Lorsqu’on parle de l’entrée des femmes dans la vie politique française, on pense d’abord aux nominations de sous-secrétaires d’État dans le gouvernement du Front populaire ou à l’élection des femmes députés communistes à la Libération. Si on connaît son importance dans la naissance du projet européen, on ignore souvent que la démocratie chrétienne fut, après la Seconde Guerre mondiale, un vecteur important de féminisation de la politique française. En effet, le Mouvement républicain populaire (MRP), le grand parti démocrate-chrétien issu de la Résistance, est à l’origine de l’entrée en politique d’une génération de femmes qui vont, pour la première fois, participer à l’exercice du pouvoir.
Une volonté politique
Ce lien entre démocratie chrétienne et féminisation de la vie politique est d’autant plus remarquable que le déclin rapide du MRP après les élections législatives de 1951 est corrélé avec un net retrait des femmes de la vie publique. Il faudra attendre 1974 et le premier gouvernement Chirac pour qu’elles retrouvent un véritable rôle avec les ministres Françoise Giroud et Simone Veil. Portées par le suffrage féminin, obtenu en 1944 grâce notamment à l’action du résistant démocrate-chrétien Robert Prigent, 33 femmes entrent dans l’Assemblée constituante de 1945. Parmi ces députées, neuf appartiennent au MRP qui représente le deuxième groupe féminin après celui du parti communiste et ses 17 femmes. Si le phénomène reste numériquement marginal au regard des 586 parlementaires, il est réel et il faudra attendre 1981 pour retrouver des législatures aussi féminisées que celles des années 1945 à 1951.
Au-delà du nombre, ce sont aussi les fonctions occupées qui témoignent de la volonté des démocrates-chrétiens de féminiser la politique. En 1946, Germaine Peyrolles est la première femme avec la communiste Madeleine Braun à occuper une vice-présidence de l’Assemblée nationale. Des femmes participent aux instances directrices du MRP : Simone Rollin est nommée vice-présidente du parti et Solange Lamblin est élue à la commission exécutive permanente. Enfin, l’impulsion des démocrates-chrétiens est décisive pour l’accession des femmes aux fonctions ministérielles.
Féminisme et valeurs chrétiennes
Georges Bidault, attentif à la promotion des femmes à des postes à responsabilité — il choisit Suzanne Borel comme directrice adjointe de son cabinet au ministère des Affaires étrangères — est l’initiateur du mouvement. Parvenu à la présidence du Conseil, il nomme la socialiste Andrée Viénot sous-secrétaire d’État à la Jeunesse et aux Sports. Puis, le 24 novembre 1947, Germaine Poinso-Chapuis devient ministre de la Santé publique et de la Population dans le gouvernement Robert Schuman. Première femme à détenir un ministère de plein exercice, elle ne reste en fonction que huit mois mais dans le contexte difficile de l’après-guerre, elle se distingue par son activité législative intense pour améliorer l’état sanitaire de la population. Son action reste notamment attachée à la loi du 2 mars 1948 révisant à la hausse la base de calcul des allocations familiales. Germaine Poinso-Chapuis est une personnalité aux convictions fortes qui tente de concilier féminisme, en promouvant le travail des femmes, et attachement aux valeurs chrétiennes en défendant une conception chrétienne de la famille qui est selon elle "une protection de l’individu et son cadre naturel".
Dans l’ombre des grands hommes de la démocratie chrétienne que sont Robert Schuman, Georges Bidault ou encore Maurice Schumann, il y eut donc aussi des femmes qui participèrent, sans que le but soit complètement atteint, à un premier mouvement de féminisation de la politique. En effet, à l’image de leur parti et de la fragile IVe République, leurs carrières politiques furent souvent très courtes et elles ne purent peser sur la vie politique que durant une brève période. Seule Marie-Madeleine Dienesch continuera sa carrière politique au-delà de la IVe République en rejoignant le mouvement gaulliste. Députée pendant trente ans, elle fut secrétaire d’État de 1968 à 1974 puis ambassadrice de France au Luxembourg et parlementaire européenne.
Conservatrices et novatrices
L’engagement dans la Résistance et les convictions démocrates-chrétiennes de ces femmes sont les traits communs et font qu’on pourrait parler d’une véritable génération. Cependant, ces femmes sont aujourd’hui un peu oubliées, ce qui pourrait s’expliquer par plusieurs hypothèses. Leur légitimité issue de la Résistance était un atout à la Libération mais devint une faiblesse quand les Français souhaitèrent effacer le lourd passé des années de guerre. Leurs convictions parfois conservatrices les délégitimèrent aux yeux des féministes. Il sera notamment reproché à Marie-Madeleine Dienesch ses positions sur l’avortement. Parallèlement, leur féminisme ne les légitimait pas aux yeux des plus conservateurs. Malgré tout, ces femmes sont des personnalités aux destins riches qui témoignent de l’engagement chrétien à un moment charnière de l’histoire de France. Elles méritent donc d’avoir toute leur place dans l’histoire contemporaine des relations entre le christianisme et la vie politique française.