Des femmes diacres ? La question revient régulièrement dans l’Église catholique, au point que le pape François a déjà convoqué deux commissions d’étude sur le sujet, en 2016 et en 2020. Mesure réclamée par le synode allemand notamment, réflexion en cours dans le Synode mondial sur l’avenir de l’Église, l’ordination de femmes diacres agite les débats dans lesquels l’histoire et la théologie sont convoquées. "Il y avait des diaconesses au début. Mais était-ce une ordination sacramentelle ou pas ?". Dans l’avion qui le ramenait de Macédoine du Nord à Rome, en 2019, le pape François a résumé en quelques mots une réflexion qui traverse l’Église catholique, notamment depuis le Concile Vatican II qui a redéployé le diaconat permanent pour les hommes.
Aux premiers siècles de l’ère chrétienne, il y a bien eu un ministère de diaconesse qui s’est développé de façon inégale dans certaines régions. C’est au milieu du IIIe siècle que le terme “diaconesse” fait son apparition de manière explicite dans un document ecclésial en Orient – on n’en trouve alors pas de trace en Occident. Auparavant, le terme grec "diakonos", qui signifie "serviteur", a pu être utilisé dans plusieurs écrits au sujet de femmes, mais dans un sens général.
Vers 240 après Jésus Christ paraît la Didascalie des Apôtres, une compilation canonico-liturgique qui n’a certes pas de caractère officiel, mais qui nous renseigne sur la structure d’une communauté chrétienne de l’époque. Comme le décrit une vaste étude sur le diaconat réalisée par la Commission théologique internationale (CTI), l’évêque est alors à la tête d’une petite communauté qu’il dirige notamment avec l’aide de diacres et de "diaconesses". Dans la Didascalie, ces dernières sont astreintes au "service des femmes" tandis que les diacres s’occupent de "beaucoup de choses nécessaires".
Si le baptême n’est jamais conféré par la diaconesse, c’est elle qui procède à l’onction du corps des femmes, une pratique qui a aujourd’hui disparu dans les célébrations de baptême. La CTI développe d’autres missions : "La diaconesse doit instruire les femmes néophytes, visiter chez elles les femmes croyantes et surtout les malades."
Une affaire de pudeur ?
En 2016, le pape François est brièvement revenu sur le rôle supposé des diaconesses en racontant une anecdote à des responsables féminines de communautés religieuses. Il leur confiait avoir un jour rencontré un “très bon” théologien syrien qui lui avait expliqué que, "pour la bienséance", c’était bien une femme qui devait être en contact avec la baptisée, et non homme. À cette époque, le baptême se faisait par immersion. Et il fallait protéger le regard du clergé masculin de l’intimité féminine.
Le pontife argentin se souvenait aussi d’une "chose curieuse" que lui avait dite le Syrien : "Lorsqu’il y avait un jugement matrimonial car le mari battait sa femme et que celle-ci allait se plaindre auprès de l’évêque, les diaconesses étaient chargées de constater les bleus laissés sur le corps de la femme par les coups du mari et en informer l’évêque". Là encore, c’est probablement la pudeur qui imposait le recours à une diaconesse.
Des femmes membres du clergé
Dans la deuxième moitié du IVe siècle apparaît une autre source importante concernant le diaconat féminin. Rédigées vers 380 en Syrie, les Constitutions apostoliques offrent un rituel pour des femmes diacres. "Ô évêque, tu lui imposeras les mains, en présence du presbyterium, des diacres et des diaconesses […]", peut-on lire.
Dans ce document, l’imposition est envisagée pour les évêques, les prêtres, les diacres ainsi que pour les diaconesses, les "sous-diacres" et les "lecteurs". Tous font partie du "clergé". La CTI explique : "La notion de klèros est élargie à tous ceux qui exercent un ministère liturgique, qui reçoivent leur subsistance de l’Église et qui profitent des privilèges civils que la législation impériale accorde aux clercs, de sorte que les diaconesses font partie du clergé".
Les Constitutions stipulent encore que la diaconesse "ne bénit pas et elle n’accomplit rien de ce que font les presbytres et les diacres, mais elle garde les portes et elle assiste les presbytres lors du baptême des femmes, à cause de la décence".
Au moment de la diffusion en Syrie de ces lignes vit une certaine Olympe de Constantinople (+ v. 410). Cette disciple de saint Jean Chrysostome est sans doute la diaconesse la plus connue aujourd’hui. "Encore jeune quand elle perdit son mari, elle passa le reste de sa vie à Constantinople parmi les femmes consacrées à Dieu, venant en aide aux pauvres et entièrement fidèle à saint Jean Chrysostome, jusque dans son exil", décrit le martyrologe romain.
À propos du Constantinople, l’on sait qu’au VIe siècle, l’empereur Justinien limita le clergé de la basilique Sainte-Sophie à un total de 425 membres, dont 40 diaconesses. "L’âge de celles-ci est de 40 ans. La continence des clercs majeurs leur est imposée : elles seront vierges ou veuves monogames", détaillent Phyllis Zagano et le père Bernard Pottier dans un article sur le sujet.
De la diaconie à la vie monastique ?
Au fil des siècles, la fonction de diaconesse va disparaître. La pratique baptismale de l’onction du corps entier est progressivement abandonnée. De même se généralise peu à peu le baptême pour les enfants. L’utilité d’un service spécifique pour les femmes se perd.
Il s’opère aussi un transfert des diaconesses vers la vie monastique. Déjà au IVe siècle, note la CTI, "le genre de vie des diaconesses se rapproche de celui des moniales". En Occident, "jusqu’au XIIIe siècle, des abbesses sont quelquefois appelées diaconesses", ajoute la commission. Mais il s’agit d’un titre qui ne correspond pas à un ministère.
Dans cette partie de la chrétienté, l’Église avait plus tôt rejeté toute forme de diaconat féminin. Ainsi, "les conciles d’Orange (441), d’Epaone (517), et d’Orléans (533) vont tous dans le sens d’une suppression de l’ordre des diaconesses", notait l’historien des institutions et de la vie religieuses, Philippe Annaert.
Une ordination sacramentelle ou non ?
Deux approches s’opposent aujourd’hui concernant la nature de l’ordination de ces femmes aux premiers siècles. La première estime que les diaconesses étaient ordonnées par imposition des mains et que ce rituel revêtait bien une dimension sacramentelle. La deuxième prend le parti opposé, considérant que le diaconat féminin n’a jamais pu être l’équivalent du diaconat masculin, qu’il n’était pas un sacrement, mais une sorte de ministère institué – comme le sont aujourd’hui les ministères de catéchiste ou de lecteur qui sont ouverts aux laïcs.
Derrière ce débat sur la nature de l’ordination des diaconesses des premiers temps du christianisme se dessine la question de savoir si un tel ministère pourrait revenir dans l’Église catholique aujourd’hui.
À cette question de fond, la CTI a voulu apporter deux éléments pour discerner. D’abord, elle a considéré qu’il n’était pas possible d’assimiler les diaconesses aux diacres des premiers siècles de l’Église. Mais elle n’a pas fermé la porte à ce que l’Église avance un jour vers un diaconat féminin, renvoyant au gouvernement de l’Église de se prononcer avec autorité sur la question.
Avec Vatican II et l’apport des papes successifs, notamment Jean Paul II et Benoît XVI, une distinction théologique a été opérée entre les ministères d’évêques et de prêtres, qui agissent "au nom du Christ tête" et qui ne peuvent être que des hommes, avec les diacres qui n’ont pas de ministère sacerdotal. Dans sa conclusion, la CTI rappelle clairement cette distinction. Ce qui laisse pour certains la réflexion ouverte sur l’opportunité d’un diaconat féminin.
Sujet historico-théologique complexe, le diaconat féminin est l’objet d’une attention toute particulière du Synode sur l’avenir de l’Église, lancé en 2021 par le pape François et qui doit s’achever en octobre prochain. Lors de la première session du synode à Rome, la question du diaconat féminin a été l’une des plus débattues par les pères et mères synodaux.