y a également un certain nombre de garde-fous qui existent, et les propriétaires qui passent outre s’en mordent souvent les doigts.

Les journalistes obéissent à des règles de déontologie connues, et ils savent le prix à payer quand on trahit les règles du métier.

Ce débat qui existe depuis des décennies est un peu dépassé par la puissance des réseaux sociaux qui pour certains d’entre eux se moquent totalement des règles de déontologie, sans parler des risques réels et connus de manipulation par des champions informatiques payés par des puissances étrangères pour propager fausses nouvelles et contenus artificiels. Les vrais dangers sont ici et non dans l’inflexion des médias classiques. Mais c’est une illusion qui berce gentiment le microcosme politique et médiatique qui se rassure dans le soi-disant pouvoir qu’ils ont ensemble ou les uns contre les autres.

Constructeurs de ponts

En janvier dernier le pape François a parlé des journalistes comme des "constructeurs de ponts" au service de la connaissance et la vérité. C’est une belle image. Nous devons la garder en tête à chaque fois que nous médisons à tort et à travers sur ce magnifique métier qui est une réelle vocation professionnelle, dont le saint patron, François de Sales, est un si beau modèle de force intellectuelle et d’honnêteté profonde !

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