Alors qu'une grande partie de la France se targue d'être devenue le premier pays du monde à constitutionnaliser l'avortement, rares ont été ceux qui ont dénoncé un tel changement de société. Lors du vote du Congrès, seuls 72 parlementaires ont exprimé leur refus par les urnes. Un choix courageux, qui n'est pas sans rappeler une histoire moins connue, quoique plus ancienne, celle du roi des Belges, Baudouin.
Remontons un peu le temps : nous sommes en 1990, et la Belgique figure parmi les derniers pays, avec l'Irlande, à ne pas avoir autorisé les femmes à avorter en toute légalité. Mais alors que les députés belges adoptent avec une majorité de voix le projet de loi dépénalisant l'avortement, le roi des Belges, sur le trône depuis 1951, fait face à un cas de conscience majeur. Dans un premier temps, le roi se saisit de sa plume afin d'exprimer son désaccord à son Premier ministre, l'avertissant que ce projet risque d'entraîner "une diminution sensible du respect de la vie de ceux qui sont les plus faibles."
La liberté de conscience vaut-elle pour tous sauf pour le roi ?
"En signant ce projet de loi et en marquant, en ma qualité de troisième branche du pouvoir législatif, mon accord avec ce projet, j’estime que j’assurerais inévitablement une certaine coresponsabilité", écrit-il ainsi, fidèle à ses convictions et à sa foi. "Je sais qu’en agissant de la sorte, je ne choisis pas une voie facile et que je risque de ne pas être compris par un bon nombre de concitoyens. Mais c’est la seule voie qu’en conscience je puis suivre", poursuit le roi avant de questionner : "À ceux qui s’étonneraient de ma décision, je demande : serait-ce normal que je sois le seul citoyen belge à être forcé d’agir contre sa conscience dans un domaine essentiel ? La liberté de conscience vaut-elle pour tous sauf pour le roi ?"
Une crise politique majeure
Ses conseillers s'inquiètent, tentent de le faire changer d'avis : que vont penser ses sujets s'il ne donne pas son consentement ? Mais Baudouin tient. Au point de créer une crise politique majeure dans son propre pays. Car la loi, pour être promulguée, doit nécessairement être sanctionnée par le roi. Si ce dernier refuse, elle ne pourra donc être appliquée. Les parlementaires belges sont dans l'impasse. C'est finalement le Premier ministre qui trouve comment en sortir.
Il décide d'utiliser l'article 82 de la Constitution belge, à l'époque article 93, qui permet de déclarer le roi... Dans l'impossibilité de régner. "Si le Roi se trouve dans l'impossibilité de régner, les ministres, après avoir fait constater cette impossibilité, convoquent immédiatement les Chambres. Il est pourvu à la tutelle et à la régence par les Chambres réunies", proclame ainsi la Constitution. Ce tour de passe-passe constitutionnel permet donc au conseil des ministres de signer, en lieu et place du roi, la proposition de loi dépénalisant l'avortement contre laquelle le roi Baudouin lutte. Ce dernier voit donc sa conscience préservée, comme il l'avait expressément requis, et retrouve l'ensemble de ses pouvoirs deux jours plus tard.
Une loi douloureuse pour le roi Baudouin à plus d'un titre. Marié à Fabiola de Mora y Aragón, il rêvait avec son épouse d’avoir une famille nombreuse. Cinq fois Fabiola a été enceinte. Cinq fois elle a perdu son enfant après plusieurs mois de grossesse et d’espoir. Avec leur foi, ils ont accepté puis transcendé cette épreuve, en avançant "au large", à leur façon, malgré l’hostilité de groupes d’extrême-gauche qui organisaient sous leurs fenêtres des manifestations exigeant la démission de ce couple royal sans "prince héritier". Leur amour et un grand souci de communication entre eux leur ont permis de résister à ces pressions cruellement ressenties. L’adoption de la loi sur la légalisation de l’IVG a été, pour eux peut-être plus que pour d’autres, une grande souffrance. Ils avaient expérimenté si tristement tous deux, le prix de la vie et de la mort d’un embryon.